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Europe

Le Parlement européen autorise les constructeurs automobiles à polluer plus

Les eurodéputés ont autorisé le 3 février les véhicules diesel à émettre deux fois plus de gaz polluants que ne l’autorisent les dernières normes. Une décision dictée par un « comité technique » dont personne ne connaît la composition.

Les constructeurs automobiles peuvent continuer à polluer en paix. Mercredi 3 février, le Parlement européen les a autorisé à dépasser les normes d’émission d’oxydes d’azote (NOx), fixées à 80 mg/km depuis septembre 2015, de 110 % jusqu’en 2020 (soit deux fois plus !) et de 50 % ensuite. 323 eurodéputés (contre 317 et 61 abstentions) ont rejeté l’objection de la commission Environnement et santé publique du Parlement européen, qui invitait la Commission européenne à revenir sur ces autorisations de dépassement et à proposer un nouveau texte d’ici le 1er avril 2016.

D’après les chiffres avancés dans ce document de la commission Environnement et santé publique, la pollution de l’air cause environ 430.000 décès prématurés par an dans l’Union européenne, en raison de ses impacts sur la santé des Européens. Les NOx, principaux polluants émis par les moteurs diesel, provoquent cancers, asthme et maladies respiratoires.

« Les constructeurs ont déjà eu presque dix ans pour s’adapter aux nouvelles normes » 

Cette décision intervient alors qu’un nouveau protocole d’homologation, baptisé Procédure mondiale harmonisée d’essai pour les véhicules légers (Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures, WLTP), et comprenant un test en conditions réelles, devrait être instauré dans l’Union européenne en septembre 2017. En effet, le cycle NEDC, test d’homologation en laboratoire entré en vigueur dans les années 1970, « n’est pas représentatif des émissions des véhicules lors de leur usage réel, ce qui conduit à sous-estimer, entre autres, les émissions de NOx des véhicules Diesel », estimait l’Ademe en juin 2014. Les écarts constatés sont de l’ordre de 40 %.

C’est cet état de fait qui a décidé Françoise Grossetête, eurodéputée (Les Républicains), à voter en faveur des dépassements de normes. « Ce n’est pas un relèvement des valeurs limites d’émission mais ce sont de nouvelles valeurs limites qui s’appliqueront aux nouveaux tests, complètement différents et bien plus fiables et sérieux, écrit à Reporterre Hugues Hinterlang, du bureau de l’eurodéputée. Cette transition vers des nouveaux tests ne pouvait pas se faire avec des limites aussi strictes ! »

« Le rejet de l’objection permet d’éviter le statu quo, poursuit-il. Un statu quo qui aurait pu arranger les industriels afin de continuer à réaliser des tests peu scrupuleux. En effet, si l’objection avait été adoptée, cela aurait paralysé pendant plusieurs années la mise en place de ces nouveaux tests pourtant souhaités par tous. En outre, les valeurs limites seront révisées au fur et à mesure des années pour améliorer la performance de ces tests. »

L’hémicycle du Parlement européen, à Strasbourg, où siègent 751 eurodéputés.

Mais pour Michèle Rivasi, députée Verts-ALE, l’argument ne tient pas. « Les constructeurs européens ont déjà eu presque dix ans pour s’adapter aux nouvelles normes en matière d’émission de NOx, puisque le Parlement les avait votées en 2007, enrage l’eurodéputée, membre de la commission Environnement et santé publique, dans un communiqué de presse. Il n’y a donc plus d’excuse et le Parlement aurait dû être intraitable vis-à-vis des constructeurs qui, contrairement à d’autres, n’ont pas investi dans des technologies performantes et pour des emplois durables. »

Sur les conseils d’un comité à la composition secrète

Karima Delli, membre Verts-ALE de la commission Transports et de la commission d’enquête sur les infractions à la législation relative aux émissions polluantes du secteur automobile, n’entend pas en rester là : « Nous étudierons les moyens de saisir la Cour européenne de justice pour non-respect des normes. » Pour l’eurodéputée, « le vote [du mercredi 3 février] est une faute politique et une occasion manquée pour le Parlement de mettre son veto à une décision à la fois illégale et antidémocratique ».

En effet, la Commission européenne proposait à l’origine des autorisations de dépassement plus restrictives : 60 % à partir de 2017. Mais la réglementation a finalement été rédigée par un comité d’experts mis en place en 2011 à Bruxelles, le Technical Committee on Motor Vehicles (TCVM), dont la composition n’est pas connue. « J’ai demandé à la Commission européenne quelle était la composition du TCMV, et de me fournir les comptes rendus de ses réunions ainsi que le relevé des conclusions. Il nous a été répondu tout à l’heure que le compte rendu serait disponible dans quinze jours ; surtout, notre interlocuteur nous a fait savoir qu’il n’était pas autorisé à diffuser la liste des participants à ce comité – ce qui pose un problème de transparence », soulignait le 3 novembre 2015 Delphine Batho, en sa qualité de rapporteure de la mission d’information sur l’offre automobile française, à l’Assemblée nationale.

Plusieurs centaines de comités de ce genre sont chargés par la Commission européenne d’élaborer les normes les plus techniques. Le Parlement européen dispose de trois mois pour s’opposer aux règles issues de cette « comitologie », sans quoi elles sont appliquées d’office.

 Processus pour renforcer les contrôles

Suite au scandale Volkswagen (11 millions de véhicules diesel du constructeur allemand équipés d’un logiciel capable de fausser les résultats des tests antipollution), d’autres processus européens devraient quand même contribuer à renforcer les contrôles antipollution.

Le 27 janvier, la Commission européenne a proposé un règlement visant à durcir les conditions d’homologation de son parc automobile. Cette « proposition de règlement relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur » représente une réforme substantielle de la directive de 2007 en donnant de nouveaux pouvoirs :

-  Accroître l’indépendance et la qualité des tests, en évitant les relations financières sources de conflits d’intérêt entre les constructeurs automobiles et les agences d’homologation (un problème déjà soulevé par l’Assemblée nationale française), et en soumettant ces agences à des audits indépendants réguliers ;
-  Surveiller le parc automobile en procédant à des contrôles inopinés sur des véhicules tirés au hasard ;
-  Rappeler des véhicules et infliger des sanctions financières – jusqu’à 30 000 euros par véhicule – aux agences d’homologation jugées trop laxistes.

Le projet de règlement a été transmis au Parlement européen et au Conseil pour adoption. Elzbieta Bienkowska, la commissaire qui porte le projet, espère une mise en œuvre d’ici fin 2016.

Par ailleurs, une commission d’enquête sur le scandale Volkswagen a été mise en place par le Parlement européen à la demande de Mme Delli. Composée de 45 membres nommés au prorata des groupes politiques au Parlement, cette commission d’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile (Emis) se réunira pour la première fois le 15 février. « C’est la première commission de ce type depuis seize ans. La dernière travaillait sur la vache folle », souligne l’eurodéputée française. Objectif : déterminer les responsabilités et identifier qui était au courant des agissements du groupe automobile allemand. « Nous voulons briser l’omerta dans le secteur automobile, déclare Mme Delli. On ne peut pas laisser les entreprises frauduleuses enquêter sur elles-mêmes. » La commission rendra un premier rapport au bout de six mois d’enquête, et son rapport final au bout d’un an.

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