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EnquêteÉnergie

La loi de transition énergétique consacre la souveraineté du nucléaire en France

La loi de transition énergétique arrive ce mercredi sur les bancs de l’assemblée nationale après plus de deux ans de préparation. Présentée comme une des lois majeures du quinquennat Hollande, elle déçoit la plupart des acteurs écologistes et renforce la puissance d’EDF. Reporterre dévoile les enjeux du débat, en racontant l’histoire d’un texte soumis à la pression des lobbies.


« C’est un des textes importants les plus importants du quinquennat ». Il y a un an, en ouverture de la dernière Conférence Environnementale, François Hollande le martelait encore : la loi de transition énergétique devait être une priorité de son quinquennat. C’était un engagement important de sa campagne présidentielle : « Une urgence et une chance » selon le titre III du fameux accord PS-EELV de novembre 2011.

Réduire la part du nucléaire de 70 à 50 % d’ici 2025, rénover 500 000 logements par an, développer les énergies renouvelables, François Hollande avait alors lancé nombre de promesses, parmi lesquelles, celle symbolique, de la fermeture de Fessenheim. (Voir ici le débat de l’entre-deux-tours face à Nicolas Sarkozy.)

Des promesses qu’il faut replacer dans le contexte d’un accord négocié avec les écologistes par sa « rivale », Martine Aubry, quelques mois seulement après Fukushima. Mais des promesses qui, aujourd’hui, supportent mal l’épreuve de vérité. Annoncée pour l’automne 2013, puis successivement repoussée, la loi de transition énergétique arrive enfin sur les bancs de l’assemblée nationale.

Un débat mouvementé

Entre-temps, elle est passée par un grand débat national sur la transition énergétique, autre engagement présidentiel de François Hollande. Avant même qu’il n’ait commencé, en novembre 2012, Greenpeace et les Amis de la terre avaient annoncé qu’ils n’y participeraient pas. Les deux ONG dénonçaient la présence d’une pro-nucléaire bien connue, Anne Lauvergeon, dans le comité de pilotage du débat (lire ici et ici).

Le débat réussit toutefois à réunir agents économiques, collectivités territoriales, syndicats et société civile autour de la table. « Il a été haut en qualité et compétences », se satisfait Maryse Arditi, en charge de l’énergie à France Nature Environnement.

Mais après plusieurs mois de discussions, au moment du rendu des conclusions en juillet 2013, le MEDEF refuse de signer. Il obtient ainsi que ces « recommandations » deviennent une simple « synthèse ». Un glissement sémantique qui veut tout dire pour Karine Gavand, responsable des affaires publiques à Greenpeace France :

« Ils ont fait blocage juste deux semaines après l’éviction de Delphine Batho, qui avait dénoncé la pression des groupes économiques sur le débat. Le MEDEF a envoyé une menace très claire au nouveau ministre de l’écologie Philippe Martin, menaçant d’infliger une défaite au gouvernement. »

- Delphine Batho -

Un lobbying effréné du patron d’EDF

Le débat terminé en juillet 2013, les associations se préparaient à travailler sur une première mouture du texte dès septembre. Mais rien n’est venu. Il a fallu attendre le 18 juin 2014 pour que Ségolène Royal, quatrième ministre de l’écologie depuis le début du mandat présidentiel, présente enfin son projet de loi. Sans que la pression ne retombe.

« Le patron d’EDF Henri Proglio a mené un lobbying effréné, affirme Maryse Arditi. Il disait que ce n’était pas la peine de fermer des centrales puisque notre consommation d’énergie va augmenter… Et il y a aussi eu un lobbying effréné des banques, qui ne veulent pas financer la transition énergétique ». En témoigne l’homérique bataille autour du tiers-financement (il s’agit de l’aide aux ménages pauvres pour financer la rénovation énergétique de leur logement), point chaud de la conférence bancaire et financière de la transition énergétique.

Un décalage complet entre l’ambition et les moyens

Après quatre ministres et deux ans et demi de travail et de débats, que reste-t-il des promesses de François Hollande dans le texte qui arrive devant les députés ? La réduction de la part du nucléaire de 75 à 50 % d’ici 2025 est toujours là ; l’objectif des 500.000 logements rénovés n’est en revanche pas réaffirmé ; quant à la centrale de Fessenheim, sa fermeture n’est pas clairement mentionnée - il n’y aurait pas besoin d’une loi pour cela, affirment plusieurs sources à Reporterre.

Le texte se plafonne la production d’énergie nucléaire à son niveau actuel, 63 gigawatts.Si EDF veut ouvrir l’EPR de Flamanville, il devra fermer deux réacteurs, par exemple ceux de Fessenheim. Mais le parc pourrait aussi rester à son niveau, sans avoir à baisser, ce qui est l’intention du lobby nucléariste.

Les chiffres sont tout de même salués par les associations environnementales. « C’est la première fois en France qu’un Président de la République dit que l’on peut réduire la part du nucléaire », note Cyrille Cormier de Greenpeace.

La première partie du texte fixe de grands objectifs de long terme : diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, diviser par deux la consommation d’énergie, avoir 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’ici 2030. Mais les ONG constatent un décalage complet entre l’ambition de la loi et les moyens d’y parvenir.

