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Nature

La nature de l’homme : faire la guerre à la nature

Depuis trois millions d’années, explique Laurent Testot, dans « Cataclysmes », l’humanité fait la guerre à la nature. Mais, si l’homme est « une machine à tuer », il est aussi capable de coopération, qualité qu’il est plus que temps de mettre en branle.

Rendons grâce à la publication de Cataclysmes en format poche. Elle offre au critique l’occasion de se racheter et de parler d’un livre injustement passé sous silence dans ces colonnes à sa sortie en 2018. Car c’est un livre passionnant (couronné par l’Académie française), érudit mais fluide, ambitieux mais solidement étayé — comme on le dirait d’un bâtiment — que nous offre l’auteur, Laurent Testot, un journaliste davantage familier des revues de sciences humaines et d’histoire que de la rubrique sports ou faits divers [1].

Les relations entre l’homme et la nature constituent le fil conducteur de l’ouvrage, qui couvre plus de trois millions d’années, des premiers bipèdes à l’homme du XXIe siècle. La période est démesurée, vertigineuse, pleine de bruits et de fureurs. Les lieux sont infinis, instables, changeants. Pour éviter la noyade éditoriale autant que les raccourcis trompeurs, l’auteur a eu la sagesse de donner des coups de projecteur dans la grotte infinie du temps. Il en a sélectionné sept, pour leur caractère « révolutionnaire ». Ce sont autant de jalons qui permettent de faire le point, de raconter l’émergence et le triomphe d’Homo sapiens, de comprendre la domestication du chien et la place de l’éléphant dans l’histoire, de sauter du continent américain à l’Australie et des Aztèques aux aborigènes, de voir naître sous nos yeux des kyrielles de religions et d’école de pensée sur une période relativement brève, d’assister aux triomphes d’empires guerriers et à leur chute, de voir la végétation d’un continent changer du tout au tout sous l’influence des humains, de saisir les conséquences d’une modification brutale du climat au lendemain d’une éruption volcanique… L’histoire est saucissonnée mais globale.

« Nous sommes devenus les seigneurs du monde » 

De ce voyage au long cours, qui s’appuie sur une bibliographie imposante (largement anglo-américaine), émergent deux constats clés. Le premier concerne le lien entre l’homme et la nature, les deux acteurs du livre. Depuis toujours, ces deux-là sont inséparables. L’un ne va pas sans l’autre. L’espèce humaine influence la nature autant que celle-ci pèse sur l’homme. Sauf qu’entre eux, il s’agit moins d’un mariage ou d’une cohabitation que d’un combat permanent. L’humanité « livre une guerre à la planète », écrit Laurent Testot qui, entre deux exemples, ajoute : « Nous avons dompté l’énergie sous forme de feu. Nous avons brûlé les couverts forestiers, détruit les grands animaux, colonisé et altéré tous les biotopes de la Terre (…) Nous sommes devenus les seigneurs du monde » avant de le domestiquer progressivement à notre seul profit.

Mais à quel prix, cette victoire ? Quel est le montant de la facture ? Et qui pour la payer ? « Tel Prométhée, écrit encore Testot, nous avons dompté le feu [avant de] découvrir qu’il nous dévore de l’intérieur. [L’Homme] a terrassé les épidémies, il vit mieux et plus longtemps. Mais il le paye de cancers, de diabètes et de maladies cardio-vasculaires, dont une bonne part est causée par les invisibles altérations qu’il a infligées à l’environnement. »

L’autre idée-force de l’ouvrage touche à la nature de l’homme. L’histoire longue témoigne qu’il est une « machine à tuer », conditionné pour « penser en termes offensifs », « un hyper prédateur [en] état permanent de belligérance » avec l’environnement. Mais, ajoute Testot, l’être humain n’est pas fait d’une seule pâte. Il également capable d’empathie, de compassion, et ce trait spécifique « nous permet d’opérer des miracles de coopération au point de briser les limites naturelles auxquelles le reste du vivant est soumis ».

C’est ce volet positif qu’il faut actionner pour réparer les dégâts commis à l’heure du réchauffement climatique, insiste Laurent Testot, en homme raisonnablement optimiste (ce que le titre de l’ouvrage ne laisse pas deviner). « L’homme doit se réveiller d’urgence, conclut-il. Il lui est encore possible de changer le regard qu’il porte sur le Monde, ce qui revient à mettre en cause sa nature même. Ne plus rêver d’amoralité, mais s’employer à donner la pleine mesure de son altruisme. L’étendre à toute l’humanité et aux animaux. »


  • Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, de Laurent Testot, éditions Payot-Rivages, petite bibliothèque Payot septembre 2018, 700 p., 11 €.

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