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Numérique

La loi pour verdir le numérique déçoit les écologistes

Dans un atelier de réparation de téléphone portable, dans l'Hérault.

Les sénateurs ont adopté, mardi 2 novembre, une proposition de loi visant à diminuer les effets négatifs du numérique sur l’environnement. Les associations écologistes sont déçues : le texte, ambitieux à l’origine, a été « saboté » par les députés de la majorité.

Le texte a été voté, mais sans convaincre les associations écologistes. Mardi 2 novembre, les sénateurs ont adopté une proposition de loi visant à « réduire l’empreinte environnementale du numérique en France ». D’après une étude commandée par les parlementaires, le numérique serait en effet responsable de 2 % des émissions de gaz à effet de serre dans le pays [1]. Un chiffre qui pourrait même atteindre 7 % en 2040.

Initiée par le sénateur Patrick Chaize (Les Républicains) en octobre 2020, la proposition de loi était alors satisfaisante. « On était assez surpris, reconnaît Alma Dufour, chargée de campagne pour les Amis de la Terre. Cette proposition était assez ambitieuse. » Sauf que son vote en première lecture, en janvier 2021, puis son passage à l’Assemblée nationale, en juin dernier, l’ont nettement affaiblie. « Après cela, il n’y avait plus de contraintes dans le texte », déplore Frédéric Bordage, fondateur du collectif Green IT, consacré à l’informatique durable.

Un exemple ? Les marques de téléphone lient automatiquement les mises à jour de sécurité et celles, secondaires, qui permettent d’installer de nouvelles applications... et finissent par surcharger l’appareil. Elles le pourront toujours. Autre exemple : les constructeurs ont l’obligation de fournir aux usagers des mises à jour pour que leur téléphone reste en bonne santé pendant deux ans. La loi entendait porter cette obligation à cinq ans : disposition retoquée. Toutes ces mesures importantes pour prolonger la durée de vie d’un équipement électronique (et donc éviter l’achat d’un matériel neuf et polluant) ont disparu lors du vote des députés. « La République en marche a fait un travail de sabotage », constate Alma Dufour.

Les députés ont même supprimé une disposition permettant d’exclure les appareils reconditionnés (les téléphones de seconde main, par exemple) d’une taxe appelée la redevance copie privée [2]. Mardi 2 novembre, les sénateurs ont accepté cette suppression. Une taxe d’une dizaine d’euros va donc désormais s’abattre sur les équipements reconditionnés [3].

Des ateliers, comme celui-ci près de Montpellier (Hérault), se chargent de reconditionner des téléphones.

« Le gouvernement marque un net recul dans la lutte contre le réchauffement climatique, en taxant les produits reconditionnés qui économisent pourtant 30 kilogrammes de CO2 par unité », a réagi dans un communiqué Rcube, une fédération de professionnels du réemploi et de la réparation. Et de poursuivre : «  [Cette loi] va augmenter le prix des appareils reconditionnés, nuisant au pouvoir d’achat des Français les plus modestes, et creusant une fracture numérique déjà bien présente. Le tout sans compter l’impact catastrophique qu’elle aura sur la filière française du reconditionné, soumise à une rude concurrence internationale d’acteurs aux pratiques souvent déloyales. » En 2020, 2,6 millions de smartphones reconditionnés ont été vendus en France, contre 16 millions de neufs.

Un sentiment de gâchis

Les sénateurs ont fait savoir qu’ils étaient déçus de cette disposition, mais ont tout de même voté le texte pour que le reste puisse entrer en application. « Nous demandons au gouvernement de prendre dès à présent des mesures de soutien » pour le secteur du reconditionné, ont réagi les sénateurs écologistes dans un communiqué.

Certaines associations écologistes ont un sentiment de gâchis. « Nous ne voulions pas que cette loi soit adoptée en l’état, explique Alma Dufour, des Amis de la Terre. Il n’y a que des reculs. On ne peut pas en plus se permettre d’avoir un gouvernement qui prétend réduire son empreinte environnementale grâce à cette loi. » Selon elle, le texte n’aura aucun effet positif.

Frédéric Bordage, fondateur du collectif Green IT, est plus optimiste. « Il faut tout de même saluer les deux premiers articles sur l’éducation, ce sont des progrès notables », affirme-t-il. La législation prévoit désormais « dans les écoles et les établissements d’enseignement » une formation de « sensibilisation à l’impact environnemental des outils numériques » et « un volet relatif à la sobriété numérique ». Les formations d’ingénieur devront également comporter un module relatif à l’écoconception et à la sobriété des services numériques.

« Après dix ans de plaidoyers pour ces mesures, les voir dans la loi, ça fait du bien. Et il y a quelques belles avancées dans ce texte », se réjouit Frédéric Bordage. Il regrette toutefois qu’il n’y ait pas dans la loi d’obligation de consigne sur les appareils numériques, ni de contrôle technique impératif sur les équipements reconditionnés (pour pallier la défiance que peuvent avoir certains consommateurs envers la seconde main électronique).

Le texte final impose la suppression de l’obligation de fournir des écouteurs lors de la vente de téléphone portable, la mise en place de systèmes de collecte d’équipements numériques (avec une prime au retour) et la création d’un « observatoire des impacts environnementaux du numérique ».

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