Le Salon de l’agriculture snobe les alternatives végétales

Les aliments d’origine animale restent largement majoritaires au salon de l'agriculture, qui fait la part belle à l'élevage. - © Éric Broncard / Hans Lucas via AFP
Les aliments d’origine animale restent largement majoritaires au salon de l'agriculture, qui fait la part belle à l'élevage. - © Éric Broncard / Hans Lucas via AFP
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Agriculture AlimentationAu Salon de l’agriculture, à Paris jusqu’au 5 mars, les produits végétariens sont peu visibles et peu valorisés. « Cela empêche de se projeter dans un autre modèle agricole », regrette l’Observatoire des alimentations végétales.
Paris, reportage
« Il s’appelle le Salon de l’agriculture, mais c’est plutôt le Salon de l’élevage. » Assis au stand de l’Observatoire national des alimentations végétales (Onav), Florimond Peureux, son président, ne cache pas sa déception. Selon lui, le Salon de l’agriculture – qui se tient à Paris du 25 février au 5 mars – « n’accorde pas de réelle place au végétal ». « Il y a des animaux dans quasiment tous les bâtiments, constate-t-il. Les visiteurs passent d’un stand à un autre, presque sans rien voir sur le végétal. C’est dommage, cela les empêche de se projeter dans un autre modèle agricole. »
Des alternatives sont proposées par-ci par-là à celui qui ouvre l’œil : un ragoût végétarien au menu du « restaurant des médaillés » ; une recette de quiche aux champignons affichée sur le stand de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ; des bocaux de sauces véganes réunionnaises vendus au bâtiment « produits du monde »… Mais, globalement, les aliments d’origine animale restent largement majoritaires.

En flânant dans les allées bruyantes et encombrées, entre le pavillon rempli de vaches attachées, et les stands « produits et saveurs de France » constitués de foie gras ou de fromage, on en vient même à se demander si les organisateurs du salon ont pris connaissance des études scientifiques recommandant la réduction de consommation de produits d’origine animale – pour des raisons climatiques comme sanitaires. « Le salon s’appuie sur la tradition, il continue de “faire découvrir” aux gens ce qu’ils connaissent déjà, poursuit Florimond Peureux. Il ne les aide pas à aller plus loin, la thématique de la transition alimentaire n’est pas abordée. »
Des ateliers autour de cette question pourraient pourtant être imaginés : autour du stand de l’Onav, près d’une Tour Eiffel réalisée à partir de fruits et légumes, des représentants de la filière sont venus en nombre. Producteurs de pommes, de poires, de pommes de terre… Mais ces produits sont « toujours présentés sous l’angle de la consommation courante, regrette Florimond Peureux. Il n’y a pas de dynamique ou d’enjeu de végétalisation globale mis en avant. Le discours n’a pas changé depuis cinquante ans. »

En plus du stand de l’Onav, des informations sur les légumineuses, protéines végétales parfois délaissées, sont tout de même mises en avant dans d’autres endroits du salon. À quelques mètres, l’interprofession des producteurs, commerçants et transformateurs de céréales propose par exemple des quiz et des jeux pour découvrir les lentilles, les pois chiches ou les haricots. « Le but n’est pas tellement d’apprendre aux gens à végétaliser leur alimentation, mais de la rééquilibrer, dit Bruno Argence, animateur sur le stand, lorsqu’on l’interroge. On nous demande de rappeler les principes du PNNS [le Programme national nutrition santé du gouvernement] : varier les protéines animales et végétales, jongler entre elles et rajouter des céréales. »
« On montre qu’on peut remplacer les protéines animales par des protéines végétales »
Dans le bâtiment suivant, dédié aux acteurs institutionnels, l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique) propose de son côté un stand « alimentation durable ». À côté d’une table consacrée aux aliments à base d’insectes, des fiches informatives sur les légumineuses sont mises à la disposition des visiteurs. Avec un aspect ludique : « Selon toi, qu’est-ce que c’est ? », demande Catherine Garnier, chercheuse à l’Inrae, à un petit garçon de passage, en lui présentant un bocal rempli d’un liquide jaune. « Du pipi ! », répond du tac au tac l’enfant. « Non, s’amuse la chercheuse, c’est de l’aquafaba : du jus de cuisson des pois chiches. On peut remplacer les œufs avec ça, et en faire des mousses au chocolat. »

