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Nature

Les arbres, contés par les poètes et les écrivains

Dans « La Matière des arbres », Éryck de Rubercy prend prétexte de la visite d’un magnifique parc pour parler des arbres, conviant écrivains et poètes à cette vaste entreprise.

Les livres consacrés aux arbres sont légion. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Certains se poussent du col, envahissent les tables des librairies, monopolisent l’attention des journalistes tandis que d’autres, esseulés et modestes, passent inaperçus. Non pas que ceux-ci sont médiocres, c’est souvent le contraire, simplement l’air du temps, la « surface » de l’éditeur, la minceur du carnet d’adresses de l’auteur les condamnent à des tirages modestes et à des succès d’estime. Les dégustent une poignée de lecteurs disséminés ici ou là. Tel est sans doute le sort auquel est condamné La Matière des arbres. Il mérite mieux.

L’auteur connait bien les arbres. Ce sont ses compagnons de vie (comme ils furent, on présume, ceux de son grand-père dont les belles aquarelles illustrent le livre et le complètent avec bonheur). Il les fréquente depuis toujours, les observe avec soin, et les décrit avec tendresse depuis un poste d’observation privilégié, la maison où il habite et qui ouvre sur un parc conçu il y a deux siècles, un « îlot peuplé d’arbres tranquilles, où le temps se compte non pas en années, mais en saisons, et en patientes générations d’hommes », quelque part du côté de Gien, là où commence le Val de Loire.

Redonner vie à des auteurs passés de mode, pour ne pas dire tombés dans l’oubli

À deux pas de lui donc, des cèdres du Liban, les seigneurs du lieu, trois rescapés (ils étaient sept à l’origine) aussi vieux que le parc, « véritables pyramides aériennes », un arbre de Judée reconnaissable à ses petites fleurs rouge corail qui percent les branches encore dépourvues de végétation, des tulipiers de Virginie aux feuilles « toutes dorées une fois l’automne arrivé », des ginkgos biloba qui auraient enchanté Goethe (qui les révérait), des hêtres, des chênes, des houx…

De ce lieu « plein de résonances sacrées, renvoyant à quelque hiérarchie féodale oubliée » l’auteur, dans sa sagesse, ne veut pas être le propriétaire, mais le « fidèle maître et serviteur » avec, pour mission, « de [le] conserver et de [le] transmettre » à l’image des générations précédentes. Et d’en faire profiter les visiteurs puisque Dominus — c’est le nom du domaine — est ouvert aux promeneurs comme il l’est aux chevreuils.

Mais la promenade dans le parc n’est qu’un prétexte mis en scène par l’auteur pour une entreprise bien plus vaste, celle de nous parler de la grande famille des arbres avec la complicité d’une armée d’écrivains et de poètes. Érick de Rubercy ratisse large — même si les femmes sont trop souvent absentes de ses pages. Il cite Francis Ponge et Verlaine, convoque Colette et Keats, Henry David Thoreau aussi bien que Malraux, enrôle Jean Tardieu et Rousseau, ressort des écrits de Giono et de Jean-Henri Fabre, de John Ruskin et de Ernst Jünger, mais, de façon plus étonnante, il fouille en profondeur jusqu’à redonner vie à des auteurs passés de mode, pour ne pas dire tombés dans l’oubli. Et c’est ainsi que resurgissent au fil des pages René Bazin, Maurice Genevoix et même Joseph de Pesquidoux, un auteur « régionaliste » de l’entre-deux guerre injustement passé à la trappe. Les voici réhabilités pour un temps et de la plus belle des façons pour un écrivain, en exhumant les pages qu’ils ont écrites pour raconter les arbres. De cette promenade insolite le lecteur tirera bien des satisfactions avant, peut-être, d’aller juger sur place à Dominus, si, comme l’écrit Jean Tardieu : Les arbres devraient parler/Et courir/Les hommes se taire/Et les écouter.


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