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ChroniqueNoël Mamère

La loi sur le travail est un assaut contre l’écologie du quotidien

La loi sur le travail concoctée par le gouvernement s’inscrit dans la fuite « délirante » du gouvernement pour imposer une société du tout-jetable et du soupçon, explique Noël Mamère.

Noël Mamère est député écologiste.

Noël Mamère

Tout est lié : les lois sur l’état d’urgence, la déchéance de nationalité, le code de procédure pénale et le travail, la prolongation de dix ans des centrales nucléaires, le retour des gaz de schiste, l’expulsion des migrants… Tous ces reculs et ces reniements portent la marque d’une société aux antipodes des aspirations de l’écologie politique et des valeurs humanistes. Dans une fuite en avant délirante, au nom de misérables calculs politiciens, le pouvoir tente d’imposer un choix de société : une société du soupçon, de l’hypersurveillance, une société du tout-jetable, où l’humain, comme la terre, n’est plus qu’une variable d’ajustement des cours de la Bourse, une société productiviste, où les lobbies détiennent tout le pouvoir, soutenus par un État réduit aux seules fonctions policière et militaire.

Si la loi présentée par Mme El Khomri ne concerne pas directement l’environnement, elle porte cependant atteinte à ce qui constitue l’écosystème du travail humain dans l’entreprise. En fragilisant les salariés, considérés comme des produits jetables et corvéables à merci, elle concerne leur santé au premier chef. Pour les écologistes, partisans de réconcilier le travail, la santé et l’environnement, notamment par le biais de la réduction du temps de travail, ce projet est régressif et anti-écologique.

L’inversion de la hiérarchie des normes

Ainsi en va-t-il de la durée maximale du travail, de la banalisation des heures supplémentaires, du calcul des horaires de nuit, de repos et d’habillement… Dans les lois sur les 35 heures, ces mesures visaient à protéger les salariés d’abus de flexibilité de la part des entreprises. Dans le projet de la gauche néoconservatrice au pouvoir, ils doivent désormais se soumettre à la variation des rythmes, à l’intensification et au travail de nuit sans possibilité de recours et même sous peine de licenciement. De la protection des mineurs en apprentissage à l’expertise des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), désormais fragilisés, tout va dans le même sens : le « grand remplacement » du modèle social, issu des luttes conduites par le mouvement ouvrier depuis 150 ans, au profit d’un modèle libéralo-productiviste, où l’être humain devient une marchandise comme les autres.

Mais l’atteinte la plus insidieuse aux droits des salariés est sans doute l’inversion de la hiérarchie des normes, qui permettra au patronat, par des référendums organisés sous son contrôle, de contourner la loi qui protège les salariés. Comme l’ont montré les initiateurs de la pétition lancée par un geek écolo, Elliot Lepers, et une militante féministe, Caroline de Haas et qui va vers le million de signataires, cela nous concerne tous et spécialement les écologistes.

L’écologie appartient à toutes et à tous. Contrairement à une opinion trop répandue, elle n’est pas le domaine réservé des classes aisées des centres-ville, mais concerne d’abord toutes celles et tous ceux qui sont les premières victimes de leur condition économique et sociale : salariés, chômeurs, paysans, précaires, retraités, travailleurs pauvres.

Affronter les conséquences du productivisme

C’est dans les entreprises que nous devons affronter les conséquences du productivisme : amiante, pollution chimique, air pollué, ondes électromagnétiques, énergie nucléaire… Ce sont d’abord les ouvriers qui meurent des cancers liés aux produits chimiques, des accidents du travail, de l’air pollué.

C’est dans les entreprises de service que les nouvelles maladies, liées au stress et à l’intensification du travail, au harcèlement psychique et à la course à la rentabilité, conduisent à la souffrance au travail voire au suicide ; ouvriers, employés, cadres du tertiaire… ils sont tous pressurés et jetés, dès lors qu’ils ne sont plus performants au regard des critères de rentabilité fixés par les actionnaires ou les petits caporaux qui les dirigent.

Myriam El Khomri, la ministre du Travail (ici en campagne pour les législatives de 2012, à Paris).

Ce sont les salariés du commerce qui subissent les effets du temps partiel imposé, d’univers sonores abrutissants ; ceux de l’agriculture qui sont les premières victimes des dangereux produits phytosanitaires ou des nitrates… Alors que la médecine comme l’inspection du travail sont de plus en plus marginalisées par la loi sur le travail. Chaque semaine, tous ces hommes et ces femmes doivent affronter de nouvelles mesures, qui aggravent leurs conditions de vie et de travail, tout en les jetant dans la précarité. Ils doivent refuser d’être relégués au rang de variables d’ajustement de la mutation alors qu’ils devraient en être les acteurs : c’est dans les entreprises qu’ils doivent porter leurs revendications et leurs luttes concernant la santé et l’environnement, l’organisation du travail, la redistribution des richesses et le partage capital/travail.

Ceux qui veulent une société plus juste, plus humaine, durable, équilibrée

C’est pour cela que la manifestation du 9 mars, appelée par les organisations de jeunesse, par les confédérations CGT et Solidaires et par les initiateurs des pétitions et des sites contre la loi El Khomri, est très importante. C’est la première fois que, sous un gouvernement de gauche (?), est organisée une convergence massive des luttes contre une société productiviste du tout-jetable.

Le débat n’est plus entre écologie à gauche ou ni droite ni gauche, mais entre ceux qui veulent une société plus juste, plus humaine, durable, équilibrée, qui respecte les personnes et les biens communs et les prédateurs sociaux, financiers, qui détruisent la planète et ceux qui y habitent.

Ce gouvernement de la gauche réac ose tout. Il a même tenté de pervertir l’écologie en achetant à vil prix trois égarés qui ont accepté d’être humiliés au quotidien en accédant à des strapontins de sous-ministres. Ni les manœuvres politiciennes ni les manipulations n’empêcheront ceux qui manifestaient à Notre-Dame-des-Landes ou contre les gaz de schiste le week-end dernier de se joindre en masse à la jeunesse et aux salariés en colère. Le vrai changement pour une société écologique, c’est maintenant, et par le bas. Oui, les écolos, nous le pouvons !

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