Des petites verrines étaient justement mises à disposition des curieux, mais tout a été mangé en quelques heures. « Ici, on montre qu’on peut remplacer les protéines animales par des protéines végétales, nous explique Catherine Garnier. Beaucoup de gens commencent à s’intéresser aux légumineuses, mais ils ne sont pas encore très connaisseurs ou consommateurs. Ils veulent savoir comment en manger davantage, tout en l’associant avec de la viande. » La consommation d’animaux est encore perçue, dans cette approche, comme un élément indispensable.
Faire découvrir des alternatives
En 2018, pour la première fois, une marque de produits similicarnés (imitations de la viande à partir de végétaux) a fait son apparition au Salon de l’agriculture. Cinq ans plus tard, les alternatives aux produits d’origine animale se comptent toujours sur les doigts d’une main. « Ça ira mieux au fur et à mesure des années », veut croire Claire Gauvrit, cheffe de projet marketing de la marque Les nouveaux affineurs, une « alternative végétale au fromage », à base de noix de cajou et de soja français.
Surtout que ces produits rencontrent un grand succès. « C’est vraiment végétal ? Eh mais c’est super bon ! », s’exclame un visiteur, en goûtant les imitations de steaks hachés de la marque espagnole Heura. « On avait un peu peur de venir au Salon de l’agriculture, dit Laurent Gubbels, chargé de communication de l’entreprise. Mais finalement tout se passe bien, 99,7 % des gens sont bienveillants. On sent une vraie curiosité, et c’est pour ça qu’on est là : faire découvrir aux gens des alternatives, pour accélérer la “transition protéique” en France. » Une transition indispensable : « L’alimentation végétale émet moins de CO2, consomme moins d’eau et demande moins de terres », résume-t-il.

Et ce, même lorsqu’il s’agit de produits transformés – comme dans le cas des aliments Heura. « Les produits végétaux bruts, comme les produits végétaux transformés, ont tous les deux leur place au Salon de l’agriculture, estime Florimond Peureux, de l’Onav. Beaucoup de personnes n’ont pas envie d’intégrer de nouvelles choses à leur alimentation. Si elles sont rassurées avec des produits transformés à base de protéines de pois, elles auront peut-être envie d’aller plus loin dans quelques mois, en achetant directement des pois cassés et en apprenant à les cuisiner. » En clair, ces substituts végétaux seraient un « outil qui facilite la transition ».
« Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut réduire sa consommation de viande »
Du côté des éleveurs, on sent que la transition va être compliquée. Sur le stand de l’Interbev (l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes), qui n’a pas répondu à nos questions, un « flexival » est organisé. Surprise : alors que le lieu est censé mettre en avant le flexitarisme, des chefs cuisinent... de la chair animale, sous les yeux des visiteurs qui répondent à des questions... sur la viande. Le livre de « recettes flexitariennes », mis à disposition tout au long du festival, ne contient aucune recette sans viande. « La filière s’est réapproprié un terme scientifique réel – un flexitarien est normalement un végétarien qui mange de la viande à certaines occasions spécifiques – pour le détourner et en faire quelqu’un qui mange de la viande locale du boucher, indique Florimond Peureux. Ça ne veut plus rien dire scientifiquement. »

Si la transition entre une alimentation hypercarnée et une alimentation plus végétale ne sera pas aisée, beaucoup y croient. « Notre succès sur le salon nous montre que les gens sont bienveillants, curieux. Il ne faut pas s’opposer, juste les rencontrer et discuter », dit Laurent Gubbels de la marque Heura. « Parmi les gens qui viennent nous voir, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut réduire sa consommation de viande, abonde Florimond Peureux de l’Onav. Même des éleveurs ! Il y a un consensus extrêmement fort. Bientôt, peut-être que le Salon de l’agriculture ne sera plus en décalage avec la société qui évolue. »