Les présentateurs météo, porte-voix du bouleversement climatique

Chloé Nabédian, présentatrice météo de France 2. - © Mathieu Génon/Reporterre
Chloé Nabédian, présentatrice météo de France 2. - © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 9 minutes
Climat QuotidienLe climat se détraque et les présentateurs météo le savent bien. Affolés par l’urgence climatique, cinq d’entre eux racontent à Reporterre comment ils profitent de leur bulletin pour sensibiliser les Français.
Paris (Île-de-France), reportage
La caméra tourne, les projecteurs éclairent le plateau de mille feux. Habillée d’une combinaison blanche, devant un fond vert, Chloé Nabédian se meut avec aisance. La présentatrice vedette de France 2 évoque le risque d’avalanche « devenu assez fort sur les Alpes du nord à cause des températures qui s’adoucissent » ; les 23 °C attendus « dans l’arrière-pays autour du Roussillon et en remontant vers le Gard », situation « assez exceptionnelle » pour un mois de février ; et annonce « une dépression explosive pour la fin de semaine ». Elle termine son programme par une vidéo de chevaux piégés par des incendies au Texas (États-Unis), « déclenchés alors que les sols sont extrêmement secs, beaucoup trop tôt dans la saison ». Le tout sans l’aide d’un prompteur. « De tête », s’amuse-t-elle devant notre mine surprise. « Coupez, c’est parfait Chloé », conclut un technicien.
À 36 ans, Chloé Nabédian, l’autrice du livre La météo devient-elle folle ? (éd. du Rocher, 2019), fait partie d’une génération « qui a grandi en ne pouvant plus ignorer les effets du changement climatique, et qui les voit s’accélérer », dit-elle. Mais quel que soit leur âge, les présentatrices et présentateurs sont de plus en plus nombreux à avoir développé une sensibilité écologique et à la partager dans leurs bulletins météo.

C’est le cas de Kévin Floury, 28 ans, journaliste-présentateur météo à BFM TV. « Pour les vœux de 2022, j’ai souhaité à tout le monde que cette année météorologique soit la plus proche possible des normales de saison », se souvient-il. Au lendemain du Nouvel An, il venait en effet de dérouler une météo d’une douceur exceptionnelle, avec de multiples « records de température battus, et pas que dans le Sud, également en Normandie avec quasiment 17 °C sur la plage de Deauville ». Régulièrement envoyé spécial pour donner à voir aux téléspectateurs les inondations, les orages ou les incendies, il constate avec inquiétude que « les épisodes de froid se raréfient par rapport aux épisodes de chaleur, ce qui assèche les sols... Il n’y a aucune raison que ça change, c’est affolant, dit-il. J’ai peur qu’on s’y habitue. »
Longtemps réservés sur le lien entre météo et climat, les présentateurs ont vécu les tempêtes de 1999 comme « un premier déclic, avec les jardins de Versailles saccagés », juge Évelyne Dhéliat, vedette de la chaîne TF1, contactée au téléphone par Reporterre. Le second tournant, aux yeux de celle qui présente la météo depuis le 22 septembre 1992, a été la COP21, en 2015. « Depuis, le climat prend une place grandissante à la télévision, nous avons pleine conscience que nous sommes montés dans le train du changement climatique. Mais nous sommes toujours surpris par la vitesse à laquelle il est devenu un TGV, dont il faut vite trouver les freins. »
« Nous ne pouvons pas seulement nous adresser aux vacanciers qui veulent bronzer »
Kévin Floury, lui, se souvient comme si c’était hier du jour où il a informé les téléspectatrices et téléspectateurs du nouveau record de température jamais mesuré en France : 46,0 °C à Vérargues, dans l’Hérault, le 28 juin 2019. « J’avais l’impression de présenter la météo du futur d’Évelyne Dhéliat », dit-il en référence au faux bulletin de 2050 présenté par la célèbre journaliste de TF1 à l’aube de la COP21, en 2015. « Je ne pensais pas qu’on battrait ce bulletin de 2050 aussi vite », confesse la principale intéressée.
Pour ralentir ce train fou, « les présentatrices et présentateurs météo ont un rôle à jouer ! » observait le paléoclimatologue Jean Jouzel, en juin 2021, à l’occasion du Forum international de la météo et du climat (FIM), un rendez-vous d’éducation et de mobilisation sur les enjeux du climat. Ces journalistes sont, pour lui, des chaînons précieux entre les scientifiques et le grand public « dans l’éducation des citoyens par rapport à l’urgence d’agir pour préserver la santé de notre planète ».

