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Entretien Elections 2017

Matthieu Orphelin : « Le programme d’Emmanuel Macron n’est pas parfait, mais du chemin a été parcouru »

Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot, soutient officiellement Emmanuel Macron. S’il admet être en désaccord sur certains points, comme le projet de mine d’or en Guyane et les chasses présidentielles, il défend le programme environnemental du candidat d’En Marche !

Matthieu Orphelin est à la tête de la direction économie circulaire et déchets de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) depuis janvier 2016. Il était auparavant vice-président (EELV) de la région Pays de la Loire chargé de l’éducation et de l’apprentissage puis porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot. Il a officiellement rallié Emmanuel Macron le 23 février 2017 et a été investi comme candidat En Marche ! aux élections législatives en Anjou.

Matthieu Orphelin.


Reporterre — Quels sont les points qui vous semblent intéressants dans le programme environnement d’Emmanuel Macron ?

Matthieu Orphelin — Son programme s’est enrichi et bonifié depuis le Panda Live du WWF, le 9 février. Il ne se limite pas à l’incantation. En matière d’écologie, il est trop simple de donner des objectifs ambitieux et de s’arrêter là, comme le font d’autres candidats. Emmanuel Macron a fait le choix méthodologique d’expliquer comment on concrétise les objectifs et comment on accompagne tous les acteurs dans la transition énergétique et écologique. Pour cela, on donne de la visibilité en annonçant dès le début du mandat ce qu’on va faire pendant cinq ans.

La fiscalité écologique est un bon exemple, car elle envoie un message clair : taxer davantage les dommages à l’environnement pour moins taxer le travail. Ainsi, Emmanuel Macron s’est engagé à augmenter la contribution climat-énergie à 56 euros en 2020 puis à 100 euros en 2030, comme préconisé par les rapports Quinet puis Rocard, et à l’inscrire dans les lois de finances dès le début du quinquennat. Cela va faire basculer les choix d’investissement du côté des énergies renouvelables et de la sobriété. Autre point important, la fin de la niche fiscale sur le diesel avec l’alignement à la hausse, en cinq ans, de la fiscalité du gazole sur la fiscalité de l’essence.

Emmanuel Macron prévoit aussi une prime de 1.000 euros pour tous les ménages qui se débarrassent de leur vieux diesel pour un véhicule moins polluant, neuf ou d’occasion. Aujourd’hui, il existe une prime de 500 euros, mais elle est mal connue et compliquée à obtenir, car soumise à condition de ressources. Si l’on ne donne pas les moyens aux citoyens d’aller vers d’autres mobilités ou à changer de véhicule, ça ne marche pas. Emmanuel Macron a également annoncé que d’ici 2040, plus aucun véhicule diesel ou essence neuf ne sera mis sur le marché. Tous les véhicules neufs seront électriques, hybrides ou alimentés aux énergies renouvelables — biométhane, hydrogène, etc.

Concernant l’agriculture et l’alimentation, il se donne des objectifs très forts, comme la sortie des pesticides en commençant par ceux qui ont un impact sur notre santé ou sur la biodiversité. Il assume un équilibre entre des modèles agricoles divers, en faisant de la France le pays leader sur le bio en Europe et en réduisant drastiquement l’utilisation de pesticides dans l’agriculture conventionnelle. Il prend aussi l’engagement, que j’ai porté dans ma région Pays de la Loire et au sein de la Fondation Nicolas Hulot, d’atteindre 50 % de produits bio, labellisés ou issus de circuits courts dans la restauration collective d’ici 2022. Sur ce point, je peux vous dire que le passage à 100 % de bio dans toutes les cantines en cinq ans, inscrit dans d’autres programmes, est irréaliste. Il va également accorder 5 milliards d’euros d’investissements aux agriculteurs, avec trois priorités : le bien-être animal, la protection de l’environnement et les circuits courts. En matière d’agriculture, le changement est important et financé. Dans les autres programmes, ces questions ne sont pas évoquées — François Fillon ne parle pas une seule fois d’agriculture biologique — ou ne sont pas assorties de mesures assez concrètes — comme celui de Benoît Hamon.

Nous sommes les seuls à proposer un audit gratuit aux personnes en situation de précarité énergétique. Nous proposons aussi de remplacer le crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite) par une prime au moment des travaux : en effet, il est remonté de la grande marche que les gens ne font pas de travaux de rénovation parce qu’ils ne pensent pas avoir droit au crédit d’impôt ou qu’ils ne peuvent pas avancer les frais. On va interdire la location des logements classés F et G à partir de 2025 et accompagner les propriétaires qui n’ont pas les moyens de réaliser les travaux grâce à un nouveau fonds de 4 milliards d’euros.

Quasiment la moitié des 50 milliards d’investissements prévus par Emmanuel Macron est consacrée à la transition énergétique. Son programme n’est pas parfait, mais il présente des avancées très fortes. Le fait que les gens restent sur leurs idées reçues est un peu frustrant.

