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Animaux

La grippe aviaire décime (aussi) les oiseaux marins

Des sternes caugek (Thalasseus sandvicensis) en vol.

Une épidémie de grippe aviaire décime depuis le printemps des colonies d’oiseaux marins du nord de l’Europe. En France, ce virus qui a déjà tué des milliers d’oiseaux s’est répandu du Pas-de-Calais à la Bretagne.

La saison s’annonçait extraordinaire pour la réserve naturelle du Platier d’Oye. Au début du printemps, plus de 3 000 sternes caugek, des oiseaux marins rares en France, avaient élu domicile sur cet espace qui borde la mer du Nord, dans le Pas-de-Calais. Un chiffre inégalé depuis des années. Mais au mois de mai, ces oiseaux migrateurs, reconnaissables à leur crête noire ébouriffée et à leur bec au bout jaune, ont commencé à mourir en masse. En quelques semaines, la colonie a été décimée. Seuls 500 adultes et 200 poussins ont survécu à l’hécatombe.

Avec ses collègues, Marie Delamare, garde dans la réserve naturelle, a dû ramasser plus de 1 500 cadavres. « Je travaille depuis 12 ans sur la réserve et on n’avait jamais vu ça. C’était choquant pour nous de ramasser le cadavre d’oiseaux que l’on est censé protéger », témoigne-t-elle. Ce sont « a minima » 10 % des sternes caugeks présentes sur le territoire français qui ont perdu la vie en quelques semaines dans cette réserve, estime la garde-nature. Et le même scénario s’est reproduit dans quasiment toutes les colonies de sternes caugeks du nord de l’Europe, poursuit Marie Delamare.

De très nombreuses sternes caugek sont décédées de la grippe aviaire qui sévit en Europe. CC BY-SA 4.0 / Максим Яковлєв / Wikimedia Commons

Cette espèce, tout comme des goélands, des fous de Bassan ou encore des mouettes et des grèbes, est touchée par une épidémie de grippe aviaire qui cible spécifiquement les oiseaux marins. Depuis le début du printemps, la maladie a fait des ravages dans les colonies présentes au Royaume-Uni, en Allemagne, au Danemark ou aux Pays-Bas.

En France, la situation épidémique est « exceptionnelle de par son ampleur et la période où les détections ont lieu », alerte le Bulletin hebdomadaire de veille sanitaire internationale en santé animale du 26 juillet. Dans le nord du pays, le virus a été détecté vers la mi-mai. Des centaines de cadavres de goélands argentés ont par exemple été retrouvés à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. Une espèce qui connaît depuis quelques années un déclin en France, souligne Christian Boutrouille, président du Groupe ornithologique et naturaliste du Nord.

Une épidémie qui s’étend vers le sud

L’épidémie a ensuite progressé vers les côtes situées plus au sud. « Trois régions ont été atteintes : les Hauts-de-France, la Normandie, et maintenant la Bretagne », dit Anne Van De Wiele, responsable de la surveillance de la faune sauvage pour la grippe aviaire au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), contactée par Reporterre le 29 juillet. Fin juillet, plusieurs cas de grippe aviaire ont ainsi été identifiés dans le département des Côtes-d’Armor, en Bretagne, et notamment [dans la réserve naturelle des Sept-îles, où nichent de nombreux fous de Bassan->https://reporterre.net/Voyage-ebloui-dans-le-sanctuaire-des-fous-de-Bassan], indiquait la Ligue de protection des oiseaux (LPO), mercredi 27 juillet.

Au cours de la même semaine, des cas ont également été identifiés sur des oiseaux marins dans le Finistère, et plus au sud, dans le Morbihan, rapporte Anne Van De Wiele. S’il est trop tôt pour communiquer un bilan, le nombre d’oiseaux morts en France se compte en milliers. Et l’hécatombe n’est pas terminée : « On a encore des phénomènes de mortalité massive en Allemagne, en Angleterre et en France », dit la vétérinaire, spécialisée en épidémiologie.

