Les hôtesses de l’air aussi sont victimes des pesticides

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Les produits phytosanitaires ? Un agriculteur vêtu comme un cosmonaute au moment de l’épandage. Mais de nombreux autres corps de métier sont exposés à ces produits dangereux, avec de graves conséquences sur la santé. Reporterre vous raconte trois histoires inattendues.
Pour éviter que des moustiques porteurs de maladies comme le paludisme ou le chikungunya traversent les frontières, les stewards et hôtesses de l’air des vols internationaux aspergent la soute et la cabine d’insecticides, en présence des passagers. Cinq bombes sont vidées à chaque vol.
La procédure a changé au 1er mars dernier : désormais la désinsectisation se fera à vide, entre deux vols. « Pourquoi changer de procédure ? Parce que la précédente pouvait présenter des risques pour nous, personnels navigants ? » Marie-Thérèse Mury-Diard s’interroge.
Air France lui a déjà répondu, à travers le comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT), que ce choix avait été motivé par la méfiance du personnel et l’inconfort des passagers. Hôtesse de l’air sur les vols internationaux, depuis vingt-cinq ans chez Air France, elle a toujours connu la méthode des bombes insecticides.
« Juste avant de les utiliser on annonce aux passagers que le produit n’est pas toxique. Je veux bien croire la compagnie, mais j’aimerais en être sûre ; d’autant plus qu’au moment de la pulvérisation, on ressent nettement des picotements à la gorge et aux yeux. Alors, peut-être qu’une fois ce n’est pas grave, mais plusieurs, sur trente ans de carrière ? »
Un steward ou une hôtesse qui ne travaillerait que sur des vols avec l’Afrique, la principale zone concernée par les traitements insecticides, pourrait faire cinq allers-retours par mois. Avec une exposition dans un lieu clos, soumis à d’autres facteurs de maladies comme les ultraviolets, la qualité de l’air ; le décalage horaire et le travail de nuit : quelles conséquences sur la santé ?
« Nous n’avons pas d’éléments sur le sujet, juste des questions. » Des questions alimentées par des études montrant la sur-représentation de cancers de la peau et du sein dans son métier. « Faute d’un risque réel et avéré, on ne peut pas diligenter et financer une étude sur le sujet. »
La moitié des dockers de Nantes et St Nazaire malades du cancer
Notre nourriture « du champ à l’assiette » est une expression qui se répand de plus en plus, mais ce serait omettre qu’une bonne partie de nos aliments sont importés. Ils arrivent par bateau dans nos ports. Les dockers sont les premiers, avec les douaniers, à réceptionner ces marchandises, les premiers à être exposés aux substances présentes dans les conteneurs.
Jean-Luc Chagnolleau, docker à Nantes s’est battu durant quatre ans pour que son cancer du rein soit reconnu comme maladie professionnelle. Reconnaissance obtenue en décembre dernier, une victoire qui ouvre la voie pour de nombreux autres cas. Mais M. Chagnolleau n’a pas vu cette victoire : il est décédé en 2011, à 56 ans.
Les médecins diagnostiquent un cancer du rein à Jean-Luc Chagnolleau en 2007. Pour lui, ça ne fait pas de doute, il y a un lien avec ses conditions de travail. Avec ses collègues syndiqués du port, il crée une association, l’APPSTMP et obtient en 2011 qu’une étude scientifique soit réalisée sur les expositions aux cancérogènes des dockers.
Elle est réalisée par le chercheur Christophe Coutanceau, qui étudie l’ensemble des expositions d’une trentaine de dockers pendant leur vie de travail. Les conclusions sont sans appel : « Ils ont tous été exposés à un grand nombre de cancérogènes : pesticides de toutes sortes, mycotoxines, chlordécone ou encore échappement de diesel. » L’étude, dite Escales, montre que sur 250 dockers en activité en 1992, la moitié était malade ou décédée. Dans 70 % des cas, il y a un cancer : rein, prostate, larynx et ainsi de suite.
Les témoignages retranscrits dans l’étude montrent l’importance de l’exposition aux pesticides. L’un des dockers interrogé raconte : « J’ai fait la farine de poisson, on a aussi fait des fûts de boyaux de 40 kg, ça puait. La bordelaise, on appelait ça Dachau, tellement les conditions de travail étaient dures, c’était des engrais, du phosphate, poussiéreux et puant. »

