Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Animaux

Les bonbons Haribo accusés d’exploiter les travailleurs brésiliens et de faire souffrir des cochons

Le leader européen de la confiserie est mis en cause par un documentaire télévisé en Allemagne : celui-ci révèle que, pour se procurer des ingrédients indispensables, Haribo fait travailler des ouvriers dans des conditions indignes, et exploite des cochons de manière « épouvantable ».

  • Berlin (Allemagne), correspondance

« Haribo, c’est beau la vie »… enfin cela dépend pour qui. Le slogan du célèbre confiseur allemand ne vaut pas forcément pour ceux qui fabriquent les ingrédients des Dragibus, fraises Tagada, Ours d’or et autres Chamallows. Un documentaire de la chaîne de télévision publique allemande ARD, Der Haribo-Check, révèle que Haribo s’approvisionne auprès d’entreprises peu scrupuleuses en matière de droits de l’homme et de bien-être animal.

Les journalistes lèvent notamment le voile sur les conditions « épouvantables » dans lesquelles travaillent les ouvriers des fabriques de cire de carnauba, un ingrédient essentiel qui donne aux bonbons leur aspect lisse et brillant.

Sans vêtements de protection malgré la poussière, sans sanitaires ni eau potable à disposition, les employés de ces immenses fermes du nord-est du Brésil sont contraints par leurs employeurs à dormir sur leur lieu de travail, à même le sol ou dans des camions. Souvent rémunérés au noir, ils ne perçoivent pas de revenu fixe mais uniquement proportionnel au travail abattu. Les journalistes de l’ARD ont même rencontré sur place des mineurs âgés d’une quinzaine d’années, assignés au battage des feuilles de palmier dont est extraite la cire de carnauba.

« Nous n’avons pas connaissance d’entorses à nos règles » 

Ces abus sont loin d’être secrets. Le ministère du Travail brésilien les qualifie officiellement « d’esclavage » et a engagé une lutte contre les propriétaires de ces exploitations, dans l’une des régions les plus pauvres du pays. Pourtant, Haribo a assuré aux journalistes de l’ARD découvrir les conditions de travail de ses fournisseurs. « Nous n’avons pas connaissance d’entorses à nos règles, a répondu son service de communication. Nous vous remercions de ces informations et allons engager un suivi proactif de ce thème auprès de nos fournisseurs. »

La cire de carnauba n’est pas le seul ingrédient qui pose problème. La gélatine de porc, qui donne une texture de gomme aux confiseries Haribo, est elle aussi produite dans des conditions « effrayantes », cette fois pour les animaux. Les auteurs du documentaire ont remonté la chaîne d’approvisionnement jusqu’à des élevages porcins de la coopérative Westfleisch, dans le nord-ouest de l’Allemagne. Des militants de l’association de protection animale Tierretter ont réussi à s’introduire dans certaines d’entre elles. Les images qu’ils y ont tournées sont accablantes et témoigneraient même d’infractions à la loi.

« Les animaux vivent en permanence dans leurs propres excréments », raconte Christian Adam, l’un des militants. Le taux d’ammoniac dans l’air est si élevé qu’il provoque des inflammations aux yeux de nombreux porcs. Les animaux malades ou mourants sont laissés dans les boxes avec les animaux sains. L’accès à l’eau a parfois même été coupé.

Là aussi, le confiseur de Bonn semble tomber de l’armoire et promet des contrôles. « Conformément aux standards élevés de notre entreprise et de nos fournisseurs, nous travaillons ensemble en permanence pour identifier précocement et mettre fin à d’éventuels points faibles dans les chaînes d’approvisionnement et les processus de production, a expliqué le service presse à l’ARD. Nous nous engageons aussi en faveur du bien-être animal. »

La diffusion du documentaire la semaine dernière a provoqué une avalanche de réactions de consommateurs sur les réseaux sociaux. Mais le mouvement s’est essoufflé rapidement, peut-être parce que le prochain gouvernement n’est pas encore formé. Seule l’ONG Amnesty International est montée au créneau. « Quand les droits de l’homme ne sont pas respectés, [les entreprises concernées] doivent prendre en charge des dédommagements, a expliqué Lena Rohrbach, experte en questions économiques d’Amnesty Allemagne au média Deutsche Welle. Malheureusement, le gouvernement a négligé de rappeler les entreprises à leur devoir de vigilance. »

Contraindre les entreprises à agir 

Depuis 2011, la résolution 17/4 des Nations unies recommande aux États et aux grandes entreprises de veiller au respect des droits de l’homme, y compris dans leur chaîne d’approvisionnement. Mais le texte n’est pas contraignant. Sa transcription dans la loi allemande en 2016 ne va pas plus loin, même pour les entreprises publiques, et reporte à 2020 l’étude d’éventuelles sanctions. « C’est insuffisant. Mais en Allemagne, on a tendance à faire confiance au volontarisme du “bon chef d’entreprise” », explique à Reporterre Franziska Humbert, experte en responsabilité sociale des entreprises de l’ONG Oxfam. Pourtant, les multinationales allemandes sont régulièrement pointées du doigt par les associations, notamment dans le secteur de l’énergie et de l’électronique avec Siemens ou RWE, ou dans l’agroalimentaire, les chaînes de supermarché Aldi et Lidl notamment.

D’autres pays, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, ont mis en place des instruments juridiques pour contraindre leurs entreprises à agir. En France, en réaction à la mort de 1.135 personnes dans l’effondrement d’un immeuble bangladais, le Rana Plaza, abritant des ateliers de confection destinés à des marques occidentales, le Parlement a adopté en début d’année 2017 une loi qui rend les grandes entreprises en partie responsables des agissements de leurs fournisseurs. Cette loi, critiquée alors par le ministre de l’Économie de l’époque Emmanuel Macron, impose aux grands groupes la mise en place d’un plan de vigilance pour prévenir les atteintes aux droits humains et les dommages environnementaux dans l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. En Allemagne, l’ONG Oxfam vient de lancer une pétition destinée à la future coalition gouvernementale, pour prendre exemple sur la France.

Mais ces initiatives restent peu nombreuses au niveau mondial. Conscient du problème, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies se réunit cette semaine à Genève pour rédiger une version plus contraignante de sa résolution 17/4. Autour de la table, 77 pays sont présents, essentiellement du Sud. Ceux du Nord ont refusé d’y participer. Les bonbons Haribo gardent un goût amer.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende