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ReportageSocial

Les logements insalubres pourrissent la vie des étudiants

Midou, dans la résidence étudiante La Pacaterie à Orsay, vers Paris. Elle propose des chambres insalubres.

La résidence La Pacaterie de l’université Paris-Saclay a été construite en 1965. En attendant une rénovation, les étudiants vivent dans la moisissure, entourés de cafards.

Orsay (Essonne), reportage

Il n’y a pas un bruit dans la résidence étudiante La Pacaterie à Orsay, à 30 kilomètres au sud-ouest de Paris, où logent pourtant plus de 300 étudiants. La lumière criarde des ampoules se reflète sur le sol gris en béton ciré. Là, le long d’un corridor, un cafard s’engouffre dans une chambre. C’est dans ce décor que, chaque semaine, Roméo, membre du Syndicat des étudiants, lycéens et apprentis (Séla) rend visite aux jeunes, dans leurs chambres vétustes et mal isolées.

Il y a Mou, 28 ans, étudiant en recherche clinique après des études de médecine. Il vit loin de sa famille, installée en Algérie. Sans garant, il a eu énormément de mal à se loger. « Même cette chambre était hyper difficile à obtenir », raconte-t-il. Après deux mois de recherche, il a fini par atterrir dans ces 9 m2, où il empile des épices, des œufs, du pain et des pommes sur une petite commode. Au sol, se trouvent des casseroles et un tajine. L’humidité ambiante le force à ouvrir la fenêtre quasiment en permanence. « Depuis que je suis ici, l’asthme de mon enfance est revenu », déplore-t-il, en continuant la visite. Dans les sanitaires de son étage, il n’y a aucune fenêtre, le plafond est couvert de moisissure et la peinture se décolle des murs.


Des tâches noires tapissent aussi les murs de son voisin, Abdoulaye, étudiant en mathématiques et physique à la Sorbonne. « J’ai essayé de nettoyer mais à chaque fois ça revient », dit le jeune homme de 21 ans, résigné. Un étage plus haut, Léa, 25 ans, est exténuée. « La vie dans cet endroit est désastreuse pour la santé mentale », dit-elle en posant la main sur sa tête. « Une fois, un camarade avait laissé sa soupière ouverte dans la cuisine et quand il est revenu, il a trouvé des cafards dedans », dit l’étudiante en M2 Automatique, qui porte un bonnet en permanence, malgré le chauffage. Chancine, non loin de là, vit au milieu de ces petites bestioles, et lutte comme elle peut avec ses bouteilles d’insecticide. « Quand la nuit tombe, je peux les sentir qui marchent sur moi », raconte la jeune Congolaise, 21 ans.

« La vie dans cet endroit est désastreuse pour la santé mentale »

Comment, en France, des étudiants peuvent-ils vivre dans pareils taudis ? Reporterre a contacté le ministère de l’Éducation, qui reconnaît que « localement, une situation anormale a été constatée ». « Nous avons toute confiance dans les équipes du Crous pour apporter une solution aux étudiants le plus rapidement possible », ajoute le ministère.

Auprès de Reporterre, Louis Buyssens, directeur de cabinet au Crous de Versailles se justifie : comme le marché locatif étudiant sur le campus Paris-Saclay était « particulièrement tendu à la rentrée 2022 » avec l’installation d’AgroParisTech et de la composante Biologie-Pharmacie-Chimie, la résidence datant de 1965 est restée ouverte pour « maintenir une offre de logements. Sa fermeture est envisagée d’ici deux à trois ans pour une rénovation d’ensemble », précise-t-il.

La résidence La Pacaterie date de 1965. Et dispose de 309 chambres, mesurant pour la plupart 9 m². @ NnoMan Cadoret / Reporterre

En attendant, le Crous assure qu’en 2022, 130 de ces 309 logements ont été rénovés, 55 en 2021 et 26 en 2020. Concrètement, il y avait des « reprises des peintures, des murs et des sols lorsque nécessaire », nomme le Crous. Pour lutter contre les nuisibles, le Crous affirme aussi avoir traité 59 logements concernés par les punaises de lits, « certains deux fois », et 53 chambres pour les cafards en 2022. Pour 2023, le Crous prévoit des « contrôles préventifs » dans toutes les chambres « à chaque trimestre ».

Selon le syndicaliste Roméo, une rénovation par étape ne suffit pas : « Tous les étés, le Crous change quelques fenêtres ou peint sur de la moisissure, mais les chambres restent globalement insalubres. Quand ils traitent un étage, les insectes montent dans un autre. » C’est le cas dans les chambres de Mou, Chancine et Léa où se trouvent de la moisissure,de l’humidité et des insectes malgré des nouvelles fenêtres. « Ils ont essayé de mettre un produit contre les cafards mais ça n’a pas aidé », ajoute Léa.

Léa, Italienne, ne pense qu’à déménager : « Comment je peux étudier dans ces conditions ? » @ NnoMan Cadoret / Reporterre

À La Pacaterie, les étudiants aimeraient simplement pouvoir bénéficier de conditions de vie décentes. Léa, elle, ne pense qu’à déménager. « Les cafards, le froid, les éclats de voix et les bruits de pas dans le couloir que tu entends comme si c’était dans ta chambre. Comment je peux étudier dans ces conditions ? », demande l’Italienne de Parme. Mou, lui passe « le plus de temps possible à la bibliothèque ».

158 euros pour une chambre de 9 m2

Malgré tout, la plupart des étudiants n’osent pas dénoncer leur situation, déplore Roméo, car ils ont peur de ne pas avoir les moyens de payer un meilleur logement. « J’ai regardé les prix pour les chambres en colocation, c’est à partir de 300 euros. Pour moi, c’est beaucoup », dit Léa. La boursière vient de faire une demande pour obtenir une aide. À La Pacaterie, les étudiants payent 158 euros pour une chambre de 9 m2, ce qui en fait la résidence la moins chère du Crous de Versailles à Saclay – sans compter le coût des insecticides et des sprays antimoisissure. À titre de comparaison, les habitants de la résidence Les Rives de L’Yvette, à vingt minutes à pied et qui vient d’être rénovée, paient entre entre 303 et 448 euros par mois (pour des studios de 12 à 23 m2 avec kitchenette).

Dans la cuisine commune, l’une des quatre plaques à disposition de la trentaine d’étudiants ne fonctionne pas. @ NnoMan Cadoret / Reporterre

« À chaque fois, après une rénovation, le loyer augmente de 100 à 150 euros. C’est un vrai choc pour les étudiants », regrette Hugo Prevost de l’Alternative, union syndicale et associative des étudiants. Certes, ces chambres sont plus grandes et confortables. Mais même avec le soutien de la Caisse d’allocations familiales, les loyers restent trop élevés pour certains étudiants. Selon le ministère des Solidarités, 40 % des étudiants vivant hors de leurs familles sont en situation de pauvreté. Midou, 24 ans, doit travailler à côté de ses cours pour financer ses études en commerce international, « parfois en tant que préparateur de commandes, parfois je fais des livraisons ou reconstitue des stocks de magasins ». Chaque jour, il cherche d’autres appartements. Pour lui, le problème n’est pas seulement le loyer mais la somme demandée en caution : « Comment est-ce que je peux, en tant qu’étudiant, mettre de côté plusieurs centaines d’euros ? »

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