Les goélands argentés, qui connaissaient déjà un déclin, sont également touchés par cette grippe aviaire. CC BY 2.0 / John Haslam / Wikimedia Commons

La particularité de cette épidémie est la période à laquelle elle intervient. « La grande surprise que nous avons eue, c’est de ne pas la voir disparaître avec le printemps et les chaleurs », dit Anne Van De Wiele. Or il s’agit du moment où beaucoup d’espèces d’oiseaux se rassemblent pour avoir leurs petits et les élever. Ils vivent alors en grande promiscuité, ce qui accélère la transmission du la maladie. De plus, les poussins offrent des conditions idéales à la multiplication du virus.

« Le poussin n’a pas de défense immunitaire, sa température est plus élevée… Tout est favorable à l’augmentation de la charge virale », détaille la cheffe de service à l’OFB. « La transmission du virus était incroyable. Un oiseau contaminé contaminait toute la colonie. La transmission a dû se faire en quelques jours entre toutes les colonies européennes », témoigne Marie Delamare.

« Ça devient un vrai problème pour la faune sauvage »

Si elle espère que les oiseaux survivants seront immunisés contre le virus, Anne Van De Wiele souligne qu’il est « très difficile d’anticiper l’évolution de l’épidémie ». L’accélération des épisodes de grippe aviaire ne pousse guère à l’optimisme pour la faune sauvage sur le long terme. Le virus est arrivé en France en 2006, mais n’y avait fait que peu de dégâts, avant de frapper à nouveau en 2016 puis en 2019, 2020 et 2021. « Au départ, ce phénomène posait surtout des difficultés pour les élevages domestiques. Petit à petit, ça devient un vrai problème pour la faune sauvage de conservation », analyse Anne Van De Wiele.

Elle s’inquiète ainsi pour les fous de Bassan de la colonie de Sept-îles, dans les Côtes-d’Armor : « Les populations ne sont pas si grandes que ça. Ces réserves sont donc précieuses, d’autant plus qu’il y a eu des mortalités énormes en Écosse, où cet oiseau est très présent. Voir que la maladie est arrivée en Bretagne, ça fait mal au cœur. »

Les Fous de Bassan de la réserve des Sept-Îles sont également victimes de cette épidémie. © Didier Flury / Reporterre

La maladie vient s’ajouter aux difficultés auxquelles font face les oiseaux marins : « Tous ces oiseaux sont déjà affectés par les pertes de zones humides, mais aussi par le changement climatique et la baisse de la biodiversité dans les océans. Ils ont moins de nourriture », souligne Marie Delamare.

L’autre source d’inquiétude, pour les pouvoirs publics, concerne la contamination d’élevages de volailles par des oiseaux sauvages. La filière sort tout juste d’une épidémie catastrophique, qui a nécessité d’abattre 16 millions de volailles.

Élevages sous surveillance

Depuis début juin, l’ensemble de la France est repassé en risque « négligeable ». Dans les départements touchés par ces cas de grippe aviaire chez les oiseaux marins, les préfectures ont cependant mis en place des « zones de contrôle temporaires », où les volailles doivent être confinées. Cela concerne par exemple des communes littorales de la Somme, du Pas-de-Calais, des Côtes-d’Armor ou encore de Seine-Maritime.

Pour le moment, aucun élevage n’a été contaminé, se félicite Anne Van De Wiele. Le scénario catastrophe serait que le virus soit transporté par des oiseaux migrateurs sur la façade atlantique de la France, où les élevages de canards et autres volailles sont très nombreux.

À leur échelle, les promeneurs peuvent jouer un rôle pour limiter la propagation de l’épidémie. Si l’on trouve un oiseau marin mort, il ne faut surtout pas y toucher, et appeler la préfecture. S’il est malade, Anne Van De Wiele conseille de contacter un centre de soin pour la faune sauvage.

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