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Agriculture

Le melon industrialisé, star cheap de l’été

Populaire chez les consommateurs, le melon a moins la cote chez les agriculteurs. Surfaces cultivées en baisse, prix stagnants même en bio, production en partie délocalisée... Enquête sur un secteur dont les représentants rechignent à s’exprimer.

« Comment choisir un bon melon bien sucré ? » « Quand le melon se mangeait avec du poivre et du vinaigre. » « Minceur : et si le melon nous aidait à dégonfler ? » « Quatre recettes pour égayer la saison et le melon ».

Sujets enjoués, titres appétissants : avec la belle saison le melon pousse dans les champs et les étals, et communique dans les gazettes. Recettes de cuisine démontrant qu’il se mange aussi bien sucré que salé, à tous les repas et toutes les sauces ; conseils pour ne pas se tromper sur les étals (en résumé : le pédoncule qui se détache, la fermeté et la lourdeur qui indiquent une belle maturité) ; valorisation des bienfaits de ce légume — la classification agronomique le range bien parmi les légumes — désaltérant en été, plein de vitamines et faible en calories. L’appétit aiguisé par ce parfait tableau vacancier, Reporterre a été curieux de savoir ce qu’il se passait en amont.

Star des repas d’été, la consommation de melon est en hausse, contrairement à son prix. Unsplash/Elena Mozhvilo

À la lecture des journaux spécialisés et des chiffres économiques, un autre monde s’offre à nous. En 2020, les surfaces cultivées ont diminué de 6 % et les quantités produites de 1 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes, indique France Agrimer. Sur 10 ans, selon le Centre technique des fruits et légumes (CTIFL), la production a diminué de 3 % tandis que les importations augmentaient de 22 %.

La consommation de melon augmente donc, mais les producteurs français ne semblent pas en bénéficier. Car le melon ne rapporte plus assez. Les prix « n’ont pas augmenté depuis vingt ans », indiquait le magazine Réussir en mai 2020, signalant que gros et petits acteurs se détournent du fruit d’or. La désertion la plus emblématique est celle de l’entreprise Rouge Gorge, qui a cessé en 2020 toute production de melon en France. « Le melon est victime de son succès. […] C’est un produit d’appel dans les grandes surfaces, constamment en promotion […] il faut sans cesse fournir un prix bas. Ce n’est plus possible économiquement », disait à France Bleu Christophe Couteleau, patron de Rouge Gorge, contraint de supprimer 22 CDI ainsi que de très nombreux contrats précaires. L’emblématique marque a été depuis rachetée par la coopérative de producteurs Force Sud.

« Cela fait 26 ans qu’on est passés en bio, et depuis 10 ans on n’a pas augmenté les prix. »

Même le bio est entraîné dans la chute. « Cela fait 26 ans qu’on est passés en bio, et depuis 10 ans on n’a pas augmenté les prix de vente, au contraire on régresse, témoigne un producteur tout juste retraité [1]. Il y a 10 ou 15 ans, on démarrait la saison à 2,50 € le kilo. Maintenant, si on va à 1,80 € c’est bien… Et pourtant, les carburants, les charges, tout a augmenté ! Mon fils a repris, mais il diminue les surfaces. »

Et en plus de ces difficultés économiques, le melon doit faire face à un consommateur frivole, qui se détourne au moindre nuage. La demande dépend beaucoup de la météo. Les pluies du mois de juin ont par exemple freiné les achats, regrette un producteur auprès de Reporterre, qui nous confie, fataliste : « Dans le melon, on dit qu’il y a une bonne année sur trois. »

Face aux producteurs de gros, certains misent sur la qualité associée à une origine reconnue, comme le melon de Lectoure (Gers). © P-O.C./Reporterre

Où en est alors le melon français ? La production va-t-elle continuer à décliner au profit des importations ? Les melons de qualité supérieure — bio ou IGP — sont-ils l’avenir ? Comment s’organise la filière ? Comment les prix du melon se forment-ils, et pourquoi les producteurs ne sont-ils pas mieux rémunérés ? Et puis, comment produit-on le melon ? Qu’est-ce qui fait — dès le champ — qu’il sera bon ?

Nous avons donc contacté l’organisme le plus à même de répondre à cet ensemble de questions : l’association interprofessionnelle du melon. Mais après deux semaines de suspense et d’échanges, notre demande de reportage et d’interview d’un représentant de l’association a reçu une réponse négative. Impossible d’aller rencontrer un producteur adhérent sans en passer par elle. Pas possible, non plus, de choisir le producteur que nous souhaitons rencontrer. « Les producteurs sont très impactés par la crise du Covid, il faut les préserver », nous a-t-on expliqué pour justifier le refus. Et l’orientation écologique de Reporterre n’a pas « rassuré ».

