Manger de la viande : Stop ou encore ? Les lecteurs ont la parole

Durée de lecture : 11 minutes
Quotidien AlimentationL’article « Voici pourquoi je (re)mange de la viande » a suscité de nombreuses réactions des lecteurs. Elles montrent combien le débat sur l’alimentation et l’agriculture de demain est essentiel, et vif. Reporterre est un espace de discussion et de réflexion, et les lecteurs ont aujourd’hui la parole.
Nous avions préparé depuis plusieurs jours notre article « Voici pourquoi je (re)mange de la viande » et il était prévu qu’il soit mis en ligne mercredi 27 ou jeudi. Il a été publié au lendemain d’une publication classant la viande rouge comme probablement cancérogène. L’article aurait mérité d’être mieux contextualisé. En tout cas, il a suscité un très vif intérêt, et de nombreuses réactions des lectrices et lecteurs, sur facebook, twitter ou sur notre adresse planete (arobase) reporterre.net. Nous publions aujourd’hui les principaux points de vue exprimés dans ce débat.
Rappelons cependant que cet article s’inscrit dans un travail continu de Reporterre - enquêtes, reportages, entretiens - autour du sujet « agriculture et écologie ». Il n’a pas pour objectif d’être exhaustif, mais de proposer un éclairage, parmi d’autres, sur cette question complexe.
Ecologique ?
Je trouve l’article incomplet sur un point. C’est vraiment la première phrase qui m’embête. « Je suis devenue végétarienne il y a cinq ans, par conviction écologique. Aujourd’hui, je remange de la viande... par conviction écologique. »
Pourtant, après lecture de l’article ce n’est pas vraiment le cas. Vous parlez d’éthique, de solidarité avec les petits producteurs mais pas d’environnement. Je ne vois aucune justification écologique dans l’article. La question des gaz à effet de serre (le problème principal) et la surconsommation n’est pas vraiment abordée (si on mange moins de viande, est-ce que cela freinera suffisamment nos émissions de gaz à effet de serre ?). Et même d’un point de vu éthique, légalement, il faut rappeler que même un petit éleveur doit passer par les super-abattoirs dont on a pu voir les images récemment.
À coté de ça, je ne suis pas sûr, en fin de compte, qu’utiliser l’élevage pour gérer les milieux soit une bonne idée (déjà parce qu’on ne devrait pas les gérer)... Rouvrir un milieu implique déjà d’aller contre un mécanisme naturel, la fermeture des milieux (liée à notre déprise agricole). Et la solution miracle, ce serait l’élevage, alors qu’on connaît les effets que ça a en arrière plan sur l’environnement, ou les changements climatiques ? Ça aura probablement un impact plus grand que de laisser ces milieux se refermer et d’arrêter l’élevage. Je ne trouve pas qu’à long terme ça soit une bonne solution.
Je suis bien évidemment pour le local, soutenir les petites exploitations, et globalement je trouve l’article bien ! Mais j’aurais préféré ne pas y voir ce terme d’« écologie » et que ça soit présenté comme une solution éthique et solidaire.
Mathieu

