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Le putois mérite cent fois d’être protégé

Menacés par la transformation des paysages ruraux, les putois disparaissent dans l’indifférence générale. D’où l’appel de l’auteur de cette tribune : si l’on protégeait les putois pour mieux protéger les campagnes ?

Pierre Rigaux est naturaliste et membre de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM). Il anime également une page Facebook consacrée à l’observation et à la protection des mammifères et en particulier du loup, ainsi qu’à la lutte contre la chasse.

Pierre Rigaux.

Parmi les quelque 140 espèces de mammifères sauvages répertoriées en France, le putois d’Europe n’est pas le plus menacé. Le grand hamster, le vison d’Europe et quelques autres le sont beaucoup plus. La plupart de ces espèces en situation critique sont protégées par la loi. Certes, ceci est loin de suffire pour les sauver, mais c’est au moins le signe d’un intérêt.

Le putois, lui, n’est pas protégé. Il est même classé parmi les espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (nouvelle dénomination des « nuisibles »). Ceci n’a aucun fondement scientifique. Accusé de s’en prendre aux basses-cours et aux perdrix d’élevage lâchées pour la chasse, le putois ne le fait en réalité que très rarement et de façon évitable. Il se nourrit essentiellement de petits rongeurs.

En fait, le putois est un cas d’école intéressant. Il est à la fois le symptôme de la déliquescence de la nature dite « ordinaire » et celui du mépris qu’ont les décideurs pour elle.

Ancêtres sauvages des furets domestiques, les putois d’Europe sont des petits carnivores identifiables à leur masque blanc sur fond noir. Discrets et surtout nocturnes, ils vivent dans les zones humides, dans certaines forêts claires et dans les paysages agricoles hétérogènes, riches en buissons et autres cachettes. Comprenez : loin des monocultures intensives.

Dans les années 1950 en France, les putois étaient si communs que les piégeurs en capturaient 360.000 par an. Un demi-siècle plus tard, ce massacre annuel tombait à moins de 10.000, faute de vivier.

Disparition des zones humides et des haies, développement des grandes cultures, urbanisation étalée, densification du réseau routier 

Si les piégeurs ont largement contribué à ce déclin des effectifs, ils n’en sont pas la seule cause historique. Un des facteurs les plus importants fut la transformation du paysage dans la seconde moitié du XXe siècle : disparition des zones humides et des haies, développement des grandes cultures, urbanisation étalée, densification du réseau routier. D’autres facteurs ont aussi joué, particulièrement les pollutions agricoles et industrielles, la raréfaction des proies, la chasse de loisir et diverses pathologies.

Le déclin en cours et la situation préoccupante des populations de putois sont un constat partagé, tant par les ONG spécialisées que par les organismes institutionnels, Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Dès lors, pourquoi le putois n’est-il pas inscrit sur la liste des mammifères protégés ?

Pour ça, il faut une double signature ministérielle : Écologie et Agriculture. En amont, c’est un parcours du combattant pour les demandeurs. Le dossier doit être examiné par différents bureaux et instances — Conseil national de protection de la nature (CNPN) —, pas toujours enclins à travailler sur l’éventualité d’un changement réglementaire, aussi modeste soit-il.

La demande que nous portons depuis début 2017 reste vaine. Nos interlocuteurs au ministère de la Transition écologique et solidaire nous expliquent qu’elle est trop ambitieuse par rapport à leur marge de manœuvre (!). Faut-il en rire ou en pleurer ? Opposition de principe du puissant lobby cynégétique, craintes insensées du milieu agricole, faiblesse du ministère chargé de l’écologie, inertie de l’administration : le putois se heurte à tout ceci.

La protection réglementaire d’une espèce est un outil fragile qui permet au mieux de limiter la casse

En 2012, après trois ans de démarches, nous avions obtenu la protection réglementaire du campagnol amphibie. L’histoire de ce petit rongeur est similaire à celle du putois : autrefois commun, aujourd’hui menacé par la dégradation des paysages ruraux. Or la législation, lorsqu’elle protège une espèce, protège théoriquement aussi son habitat. C’est ainsi que les campagnols amphibies présents à Notre-Dame-des-Landes ont peut-être un peu aidé à alimenter le dossier d’opposition au projet d’aéroport.

Mais que les bétonneurs de tous poils se rassurent : jamais ou presque, la présence d’une espèce protégée n’entraine à elle seule l’abandon d’un chantier. Dérogations, compensations et petits arrangements ont raison de tout. La protection réglementaire d’une espèce est un outil fragile qui permet au mieux de limiter la casse.

La protection du putois sur le papier n’est pas une fin en soi mais permettrait de mettre en œuvre des politiques de conservation concrète, profitant aux putois et à d’autres : meilleure prise en compte des zones humides, restauration des haies bocagères, mise en place de passages à faune sous les routes, surveillance épidémiologique.

Mieux encore, cette évolution réglementaire serait un signal fort : la biodiversité « ordinaire » de nos campagnes doit être préservée pendant qu’il en est encore temps, avant le seuil critique vers la disparition.

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