Les victimes de la pollution veulent enfin se faire entendre

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Glyphosate, OGM, pollution atmosphérique, nitrites, Levothyrox… Autant de maux contre lesquels se battent chaque jours des milliers de Français, face au silence assourdissant des autorités environnementales et de santé. Reporterre a rencontré ces « cobayes » humains. Portraits.
- Paris, reportage
« Tous concernés, tous cobayes ! » scandent une poignée de militants devant le ministère de la Santé. Parties à pied de Fos-Sur-Mer le 1er mai, ces victimes de l’industrie (alimentaire, chimique, pharmaceutique…) et des conflits d’intérêts sont arrivées mercredi matin 27 juin à Paris. Parmi leurs revendications : faire reconnaître le crime industriel et établir une fois pour toutes le lien entre santé et environnement. Quatre de ces cobayes des temps modernes témoignent.
Camille Lambert, vent debout contre l’aluminium dans les vaccins

Camille, 28 ans, marche aux côtés des cobayes depuis le début. Elle est venue pour alerter contre les méfaits du sel d’aluminium, un composé chimique utilisé comme adjuvant dans les vaccins. En 1994, son père y a été intoxiqué, suite à une vaccination contre l’hépatite B. Rapidement, il commence à souffrir d’épuisement chronique, de douleurs articulaires et de troubles cognitifs. Après des années de recherches et d’analyses, le diagnostic est tombé : il est atteint de Myofasciite à macrophage (MFM), une maladie neurologique encore largement méconnue. « Malheureusement, explique la jeune fille, il y a une sous-déclaration des effets indésirables ». Si les autorités de santé comptabilisent environ un millier d’individus atteints de cette pathologie au nom barbare, la jeune femme pense qu’ils se chiffrent plutôt en dizaine de milliers, notamment à cause d’autres syndromes dont on ignore l’origine qu’on pourrait, selon elle, relier aux sels d’aluminium.
Comment fait-on le lien entre des symptômes qui pourraient, en apparence, être lié à un grand nombre de pathologies et les sels d’aluminium contenus dans un vaccin fait des années auparavant ? « C’est un parcours du combattant, rigole Camille. Les médecins ne connaissent pas cette maladie et sont très peu formés à la présence d’aluminium dans les vaccins. Alors, lorsqu’un patient se présente à son cabinet avec ces symptômes, soit on lui parle de fibromyalgie, une maladie un peu fourre-tout, soit on creuse et on entame des recherches, mais c’est encore très rare ». Les patients se retrouvent souvent à faire eux-mêmes les recherches. Pour les aider l’association E3M, présidée par le père de Camille, propose notamment de réaliser en partenariat avec le centre Henri Mondor de Créteil, des biopsies permettant d’identifier la présence de sels d’aluminiums et de diagnostiquer les patients atteints de myofasciite.
L’association se bat également pour obtenir le retrait de l’aluminium dans les vaccins. Interdit pendant un temps, les autorités de santé ont mystérieusement décidé de réintroduire l’aluminium, notamment dans le D.T. Polio, à partir de 2008. « La raison officielle, c’est que le vaccin n’était pas assez efficace et qu’il provoquait des effets indésirables, mais on a réussi à montrer que c’était faux. On se rend compte qu’il y a une sorte de report des chiffres d’une année sur l’autre pour justifier cette réintroduction des sels d’aluminium. »
Camille n’est pas elle-même victime mais se bat pour les autres. « Cette marche permet de rendre visible les victimes, souvent isolées et incomprises des systèmes de santé. Aujourd’hui, on sait qu’elles existent, qu’elles sont nombreuses et que l’environnement dans lequel on évolue, ainsi que la toxicité des produits que nous consommons, sont des facteurs aggravants. »
Naggia, intoxiquée par l’air pollué de Marseille

Naggia, 60 ans, est arrivée dans la marche un peu par hasard. C’était à Marseille, en mai dernier. Elle a croisé les « cobayes » suite à une de leurs manifestations, et a discuté avec eux par curiosité. « J’ai été très bousculée par leurs propos. Je me suis rendue compte que toutes ces pollutions concernaient tout le monde, vous comme moi ! », s’indigne-t-elle. Depuis trois ans, elle vit dans un appartement des quartiers Nord de Marseille. À cet endroit circulent régulièrement les cargos de croisières qui transportent les touristes jusqu’à la cité phocéenne et s’amarrent aux docks, non loin de chez elle. Outre les touristes, les allers-retours des paquebots entraînent leur lot de poussières qui rendent chaque fois un peu plus toxique l’air que Naggia respire.
« Ça se voit rien que sur les rideaux que je dois laver deux fois par mois, ils sont noirs de suie », se plaint-elle. Reste à imaginer les dégâts que cela provoque sur ses poumons. « Depuis que je vis ici, j’ai des problèmes respiratoires que je n’avais pas avant, même confrontée à la pollution automobile », témoigne-t-elle. Selon elle, le nombre d’individus asthmatiques est plus élevé dans les quartiers Nord que dans les quartiers Sud : « C’est bien que quelque chose ne va pas », conclut-elle. « Mais les gens de ces quartiers sont tellement démunis… Ils n’ont pas les moyens de se battre contre ça. Et la ville fait tout pour les beaux quartiers, au Sud. »
Pour cette soixantenaire, la solution est toute trouvée. Il suffirait que les bateaux débarquent les touristes plus loin de la ville et qu’ils soient ensuite acheminés vers la ville sur des barques. En marchant aux côtés des autres cobayes, Naggia espère montrer qu’il est du rôle de chaque citoyen de s’engager pour préserver sa planète et sa qualité de vie. « Il faut aller nettoyer les plages, dépolluer l’eau… quitte à faire une loi qui impose à chaque citoyen de réserver deux journées de son année pour se consacrer à ce genre de travaux d’intérêts généraux » suggère-t-elle.
Marie Ebermeyer, empoisonnée par le Levothyrox