« Vous êtes "Silence ça pousse" ou "Enquête exclusive" ? »

Nous ne semblions pas suivre le plan com’, à savoir, pendant l’été : contribuer à convaincre le consommateur d’acheter, éviter à tout prix toute mauvaise publicité. « Mais on n’a rien à cacher », nous a-t-on précisé. Alors que nous avons contacté par ailleurs un président de coopérative (adhérente de l’interprofession), il nous demande, méfiant : « Nous avons eu des problèmes avec certains journalistes. Vous êtes plutôt "Silence ça pousse" ou "Enquête exclusive" ? »

Nous avons donc dû chercher par nous-mêmes les réponses à nos questions, sans pouvoir les confronter à la vision de l’interprofession.

Une partie des melons français ne sont pas vraiment produits par des agriculteurs, mais par des entreprises qui louent des terres chaque année, les cultivent, puis calibrent, emballent et revendent elles-mêmes à la grande distribution ou à d’autres clients. Elles assurent ainsi à la fois deux rôles : celui du producteur et celui du « metteur en marché ». Des grossistes qui s’approvisionnent eux-mêmes, en quelque sorte, y compris en produisant à l’étranger.

L’Espagne et le Maroc, destinations de délocalisation

Ainsi, le premier producteur français de melon est la société Soldive, rachetée en 2016 par le groupe Vergers du sud. Il produit en France sur plusieurs sites, mais aussi en Espagne, au Maroc et au Sénégal [2].

Boyer SAS, qui commercialise la marque Philibon, cultive majoritairement en France métropolitaine, mais aussi aux Antilles, au Sénégal, au Maroc et en Espagne [3]. Autre protagoniste important, la coopérative Force Sud regroupe cinq producteurs français, mais exploite également au Maroc et en Espagne. Idem pour l’entreprise Val de Sérigny. D’après nos calculs, à eux quatre, ces acteurs représentent environ un quart de la production française de melons [4].

L’idée de cette production délocalisée est d’avoir du melon en toute saison. Mais aussi à tout prix ? Ces acteurs entraînent-ils les prix vers le bas, notamment en produisant aussi du melon à bas coût à l’étranger ? Voici d’autres questions que nous aurions aimé poser.

« L’agriculteur n’est plus maître du circuit de commercialisation. »

Car 500 agriculteurs vivent encore de la culture du melon en France. Et peuvent pâtir de ces politiques commerciales. « Comme pour beaucoup d’autres produits, il y a de plus en plus de gros opérateurs, qui produisent en volumes très conséquents et font baisser le prix de revient pour les producteurs. Ils inondent le marché de gros », constate Antoine Peugeot, responsable qualité du groupement de producteurs et metteurs en marché du melon de Cavaillon. « L’agriculteur n’est plus maître du circuit de commercialisation, regrette un producteur bio. C’est l’intermédiaire qui dit quel est le cours et fait le prix. On a d’un côté des agriculteurs qui arrêtent, et de l’autre des metteurs en marché qui se mettent à cultiver eux-mêmes. »

Ce phénomène questionne. Le melon est gourmand en eau et en plastique, mis au sol pour éviter les « mauvaises » herbes. Une partie de la production est aussi réalisée sous abri, c’est-à-dire que les melons sont protégés par ce que l’on appelle des « tunnels de forçage » afin d’arriver plus tôt dans la saison sur les étals. « Le réseau d’eau est saturé, on ne peut même plus prendre d’abonnements », se plaint auprès de nous le petit voisin d’une grosse exploitation. « Ils plastiquent tout. Cela a un impact sur les paysages. »

Les labels de qualité se développent, avec plus ou moins succès pour les producteurs. © P-O.C./Reporterre

Des questions environnementales que la filière assure prendre en compte, pour offrir un melon toujours meilleur. « L’évolution variétale a permis une amélioration importante de la qualité du fruit », défend le Centre technique des fruits et légumes (CTIFL). Les gros acteurs « segmentent » le marché entre melons bas de gamme produits en quantité et melons haut de gamme. Pour ces derniers, une diversité de certifications (bio, zéro résidus de pesticides, label rouge, HVE, IGP, etc) est utilisée, les quantités produites augmentent.

Le consommateur n’aurait donc a priori pas à se plaindre : du melon de meilleure qualité à prix stable. Mais cette industrialisation a ses limites, estime notre producteur bio : « Les gros acteurs louent et produisent sur des terrains qui n’ont jamais eu de melon. Donc ça vient bien. Cela permet aussi de mettre moins d’intrants. Mais ces terres ne sont pas des terroirs à melon, qui demande de l’argilo-calcaire. » Lui cultive sur un terroir spécifique et attend pour cueillir une belle maturité, au risque que le melon s’abîme et qu’il y ait des pertes. Ainsi, il assure que les détaillants se disputent son melon, apprécié car particulièrement sucré et parfumé. Pourtant, cela ne lui suffit pas à résister à la guerre des prix. Il diminue progressivement ses surfaces.

Loin de nous, donc, comme le craignait l’interprofession du melon, l’idée de dénigrer les producteurs. Ni de vous décourager de déguster du melon tant que sourit sa saison. En revanche, comme pour le reste du système agricole, se pose à la filière certaines questions : Quelle rémunération pour les producteurs ? Comment leur permettre de gagner leur vie tout en respectant l’environnement ? Et a-t-on besoin de melon à bas prix toute l’année ? À réfléchir, lors de nos prochains gourmands achats vacanciers.

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