Lutter contre les a priori
En tant que rural, fils d’agriculteur et ingénieur agronome de formation, je suis toujours méchamment surpris d’entendre « écolo égale végétarien », qui, comme l’a constaté votre journaliste, n’est pas si juste. Ce raisonnement est faux et à plus d’un titre.
- Il ne prend pas en compte les services écosystémiques que rendent l’élevage (maintien des estives en montagnes, non-retournement des prairies, conservation des haies, des arbres têtards, du bocage...), la liste est longue !
- Il ne prend pas en compte l’élevage biologique, qui utilise des méthodes d’élevage fondées sur la prévention (bien-être animal mis en avant par des logettes adaptées, des brosses leur permettant de se gratter, un accès aux pâtures, une alimentation conçue avec le fourrage et les céréales bien souvent produites par l’éleveur, de la prévention utilisant la phytothérapie...)
- Il résume l’élevage comme étant forcément industriel, gourmand en antibiotiques, émetteurs de gaz à effet de serre...
À mon sens, l’un des problèmes majeur du mouvement écologiste (dont je suis par ailleurs acteur, personnellement et professionnellement), c’est les nombreux a priori que les « écolos » ont sur de nombreux sujets. Ce problème est particulièrement important car il décrédibilise le mouvement ! Chacun selon ses convictions s’enferme dans ses idées, ses logiques (économiques, sociales religieuses, écologiques...). Cela ne permet pas d’avancer dans sa réflexion, son ouverture à l’autre...
Il faut visiter des exploitations agricoles, qu’elles soient bio ou non ! La palette d’actions agro-environnementales est très large !
Jean-Christophe
Mauvais timing
Je ne suis pas de religion végétarienne, je ne suis pour le moment aucun dogme en la matière, mais j’avoue que ce matin en ouvrant Reporterre ça m’a fait drôle.
Hier soir mes parents (et sûrement des millions de Français) ont vu leurs certitudes ébranlées en apprenant à la télé que la viande rouge transformée était potentiellement cancérogène.
Ce matin, un article sur Reporterre explique que manger de la viande, ce n’est pas MAL, sans même mentionner l’étude de l’OMS/CIRC (qui est néanmoins dans les brèves). En soi, je n’ai pas grand-chose à reprocher à l’article, c’est un témoignage, je ne lui demande donc pas de reprendre tous les arguments du débat (question de l’empathie envers les animaux, de l’abattage, de la non-nécessité de manger de la viande pour être en bonne forme, des impacts d’un régime carné sur la santé...).
Par contre, stratégiquement et politiquement, ça me questionne. Je comprends la volonté de rebondir sur l’actu, mais là, ça m’a fait penser à la réponse d’un lobby proviande qui réagirait après avoir été attaqué ! J’imagine bien que ce n’était pas l’intention, que le papier devait dormir dans les cartons et que c’était une bonne occasion de le sortir, mais là je trouve le timing malvenu.
La sortie de l’étude est un événement qui va bousculer pas mal d’idées reçues et Reporterre, quotidien de l’écologie en prend presque le contre-pied. Quand on lit l’article, on comprend que le message est : mangez moins de viande mais de la bonne viande. Mais le fait de le publier à ce moment est, je pense, assez maladroit !
Emmanuel

Pas dans le même panier
Merci pour votre article « Voici pourquoi je (re)mange de la viande », on l’a beaucoup aimé. Souvent les petits éleveurs sont mis dans le même panier que les gros, qui eux polluent et ne cocréent pas avec la nature, et ça fait du bien de lire que tous n’ont pas cette opinion.
Lauriane, la ferme du Vieux-Poirier
Petit trou de la serrure
Ma joie quotidienne de lire vos articles s’est aujourd’hui transformée en tristesse...
Non, pas vous, pas ça, pas comme ça !!
Les animaux font partie d’un paysage, d’un territoire, entretiennent des parcelles, fertilisent les terres... L’élevage paysan rend effectivement de nombreux services ! Rémunérons les éleveurs pour ces services.... sans que l’animal soit tué in fine !
Trois raisons poussent au végétarisme et au véganisme : environnementale, éthique et de santé publique. Mettre la lumière sur un type d’élevage extrêmement minoritaire qui respecte l’environnement est vraiment une manière de regarder par le petit trou de la serrure... Que certains élevages soient respectueux de l’environnement et du bien-être animal (du temps de leur courte vie) est une réalité. Mais de là à le mettre en une...
L’urgence aujourd’hui est de faire prendre conscience aux gens de l’impact (énorme) de la viande sur l’environnement. À l’heure où végétariens et vegans sont toujours stigmatisés, montrés du doigt, tournés en ridicule...votre article, Reporterre, fait mal.
Anna
Ne pas se tromper de combat
Il y a toujours un amalgame réalisé entre le fait de manger de la viande et le fait de cautionner ce qu’il se passe dans de nombreux abattoirs. Le problème réside surtout dans le fait que les abattoirs sont des entreprises. Donc doivent dégager un maximum de bénéfices. Ce qui tue l’humanité selon moi, c’est simplement ça. Cette société ultracapitaliste qui nous fait foncer dans le mur tête baissée.
Nombre de végétariens consomment du tofu, mais le tofu est issu du lait de soja. En 2010, 0,23 % de la production mondiale de soja était française. Donc manger du tofu, c’est encourager une politique d’importation de masse au détriment de la consommation locale. Ça n’est pas très écolo non plus.
Ludovic

