La loi Climat a subi d’énormes reculs à l’Assemblée

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Après deux semaines de débats, la commission spéciale a officiellement adopté la loi Climat le 19 mars. Les amendements portés par la majorité l’ont encore plus éloignée du travail de la Convention citoyenne. Prochaine étape : la séance plénière à la fin du mois.
La commission spéciale a officiellement adopté la loi Climat vendredi 19 mars à une heure du matin — elle doit désormais être débattue en séance plénière à partir du 29 mars. « Regarder des députés à 22 h en semaine, ça ne m’était jamais arrivé », s’amuse William Aucant, l’un des cent cinquante citoyens et citoyennes de la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Il a suivi avec attention les débats parlementaires en commission. Et pour cause, Emmanuel Macron lui avait fait une promesse le 14 décembre 2020 : « On ira au bout de chaque proposition que vous avez faite » avait assuré le président de la République. « Rien ne se fera derrière le rideau », lançait-il encore. Las, le projet de loi présenté par le gouvernement est largement décrié pour son « manque d’ambition » et les recommandations de la CCC, édulcorées. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, avait pourtant affirmé à Reporterre qu’elle « n’accepterait aucune baisse d’ambition dans l’examen parlementaire » du texte.
Après deux semaines — et plus de cent heures — de débats, la présidente de la commission spéciale Laurence Maillart Méhaignerie confesse sa fatigue mais relève la « qualité et l’intensité » des propos échangés. « On n’a jamais eu à examiner autant d’amendements. Cette loi nous a permis de reprendre les propositions de la CCC inspirées du quotidien, de les cranter dans ce texte et de répondre à leurs ambitions », se réjouit-elle.
Un « recul majeur » sur la rénovation énergétique
Pourtant, plusieurs amendements déposés et adoptés par la majorité sont allés dans le sens contraire de « l’ambition » du texte : ils ont limité la portée de certains articles ou ajouté des dérogations. C’est le cas par exemple de l’amendement de la députée Aurore Bergé. Il prévoit des exceptions à la généralisation des consignes en verre, qui était pourtant inscrite dans le texte et devait être effective en 2025. « On prend en compte l’inquiétude des filières », a-t-elle déclaré.
Mickaël Nogal, député de la majorité et rapporteur thématique de cette commission, a, lui, déposé un amendement adopté le 14 mars sur la rénovation énergétique. Une rénovation pourra désormais être qualifiée de « performante » dès que le logement rénové est classé C au diagnostic de performance énergétique. Une étiquette bien trop basse pour nombre d’associations écologistes. « Mieux que rien ? Pas vraiment ! Cela reviendra à financer des travaux pour très peu de résultats. Ça ne permettra ni de réduire significativement la précarité ni d’atteindre nos objectifs climat », a réagi Greenpeace. Pour Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, cet amendement est l’un des « reculs majeurs » de cette loi Climat. « C’est exactement l’inverse des recommandations du Haut Conseil pour le climat, et cela représente des quantités énormes en matière d’émission de CO2 », dit-elle à Reporterre.
Quant au chapitre sur la publicité, l’ensemble des dispositions repose sur des « codes de bonne conduite » et des « engagements volontaires » pour encadrer ce secteur — seule la publicité pour les énergies fossiles est interdite. Selon le Réseau Action Climat, « ce type d’engagements volontaires, actuellement mis en œuvre dans le secteur alimentaire, a pourtant fait la preuve de son inefficacité ».
