La loi sur la responsabilité internationale des entreprises est adoptée

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Économie MondeLa loi sanctionnant la responsabilité des entreprises en cas de dommages commis à l’étranger a été votée lundi à l’Assemblée nationale. Affaiblie par la pression du patronat, elle constitue néanmoins une avancée.
Le drame de l’effondrement du Rana Plaza, il y a presque deux ans, est encore dans toutes les têtes. Celui des « minerais de sang » en République démocratique du Congo, un peu moins. Deux drames qui rappellent que, derrière ces objets de consommation produits aux quatre coins de monde – le textile au Bangladesh et le coltan des téléphones portables en Afrique, parmi d’autres exemples –, les entreprises responsables de monstrueuses violations des droits humains et environnementaux restent impunies.
C’est ce que veut modifier la loi "sur le devoir de vigilance", adoptée lundi 30 mars à l’Assemblée nationale. Le texte vise à responsabiliser les entreprises quant à leur condition de production en France et à l’étranger. « Une avancée historique » selon l’alliance des associations et des syndicats qui travaille depuis plusieurs années à faire adopter cette législation. Aux côtés d’Amnesty International, du CCFD, de Sherpa, de Peuples Solidaires ou du collectif Ethique sur étiquettes, Les Amis de la Terre militent pour l’encadrement des activités des multinationales, « une demande historique de notre association, qui alerte également sur cet enjeu avec les Prix Pinocchio » explique Juliette Renaud, chargée de campagne sur cette question.

Les associations pourront saisir le juge si les entreprises ne respectent pas leurs obligations
La loi oblige dorénavant les sociétés-mère à établir un plan de vigilance en prévention des accidents. Un plan qui doit permettre de prévenir la survenance de ces accidents, grâce à une cartographie des risques par pays, une procédure d’alerte, des audits sociaux et environnementaux ainsi qu’une formation des salariés.
D’autre part, la loi propose d’engager la responsabilité civile des entreprises pour les préjudices qu’elles auraient pu éviter. Les associations pourront ainsi saisir le juge si elles constatent que les obligations n’ont pas été respectées.
C’est un pas important puisque, jusqu’alors, les grandes entreprises françaises bénéficiaient d’une quasi-impunité : les conditions de travail invivables imposées aux salariés des pays du sud et les accidents dramatiques déjà survenus, n’engageaient que rarement les maisons mères pourtant donneuses d’ordres. Une belle avancée donc, néanmoins victime du rabotage des lobbys industriels et économiques.
Un bras de fer avec le lobby des grandes entreprises
Car le texte voté hier n’est qu’une version affaiblie d’un premier, finalement renvoyé en commission par les députés à la fin du mois de janvier. Comme l’avait relaté Reporterre, les socialistes avaient rejeté le texte porté à l’époque par la député écologiste Danielle Auroi, car il n’était pas jugé « assez souple »...
Le rapport de force est compliqué. Mathilde Dupré, responsable de la RSE au CCFD-Terre Solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement), dénonce une "mobilisation des entreprises pour que la loi ne passe pas".
- Ecouter Mathilde Dupré :

Selon Juliette Renaud, c’est donc une nouvelle version « réécrite sous le regard attentif des lobbys à Bercy » qui s’est présentée aux députés lundi, qui affaiblit les obligations : seules les entreprises comptant plus de 5 000 salariés en France et 10 000 à l’étranger sont désormais concernées : "La mesure ne s’appliquera plus qu’à environ 150 entreprises françaises. Mais il faudrait que le seuil soit à 500 salariés, car sinon, la majorité des entreprises dans le secteur du textile et de l’extraction ne sont pas couvertes". Dans le secteur énergétique, des entreprises telles que Perenco – impliquée dans plusieurs problèmes environnementaux – pourraient ainsi échapper à la législation.
Une autre différence distingue la nouvelle proposition : "C’est un dispositif moins favorable aux victimes, puisque dans la première version c’était à l’entreprise de démontrer qu’elle a été vigilante, alors que maintenant c’est aux victimes de prouver la responsabilité de l’entreprise", explique Mathilde Dupré. Une démarche loin d’être évidente puisque les ouvriers n’auront pas accès aux documents internes des multinationales et que l’aide juridique ne pourra être assumée que par des associations reconnues d’utilité publique. Pour Juliette Renaud, « le renversement de la charge de la preuve était un des points les plus ambitieux du premier texte, son absence en fait une des plus grandes faiblesses de la nouvelle version ».
De son côté, le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) continue de s’opposer à toutes entraves. Dans une conférence de presse le 17 mars, son président Pierre Gattaz a expliqué que "plus vous êtes gros, moins vous êtes capable de maîtriser dans le détail la batterie de fournisseurs ou de sous-traitant que vous avez en cascade". Il craint « les contraintes et sanctions pesant sur les entreprises françaises alors qu’on évolue dans le monde entier ». Ces déclarations consternent les responsables associatifs : « Cela veut-il dire que la compétitivité française se construit au détriment des droits humains et environnementaux ? » interroge Juliette Renaud. Du côté du CCFD, on fait valoir qu’une efficacité au niveau international doit nécessairement passer par une législation nationale.
Cependant, on peut voir avec l’adoption de ce texte « une avancée certaine par rapport à la situation actuelle ». Mais le chemin reste encore long, et les discussions au Sénat, qui va à son tour examiner le texte, pourraient menacer cette avancée.