Marie est la marcheuse qui cumule le plus de casquettes. Engagée politiquement, elle a travaillé pendant 40 ans dans le domaine de la santé et se retrouve cobaye à son tour. Comme trois millions de personnes en France, Marie prend chaque jour du Lévothyrox, ce médicament pour la thyroïde dont la nouvelle formule a fait l’objet d’un scandale sanitaire l’année dernière. Début 2017, tout juste à la retraite, elle a ressenti fatigue, douleurs, a commencé à prendre du poids et à perdre ses cheveux. Après une batterie d’examens, son traitement a été mis en cause. Une nouvelle formule a effectivement été commercialisée depuis peu, sans qu’aucune communication significative ne soit faite pour en informer correctement les médecins et pharmaciens concernés.
500.000 personnes atteintes d’effets secondaires graves se sont signalées aux autorités de santé, mais l’ancienne formule a tardé à être remise sur le marché. Pire : la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, semble peu sensible aux appels à l’aide des victimes, selon ce qu’en disent celles-ci.
Si elle s’est « farcie les 1.200 km », comme elle le dit, c’est surtout pour exprimer haut et fort sa colère. « Je ne peux pas accepter les propos de mes autorités de tutelle, à savoir le ministère de la Santé et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) concernant le Levotyrox. »
« J’ai travaillé pendant 40 ans pour ces deux instances, pour finalement les entendre qualifier les effets secondaires que je ressentais de “psychose généralisée” et “d’effets nocébo”. C’est profondément choquant », explique la retraitée, bouleversée. Encore aujourd’hui, les victimes ont du mal à être prises au sérieux par ces autorités de santés, surtout si elles sont des femmes. « Il y a cette espèce de consensus généralisé en médecine autour des femmes, qui sont fragiles, qui se plaignent sans cesse, qui ont tendance à être obèse et à rester sur leur canapé… » Pendant près de huit mois, elle a vécu un enfer. « Tout est pénible, pour nous comme pour l’entourage. Ce mal-être, ces insomnies, cette fibromyalgie qui s’installe… »
Au ministère de la Santé, Marie demande deux choses. La première, c’est la reconnaissance des effets secondaires subis par l’organisme de ces milliers de femmes victimes. La seconde, c’est un changement radical de politique de santé. « Il faut qu’on se réveille, qu’on arrête de faire de la médecine curative et qu’on se mette à s’intéresser sérieusement à la médecine préventive. » Parmi les mesures qu’elle aimerait voire mises en œuvre : la création d’une agence de santé environnementale.
Jean-Marc Eudier, consterné par les déchets de l’industrie chimique

Ce lien entre santé et environnement, Jean-Marc Eudier y tient énormément, lui aussi. Le Normand de 60 ans se bat pour cette cause depuis ses 14 ans. Alors adolescent, l’homme a perdu son jeune cousin, mort d’une leucémie provoquée par ses conditions de travail dans l’industrie pétrochimique du Havre, d’où il est originaire. « Il avait 18 ans, et depuis ce temps-là, je n’ai pas cessé une seconde de me battre contre les problèmes environnementaux. »
Pour Jean-Marc, l’ennemi public numéro un de la planète – et de ses habitants – c’est le déchet. Qu’il soit plastique, particule rejetée par le pot d’échappement de sa voiture, ou produit chimique déversé dans les rivières… « J’ai fait beaucoup de visites d’usines, et c’est toujours l’aspect qui me marquait le plus. À Renaud je me souviens, les minimums de peinture étaient faits par électrolyse et les bacs se retrouvaient ensuite dans le canal, par chez nous. Plus tard, j’ai fait l’armée à Saint-Jean-de-Maurienne et déjà Pechiney larguait du fluor à pleine dose. »
« On est au bout, encore 20 piges et ça va être une catastrophe. Aujourd’hui si vous fumez, vous savez que vous allez mourir du cancer. Avec les substances chimiques c’est la même chose, on le sait. Si vous en incorporez dans l’eau et que vous en consommez tous les jours, vous allez aussi en mourir », se désole Jean-Marc. « Ce qui me touche le plus, c’est de voir qu’on avance pas. »
À terme, ce Normand aimerait voir l’écologie reconnue comme une discipline scolaire, au même titre que les mathématiques ou le français. « Il faut enseigner tout ça aux enfants dès le plus jeune âge. Regardez la sécurité routière par exemple : si aujourd’hui je démarre ma voiture sans avoir mis ma ceinture, mes enfants sur la banquette arrière vont tout de suite me reprendre. La ceinture, c’est un réflexe pour eux, c’est dans leurs gènes, car on les bassine avec ça depuis qu’ils sont petits ! Il faut faire la même chose avec l’environnement. »

Les cobayes n’ont, pour l’heure, pas encore été reçus par la ministre de la Santé. Mais, si elle le souhaite, Agnès Buzyn pourra se rendre samedi Place de la Bataille de Stalingrad pour les rencontrer. C’est là-bas que se clôturera « dans un grand tintamarre » la Marche, qui partira de l’incinérateur d’Ivry et déambulera dans les rues de la capitale, casseroles à la main.