« Le gouvernement a tout fait pour que les entrepôts de e-commerce ne soient pas intégrés dans le moratoire »
Coup dur aussi pour la lutte contre l’artificialisation des sols : la majorité a opté pour des délais qu’elle juge « plus raisonnables », et repoussé la date butoir de la révision des documents d’urbanisme. Ce retard majeur irrite Alma Dufour, chargée de campagne aux Amis de la Terre : « Les délais ont été allongés jusqu’en 2027, ça n’a aucun sens. Le gouvernement a également tout fait pour que les entrepôts de commerce en ligne ne soient pas intégrés dans le moratoire. Amazon pourra continuer d’installer ses entrepôts et d’artificialiser les sols, comme à Rouen. »

Autre motif d’énervement des députés soucieux d’écologie : la commande de nombreux rapports — une étude de France Stratégie sur le commerce en ligne a par exemple été remise au gouvernement le 12 mars, l’enjoignant à prendre des mesures rapides. « Nous avons toutes les données scientifiques nécessaires, on n’en est plus à demander des rapports, déplore Delphine Batho, l’urgence, c’est de prendre des décisions concrètes. » C’est une « mascarade parlementaire », dit aussi le député de la France insoumise Loïc Prud’homme. « Les seules propositions de la CCC reprises dans la loi sont les moins impactantes. C’est un coup de com’ du gouvernement. Ce qui me désole le plus, c’est qu’on perd encore du temps face à l’urgence climatique. »
Des conditions de débats expéditives
Pour donner une seconde chance à leur travail, les citoyennes et citoyens de la CCC comptaient sur les députés de l’opposition : ces derniers auraient pu porter leurs propositions à l’Assemblée sous forme d’amendements. Rénovation énergétique, artificialisation des sols, encadrements de la publicité… À la veille du début des débats en commission le 8 mars, plus de 5.000 amendements avaient été déposés. Du jamais vu pour une loi de ce type. « Signe que ce texte n’avait aucune ambition de base », estime l’équipe parlementaire du député de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin. Le hic : une grande majorité des amendements ne pourront pas être débattus en séance plénière, à partir du 29 mars, car déclarés irrecevables, souvent sans justification. « Il y a même eu des amendements quasi identiques. Mais l’un, venant de la majorité, était adopté, l’autre, de l’opposition, jugé irrecevable », dit à Reporterre Paula Forteza, députée du groupe Écologie Démocratie Solidarité (EDS). « Il faut une doctrine claire et partagée pour les irrecevabilités et il faut définir des voies de recours. » Elle qui a quitté le groupe La République en Marche en 2020 a eu un aperçu de ces méthodes : « Lorsque nos amendements étaient déclarés irrecevables, s’il y avait un intérêt politique, l’amendement était parfois adopté comme par magie. Ce sont des pratiques courantes et pas du tout démocratiques. » Ces allégations sont un « procès politique », selon Laurence Maillart Méhaignerie, et une vaine polémique : « J’ai eu à cœur de donner la parole à tous les groupes durant ces deux semaines, et des justifications seront apportées aux députés sur l’irrecevabilité de leurs amendements. »
Difficile pour les députés de l’opposition d’être optimistes. « C’est un examen de la loi au pas de charge, regrette Delphine Batho. On n’a consacrée qu’une poignée de minutes sur des sujets extrêmement importants comme les engrais azotés. » On peut d’ores et déjà craindre que les débats dans l’hémicycle du Palais Bourbon, à partir du 29 mars, seront tout aussi expéditifs. Mardi 9 mars, la conférence des présidents de l’Assemblée a fixé un temps législatif programmé : les groupes politiques devront se partager quarante-cinq heures de prise de parole en séance plénière. Les vingt-trois députés non inscrits, dont font partie les écologistes, devront eux se partager environ cinquante minutes pour les débats. « Une bonne technique pour bâillonner les écologistes, qui sont pourtant le mieux renseignés sur ces sujets », conclut l’équipe parlementaire de Matthieu Orphelin
De nombreux députés et des associations de préservation de l’environnement appellent à une marche nationale le 28 mars pour une « vraie loi Climat » dans toute la France. William Aucant, l’un des citoyens de la CCC sera présent à celle de Nantes. « C’est important d’y être. Nous, les cent cinquante citoyens, nous sommes mis d’accord sur les objectifs et on les a transmis au gouvernement en pensant que ça allait changer les choses. Mais il manque le muscle, la volonté politique. »