Changer de système
Dans l’article, vous écrivez, « si l’élevage est une telle calamité pour l’environnement, comment se fait-il qu’il existe depuis dix millénaires et qu’il soit consubstantiel de la majorité des sociétés humaines ? ». Autrement dit : si tout le monde le fait c’est qu’il faut continuer !
Les données sur l’impact de l’élevage (industriel ou non) sur la planète sont pourtant bien connues. Les infos ne manquent pas sur le sujet. Je vous conseille par exemple le documentaire Cowspiracy. Évidemment je ne parle ici que d’écologie, puisque c’est la spécialité de Reporterre, mais il n’est pas interdit d’avoir quelques questionnements éthiques...
Maxime
Que faire ?
Article très intéressant, mais qui m’a laissée sur ma faim ; j’étais parvenue à des conclusions assez similaires, sans avoir eu l’idée et le courage d’être totalement végétarienne. Donc, je continue à acheter du poulet à ma dame du marché qui sait exactement comment les volailles qu’elle a élevées avec respect et soin sont ensuite abattues. Pour moi, pas de problème, des gens qui font bien leur travail et et des bons plats à partager.
Le problème survient me semble-t-il lorsque les animaux sont traités comme une matière première, ce qui entraîne des conditions de vie et d’abattage indignes. La ligne de conduite acceptable serait donc d’être certain que, dans la « chaîne de production », tout soit fait de manière correcte, ce que les éleveurs, même petits, ne peuvent plus contrôler à 100 %.
Sur le marché, j’achète des yaourts de lait de brebis à un charmant producteur. Je me suis décidée à lui poser la question : que deviennent vos agneaux ? Contrit, il n’a pas pu me le dire car il les vend à un engraisseur, qui ensuite les conduit à l’abattoir : ce système fragmenté, qui dilue la responsabilité, permet tous les excès (exactement comme dans le textile). Et pourtant, ici, il s’agit tout de même d’un circuit relativement court. Évidemment, ce producteur n’est pas heureux de cette situation, mais que faire ? Je ne vais pas le sanctionner en arrêtant d’acheter ses produits...
C’est donc bien plus complexe que de s’abstenir purement et simplement de viande, voire de tout produit animal. Il faut à mon sens plutôt orienter nos efforts de pression en direction des élevages industriels (viande, poisson, oeufs, lait), et des abattoirs dont on ne parle que trop rarement...Du boulot en perspective !
Anne

LE PATIENT TRAVAIL DE REPORTERRE SUR UN SUJET ENFLAMMÉ
Et, pour ceux qui souhaitent poursuivre la réflexion, voici une sélection de tous nos articles sur le sujet. Bonne lecture !
- Le récit des premières semaines de végétarisme d’un de nos journalistes
- Les deux enquêtes de Reporterre sur l’impact de l’élevage sur le climat :
« L’élevage, atout ou malédiction pour le climat ? »
« Faut-il devenir végétarien pour sauver la planète ? »
- Un article qui donne la parole à des scientifiques spécialistes des liens entre climat et alimentation. Leur conclusion : oui, le régime végétarien est le plus « climato-compatible »
- Une enquête sur les abattoirs halal
- Une tribune sur les conditions de vie souvent déplorables des animaux
- Le compte-rendu de la rencontre « Agriculture et climat », organisée par Reporterre et la Confédération paysanne en avril dernier. Parmi les sujets évoqués, les OGM, la mécanisation et bien sûr... l’élevage.
- Un compte-rendu du documentaire Cowspiracy sur les ravages de l’élevage industriel.
- Une découverte de la gastronomie végétale, pour montrer que manger sans viande, c’est délicieux !
- Un article fiction pour réconcilier agriculture, élevage et climat... en 2050.
- Un entretien avec Sylvain Doublet, agronome, sur l’assiette de demain, biologique et beaucoup moins carnée.
- Le dossier de Reporterre sur « Agriculture et climat ». et le dossier « Alimentation ».