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Les Français d’Australie à l’épreuve du feu

Ils étaient venus profiter des plages et d’une super « qualité de vie ». Les voilà confrontés à de gigantesques incendies et à un ciel assombri par les fumées toxiques. Quatre Français expatriés en Australie témoignent.

Maude Lefèvre, installée à Sydney depuis un an, travaille pour un groupe français de cosmétique. Chargée de « marketing digital », elle est actuellement en vacances sur une île paradisiaque proche de Perth, dans le Sud-Ouest de l’Australie.

« Les médias ont commencé à s’y intéresser il y a quelques semaines mais la situation des feux date de bien plus longtemps », dit-elle, au téléphone avec Reporterre. Depuis quelques mois — au moins octobre —, planent à Sydney des fumées « très épaisses » provenant des incendies qui sévissent dans l’Etat de Nouvelles-Galles du Sud. « Parfois on ne voit rien, l’air est toxique, ça sent le cramé. »

Elle qui ne portait pas de masque avant son départ à Perth « hésite à en porter un dès [son] retour à Sydney » dimanche 12 janvier. « Ce qui est terrible, c’est qu’on a perdu le ciel bleu » : Maude a ainsi photographié la vue depuis son bureau et constate un décalage saisissant entre « l’avant » et « l’après » novembre. Les incendies de bush de cette année ont fait disparaître le ciel estival bleu et limpide typique des cartes postales sydnéennes.

À Sydney, le ciel est gris à cause des fumées.

Face au « flux d’images d’incendies et de destructions, de tous les kangourous et les koalas qui brûlent », Maude se sent mal à l’aise. Elle appréhende son retour dans l’est du pays, notamment parce que « je reçois pleins d’emails avec des consignes par rapport aux feux », étant donné qu’elle vit en Nouvelle-Galles du Sud.

« Comment va-t-on éteindre les feux ? Les pompiers sont totalement dépassés par la force des incendies. Le gouvernement australien a fermé les yeux et la situation est ingérable maintenant. Tout le monde se réveille alors que ça fait des mois que ça dure. » Maude profite de ses derniers jours de ciel paradisiaque avant son retour à Sydney : en réponse à l’envoi d’une photo souvenir, son copain resté dans la capitale de Nouvelles-Galles du Sud répond : « C’est hallucinant, ça fait plus d’un mois qu’on n’a pas vu un ciel bleu… »

Héloïse : « Ce sont les Australiens qui sont vraiment touchés, dans les terres – les Français, eux, sont dans les villes et vers les plages »

« On n’a pas été touché directement », dit Héloïse Navecth, 23 ans, qui vit avec son compagnon à Manly — à côté de Sydney — depuis quatre ans. Elle travaille dans un café, à quinze minutes à pied de la plage. « Certes, plusieurs jours d’affilée, on ne peut plus voir le soleil. Il y a une odeur de fumée assez forte, et les enfants ont leur récréation à l’intérieur. » Elle a ainsi entendu que respirer l’air à Sydney serait l’équivalent de 35 cigarettes par jour, à cause des fumées. Si « respirer de la fumée chaque jour n’est pas agréable », elle ne se sent, en revanche, « pas en danger », d’autant qu’elle surveille, via une application sur son téléphone, où se situent les feux en temps réel.

L’activité économique du café où elle travaille a beaucoup souffert des feux des derniers mois : « Nous sommes normalement dans la plus grosse période de l’année – l’été – avec plein de personnes qui viennent pour camper » — or, à cause des fumées, les campeurs se font rares. « Au moins, relativise-t-elle, cela permet de réveiller la solidarité. La plupart des gens se sentent concernés, il y a beaucoup de donations. »

« Les Français sont surtout dans les villes et vers la côte. Ce sont les Australiens qui sont vraiment touchés, car ce sont surtout eux qui vivent dans les campagnes, dans les terres », continue-t-elle. « La cousine d’un ami a été évacuée de chez elle. Elle habite à deux heures de Byron Bay dans les terres. Depuis, tout a brûlé et elle a perdu sa maison, son boulot… On entend plein d’histoires, comme celle d’un village encerclé par les feux et qui a dû apprendre à vivre en autarcie. On ne vit pas ces choses-là, mais de les entendre, c’est très touchant. »

Bryan : « Ce pays est magnifique, je conseille à tous de le visiter. Du moins, il était magnifique… »

« Hier, un gros nuage de fumée est arrivé sur Sydney, explique Bryan, développeur web, 30 ans, qui vit à Sydney depuis cinq ans. Nous devions être à 400 µg/m3 de dioxyde de souffre au lieu de 40, la situation normale. C’est très dangereux pour la santé », dit-il. « Depuis deux mois, l’air est irrespirable. Soit nous sommes confinés à l’intérieur, soit nous mettons des masques. » Il a également observé récemment ce qu’il pense être une « retombée de cendres sur Sydney ».

Bryan a créé un groupe Facebook, « Sauvetage de la faune australienne » le jeudi 3 janvier, pour que la communauté française en Australie et à l’extérieur puisse aider les animaux qui ont survécu aux feux.

Des poches pour les kangourous orphelins.

Ainsi, des Françaises ont tricoté des « poches pour les kangourous orphelins à cause des feux » qui seront acheminées en Australie. Ce groupe compte désormais, une semaine après sa création, plus de sept mille membres. « Beaucoup de Français se demandent comment ils peuvent aider. C’est malheureux parce qu’à part faire des dons, on ne peut pas vraiment aider... , se désole-t-il. Toute cette nature qui brûle et tous ces animaux qui meurent... C’est très émouvant. C’est difficile à accepter quand tu es un amoureux de la nature. »

Bryan est venu en Australie « parce que j’en avais marre de la France, et que j’étais arrivé à saturation du Parisien de base, dit-il. Je voulais voir autre chose à 25 ans. » Maintenant qu’il a une « bien meilleure qualité de vie », il ne compte pas retourner habiter en France et pense demander la citoyenneté australienne pour s’installer pleinement là-bas. « J’adore l’Australie, je conseille à tout le monde de venir visiter ce pays magnifique. Enfin, il était magnifique… »

Marie : « Habituellement, mon jogging dure 50 minutes. Cette fois-ci, au bout de 30 minutes, je n’en pouvais plus »

Marie Gillin entame la deuxième année de son double diplôme entre Sciences Po Reims et l’Université de Sydney. Elle n’a vécu que « les trois premières semaines » des fumées à Sydney, avant de revenir en France pour Noël.

Maria, à Pékin, où l’air est moins pollué... qu’à Sydney.

« Le premier jour où la fumée s’est faite ressentir à Sydney », vers la mi-novembre, Maria Gillin n’était pas au courant des incendies qui sévissaient autour de la ville, ou du moins ne pensait pas pouvoir en être affectée. « Le matin je me suis levée tôt, et je me suis dit "Tiens je vais aller courir". Habituellement, je cours 45-50 minutes, mais là au bout de 30 minutes, je n’en pouvais plus et je ne savais pas pourquoi. C’était à cause des feux et de la fumée. Je me sentais bien plus mal qu’après un jogging à Shanghai [où elle habitait avant], alors que l’on dit que la Chine est très polluée. »

« C’était marrant parce que quand je suis partie à Pékin, début décembre, c’était comme si j’allais me ressourcer, l’air était bien plus pur qu’à Sydney – c’était vraiment le comble. »

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