"Le titre 1 pose les bons débats et les bons enjeux. Cela pose le texte comme une vraie loi d’orientation”, estime Nicolas Garnier, délégué général de l’association de collectivités territoriales AMORCE. "Mais dans les titres suivants, il y a des morceaux tellement techniques que même moi je ne les comprends pas ! Des points aussi subtils n’ont pas leur place dans une loi d’orientation. Aucun des objectifs du titre 1 ne sera atteint en l’état actuel”, déplore-t-il.

"Le projet de loi est favorable au maintien de la puissance d’EDF."

Par exemple, il espérait que cette loi permettrait une évolution dans la gouvernance de l’énergie en France, aujourd’hui très centralisée. EDF, ErDF et l’Etat laissent peu de marges de manoeuvres aux territoires, pourtant en première ligne quand il s’agit de développer les énergies renouvelables.

“On aurait voulu que les collectivités récupèrent le contrôle des réseaux d’énergie, mais on ne l’a pas obtenu. Il y a une volonté de mobiliser les collectivités, mais pas de leur donner plus de pouvoir.” Si ceux qui font la politique énergétique restent les mêmes, peut-on vraiment s’engager dans une transition ?

A Greenpeace, Cyrille Cormier renchérit : « Le projet de loi est favorable au maintien de la puissance d’EDF. Par exemple dans le titre 8 de la loi, il est dit qu’EDF fournit un plan stratégique, mais il ne peut pas être contesté. Donc s’il ne prévoit pas la diminution de la part du nucléaire, le gouvernement ne peut pas l’imposer. »

Même son de cloche chez France Nature Environnement avec Maryse Arditi, pour qui “on n’y arrivera pas en l’état actuel du texte : il faut absolument améliorer le court et moyen terme.” Exemple sur les énergies renouvelables, qui doivent atteindre 32 % du mix énergétique en 2030 mais sans aucun objectif intermédiaire de fixé.

Autre pan essentiel du texte, les mesures pour accélérer la rénovation des logements, qui doivent permettre d’importantes économies d’énergie : “C’est la clé de la transition énergétique, insiste Maryse Arditi. Si on ne va pas à fond dans la rénovation des bâtiments, on n’y arrivera pas.” Le texte à la sortie du ministère était clairement “insuffisant” sur le sujet, mais la bénévole se félicite de quelques améliorations lors du passage devant les députés en commission la semaine dernière.

Des contradictions

La loi va même jusqu’à se contredire sur certains points. Elle affiche l’ambition de diminuer la consommation d’énergie… Mais elle maintient la capacité de production du parc nucléaire à 63 gigawatts, auxquels elle ajoute le développement des énergies renouvelables.

Ce qui au final permet une augmentation de la consommation d’électricité. Reporterre avait d’ailleurs posé une question sur ce point à Ségolène Royal, qui avait alors refusé de répondre…

“La lutte n’est plus sur la sortie du nucléaire, seulement sur la sortie du tout-nucléaire…” dénonce Didier Thévenieau, responsable du pôle énergie au Parti de gauche. Maintenir le nucléaire par l’électrification massive des usages, voilà le rôle de la voiture électrique au coeur du projet de loi. “Une aberration”, pour cet homme politique. Tandis que la députée Nouvelle Donne Isabelle Attard y voit un “pis-aller”, symbole de l’abandon des questions de transports dans la loi.

Par rapport aux préconisations issues du débat national (lire p. 17, enjeu n°6 : ici), Anne Bringault regrette l’abandon des principales mesures : “Rien n’a été fait dans la loi pour lutter contre l’étalement urbain, aucun sujet sur les infrastructures de transport n’a été traité et le financement des transports en commun est bloqué par le report de la taxe poids-lourd”.

Cela correspond-il à l’objectif de réduction de 30 % de la consommation des énergies fossiles en 2030 ? “Le principe est dans la loi, mais le “comment” reste largement à préciser…” souffle Anne Bringault.

Résultat ? Un “transitiomètre” qui atteint à peine les 30 %. L’outil créé récemment par deux ONG françaises permet d’évaluer la conformité du projet de loi avec ses engagements. Pour Anne Bringault, la coordinatrice des ONG, le constat est sans appel : « La loi n’est pas dans la trajectoire pour atteindre les objectifs ».

« Sans être naïf, on savait que ce ne serait pas le grand soir », admet Nicolas Garnier. « C’est une loi qui arrive très tard et qui est très limitée. C’était couru d’avance », ajoute Cyrille Cormier.

La loi de transition énergétique n’est cependant qu’un « point d’étape », selon Anne Bringault. Car tout se décidera lors du vote du budget. « En l’état actuel, je vote cette loi de transition énergétique, car elle va dans le bon sens malgré tout. Mais cela devra se vérifier avec la loi de finances, que je pourrais bien ne pas voter », explique Isabelle Attard, seule député Nouvelle Donne du Palais Bourbon.

Du côté des associations, Maryse Arditi continuera de suivre le processus législatif de près : « On ne lâche rien pour l’instant. Je n’ai pas d’illusions, à chaque étape cela n’a jamais été à la hauteur des enjeux. Mais on n’a pas bossé pendant deux ans et demi pour lâcher maintenant. »

Pour Didier Thévenieau, cette loi est tout simplement un trompe-l’œil : « Elle cherche à cacher son seul véritable objectif : sauver la croissance par le maintien du nucléaire. »

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