Sensibiliser à la crise climatique passe d’abord par « le choix des mots », assure Kévin Floury. « Le beau temps prévaudra en juillet », disait Albert Simon, la voix légendaire de la météo à Europe 1, invité à l’émission C’est aujourd’hui demain de Guy Lux, sur FR3, le 2 juillet 1986, pour qualifier un mois « plus ensoleillé que d’habitude », sec, et avec moins de pluie. « Aujourd’hui, nous ne pouvons plus utiliser ce genre de vocabulaire : en météo, le beau et le mauvais temps n’existent pas, chacun voit midi à sa porte », juge Évelyne Dhéliat. Force est, tout de même, de constater que ces expressions persistent dans certains bulletins.
« Dans un monde où les agriculteurs ont les yeux rivés en permanence vers le ciel, car leurs récoltes dépendent autant du soleil que de la pluie, nous ne pouvons pas seulement nous adresser aux vacanciers qui veulent bronzer sur les plages », explique Kévin Floury. Le 2 janvier 2022 au soir, après un laïus sur les températures supérieures aux normales de saison, Chloé Nabédian s’était même félicitée du retour du froid, une « bonne nouvelle ». « Les temps changent », avait salué sur Twitter Benjamin Jullien, de l’European Climate Foundation.
Je propose une nvelle définition de "mauvais temps" ! Le mauvais temps, ce n'est ni la pluie, ni le froid ; ns en avons besoin !
Mauvais temps : expression météo-sensible qui désigne les journées de stratus pourritus/brouillard, grises&sans fin, & dont l’utilité climatique est nulle ! pic.twitter.com/jLe4dL8fep— Christophe Cassou (@cassouman40) January 29, 2022
« On peut réveiller les gens »
Dans son bureau à France 2, Chloé Nabédian l’assure : la météo, programme regardé et écouté chaque jour par des millions de téléspectatrices et téléspectateurs, est « un moment privilégié » pour « diffuser la connaissance » sur le climat détraqué de la Terre. « Nous entrons dans la vie des gens, au cours de moments familiaux et on fait un peu partie de leur entourage, pour certains je suis peut-être un peu comme une belle-fille, dit celle qui a commencé sa carrière au début des années 2010. Le changement climatique s’est fait une place au plus intime de nos vies. Il affecte nos proches, ce que l’on mange, les habitations dans lesquelles on est censés se sentir en sécurité. C’est ça que doit raconter la météo au XXIe siècle. »
« Être présentatrice météo, c’est parfois aider littéralement les gens à se réveiller le matin et à choisir comment ils vont s’habiller », constate aussi Marie-Pierre Planchon, présentatrice météo du 7/9 de France Inter depuis 2015. La journaliste, jointe au téléphone par Reporterre, est convaincue que « de cette position, on peut aussi réveiller les gens sur le fait que les conditions de notre vie sur Terre sont en danger. Ne pas faire cela, au vu de l’urgence climatique, ce serait faire une météo hors sol ».
Kévin Floury estime aussi qu’il se doit d’expliquer avec justesse « quels sont les liens entre les épisodes météo qui se jouent et le changement climatique, pour que tout le monde ait les billes ». Pour cela, ces professionnels ont un « partenaire indispensable » : Météo France, avec qui le journaliste est en contact « tous les jours ». « Nous sommes disponibles à tout moment pour répondre aux questions des présentateurs, même les matinaliers qui commencent dans la nuit », explique Sébastien Léas, prévisionniste à la cellule média de Météo France et lui même présentateur de la météo sur France Info. Dans les locaux de l’établissement public, devant de multiples écrans, les experts tentent d’évaluer l’influence du changement climatique sur les événements climatiques.

« C’est d’autant plus important que la plupart des présentatrices et présentateurs français ne sont pas des prévisionnistes », dit M. Léas. « C’est une particularité française » selon Christian Vannier, créateur et directeur du Forum international de la météo et du climat, contacté par Reporterre. Il estime qu’à l’international, 70 % des présentateurs sont des scientifiques. « Au Royaume-Uni, par exemple, la présentatrice météo de Good Morning Britain, Laura Tobin, est une météorologue, confifme Sébastien Léas. Mais ne pas être soi-même scientifique présente un atout : on parle plus facilement au plus grand nombre. »
Chaque jour, les émissions de CO2 dans le monde
Une fois ces clés de compréhension en poche, les présentatrices et présentateurs ont néanmoins un problème de temps : « Nos tranches sont assez courtes », avance Évelyne Dhéliat. « En une minute, je dois donner une carte du ciel de France », dit Marie-Pierre Planchon, le tout sans images, radio oblige. Or, observe Sébastien Léas, « le changement climatique est complexe. Il faut du temps pour expliquer, par exemple, que ce n’est pas parce qu’il y a une vague de froid qu’il n’existe pas ».
Pour y remédier, plusieurs pistes se dessinent. « Au-delà de nos bulletins météo traditionnels, nous sommes plus souvent amenés à nous arrêter plus longtemps, en plateau, sur un évènement météorologique précis », explique Kévin Floury. Sur France 2, la météo de Chloé Nabédian est enrichie, depuis septembre 2018, de vidéos et d’analyses sur des événements météorologiques en lien avec le changement climatique. Début avril 2019, le quotidien britannique The Guardian est même devenu le premier journal à publier, en plus de la météo, une info quotidienne sur les émissions de CO2 dans le monde. Marie-Pierre Planchon, elle, écrit des contes sur France Inter, pour sensibiliser les petits et les grands à l’importance et la fragilité des saisons.
« Plus les ressorts et les causes du changement climatique seront compris, plus une action ambitieuse aura des chances d’advenir », assure Marie-Pierre Planchon. Une fiche entre les mains, après avoir présenté son programme pour le journal de 13 heures, Chloé Nabédian, estime toutefois que « les États, qui ont le pouvoir de changer les choses radicalement, ont déjà ces informations. Mais ils préfèrent faire culpabiliser les citoyens ». « Les jeunes générations, celles qui manifestent pour le climat et voient les bouleversements de la météo, sauront les pousser », espère Évelyne Dhéliat.