Cet homme a été exposé pendant ses trente-trois années de travail aux pesticides et mycotoxines des céréales et tourteaux, relate l’étude, mais aussi aux poussières de bois, au formaldéhyde du contreplaqué, à la silice des poussières de charbon et aux gaz d’échappement diesel.
Le chercheur Christophe Coutanceau montre la multitude des sources cancérogènes mais souligne également les problèmes posés par le commerce international. « Les marchandises viennent des quatre coins du monde, à l’ouverture des conteneurs, les substances que l’on peut trouver ne coïncident pas forcément avec la loi française. La marge de manœuvre réside dans la protection des salariés qui devraient porter des tenues adaptées. »
Gilles Rialland fait partie de l’association des dockers, il a travaillé sur le port de Nantes-St Nazaire au service de la sécurité au travail. « On voudrait réussir à mettre l’accent sur la prévention. On a tendance à ne s’occuper que des accidents au travail et assez peu de l’environnement de travail. »
En décembre dernier, le tribunal des affaires sociales de Nantes a reconnu le cancer du rein de Jean-Luc Chagnolleau en tant que maladie professionnelle. Une décision décisive car désormais aux yeux de la sécurité sociale, le lien de cause à effet entre une source d’exposition et une maladie s’élargit à des sources d’exposition pour des maladies.

Contaminé en stockant des céréales : « Je ne tiens pas dix minutes dans un supermarché »
Laurent Guillou a été salarié de la coopérative agricole bretonne Triskalia pendant presque trente ans, jusqu’au jour où une sur-exposition aux pesticides l’a plongé dans la maladie. Ça s’est passé à Plouisy dans les Côtes d’Armor, devant un silo de stockage de céréales, en 2009 et en 2010.
Traditionnellement, pour stocker des céréales, on asperge les parois du silo de pesticides en traitement préventif, puis un système de ventilation prend le relais. Pour faire des économies, Triskalia a changé de méthode. La firme a décidé de couper la ventilation et d’asperger les céréales de pesticides au moment où on les sort des silos.
« Ce jour-là, ce qui sortait du silo était en train de fermenter, c’était un tas de fumier. » Vient ensuite le traitement phytosanitaires sur les céréales : « C’était irrespirable. J’ai saigné du nez, ça me brûlait de partout, je suis tombé et je suis allé à l’hôpital. »
Malgré cet accident et les alertes lancées par Laurent Guillou, l’année suivante, les céréales sont de nouveau aspergées de biocides, et de nouveau, M. Guillou est sur-exposé et doit aller à l’hôpital. Le produit utilisé s’appelle le Nuvan Total, un produit interdit en 2007 car jugé dangereux. Il a pourtant été utilisé en 2009. En 2010, il est remplacé par le Nuvagrain. Il est autorisé, mais utilisé en trop grande quantité.

Face à cette exposition dangereuse, ils sont quatre salariés à avoir décidé de s’unir et d’attaquer la coopérative. Tous sont atteints d’hypersensibilité chimique multiple, une intolérance aux produits chimiques. Pour Laurent Guillou, la maladie a tout changé.
« J’ai perdu mon emploi, je ne supporte plus aucun produit chimique, je ne tiens pas dix minutes dans un supermarché. Chez moi tout est bio. L’idéal serait d’aller vivre en bord de mer, mais je n’en ai pas les moyens. Surtout depuis qu’ils m’ont licencié. Avant je gagnais 2 500 € par mois, aujourd’hui, grâce aux victoires au tribunal, je touche 1 100€ net par mois. »
Les anciens salariés malades ont lancé plusieurs procédures judiciaires. Première victoire en septembre dernier : le tribunal des affaires sociales de Saint Brieuc a reconnu la faute inexcusable de l’employeur pour deux d’entre eux.

A travers ces trois cas de figure, on entre-aperçoit la diversité des métiers concernés par l’usage des pesticides : douanes, transports, chargement, déchargement, transformation, désinfection et ainsi de suite. Mais les agriculteurs semblent rester en première ligne.
A l’image du combat de la sœur du viticulteur Denis Bebeyran dans le Médoc. Il est mort en 2009 d’un cancer des voies biliaires, la justice doit rendre sa décision sur ce dossier le 16 avril prochain.
Affaire Triskalia : pour aller plus loin
Une pétition est disponible en ligne pour que la justice se penche rapidement sur le dossier.
La journaliste Inès Léraud a consacré récemment trois reportages au sujet : l’un sur l’histoire de ces salariés pour France Inter, l’autre pour France Culture sur un des sites de stockage de Triskalia et le dernier pour l’émission « CO2 mon amour » de France Inter dédié au modèle économique.