Emmanuel Macron prévoit la fin de la niche fiscale sur le diesel avec l’alignement à la hausse, en cinq ans, de la fiscalité du gazole sur la fiscalité de l’essence.


En matière d’énergie, Emmanuel Macron s’est engagé à conserver les objectifs de la loi de transition énergétique, mais n’envisage pas de sortie du nucléaire. Pensez-vous que cette position peut évoluer ?

Je me suis battu pour les objectifs de cette loi, notamment celui de la baisse de 20 % de la consommation d’ici 2030 — qu’Emmanuel Macron a repris à son compte. Ses engagements sur les énergies renouvelables électriques — mais aussi sur le doublement du fonds chaleur pour les énergies renouvelables thermiques — me semblent particulièrement en phase avec les demandes des différents syndicats professionnels et avec le rythme nécessaire pour réussir la transition. S’il assume ne pas vouloir sortir de l’atome, il prévoit un mix énergétique équilibré avec 50 % de nucléaire en 2025. D’ailleurs, Benoît Hamon s’est engagé sur ce même objectif.

La question du nucléaire est importante, mais il est réducteur d’aborder la question énergétique par ce biais. Je suis fidèle à la manière qu’a Nicolas Hulot d’amener ce thème : d’abord, privilégier la sobriété énergétique ; ensuite, développer massivement les énergies renouvelables ; ce qui entraînera naturellement une réduction du parc nucléaire, car on aura diminué la demande électrique et que les énergies renouvelables, bien plus compétitives, pourront en assurer la production.


Emmanuel Macron a apporté son soutien à un projet de mine d’or en Guyane. S’il souhaite travailler sur un projet de « mines responsables », cette industrie demeure aujourd’hui très polluante…

Il s’agit d’une question complexe sur laquelle il a donné ses arguments. Notamment que ce projet minier en Guyane permettrait de lutter contre l’orpaillage illégal, qui cause des dommages environnementaux très importants. Le point d’équilibre qu’il a trouvé est de mieux encadrer et mieux structurer cette activité avec l’ensemble des acteurs. Ce n’est pas ma position, mais je comprends son raisonnement.


Au-delà du projet de mine d’or guyanais, Emmanuel Macron souhaite lancer un renouveau minier en France.

Emmanuel Macron a évolué positivement sur beaucoup de sujets, y compris sur celui-là. Celui qui résume le mieux ceci est Daniel Cohn-Bendit, interviewé à ce sujet il y a quelques semaines : « Il a évolué sur le diesel et le gaz de schiste ? Tant mieux ! » L’écologie est un chemin. On est là pour s’améliorer en permanence. J’espère que sa nouvelle stature de président va l’amener à progresser encore. Il faut accompagner ce mouvement.


A-t-il clarifié sa position sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

Il l’a dit, dit et redit, y compris sur France 2 jeudi 30 mars : « Je ne ferai pas de Sivens au carré. Je ne prendrai aucun risque. » Ce n’est quand même pas rien ! Lors du Panda Live, il a pris des engagements très clairs : premièrement, pas d’évacuation violente ; deuxièmement, respect de la consultation ; troisièmement, nomination d’un médiateur pour six mois.

Si les travaux de ce médiateur montraient qu’aménager l’aéroport existant de Nantes-Atlantique était une alternative très avantageuse, ils seraient de nature à remettre en cause le projet de Notre-Dame-des-Landes. Pour moi, qui ai toujours dénoncé le projet de construction d’un nouvel aéroport, il s’agit d’une bonne position d’équilibre, en phase avec la complexité du dossier. Bien sûr, elle ne convient pas à ceux qui, pour ou contre, en font un sujet de clivage. Mais il faut absolument trouver une solution. Cela n’a pas été fait avec la consultation, viciée dès le départ par le périmètre, la période, etc. Et l’alternative du réaménagement de Nantes-Atlantique n’a jamais été étudiée dans la transparence !


Le programme économique d’Emmanuel Macron et ses mesures quand il était ministre de l’Économie sont empreints d’une certaine brutalité : travail du dimanche, libéralisation du marché du travail, croissance, etc. Cela préoccupe-t-il ?

De tous les candidats, Emmanuel Macron a les hypothèses de croissance les plus modérées. Il a répété que la croissance d’aujourd’hui devait être sélective — c’est inscrit dans son programme. Il maintient quand même les bons côtés du modèle actuel et prévoit des changements qui peuvent aller dans le bon sens.

Par exemple, en matière d’éducation. Quand j’étais vice-président (EELV) de la région Pays de la Loire chargé de l’éducation, des élèves des quartiers me parlaient de leur difficulté à trouver du travail à cause de leur lieu de résidence. Pour lutter contre ce phénomène, Emmanuel Macron a pris l’engagement de lancer des emplois francs dans le secteur privé, avec zéro charge sociale pendant trois ans pour les employeurs qui embauchent des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville. Je trouve que c’est une mesure très intéressante.

Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il propose, notamment sa position en faveur du traité de libre-échange avec le Canada (Ceta). Mais on ne peut pas dire qu’il est un grand méchant pour la société.

Le parc du château de Chambord était l’un des hauts-lieux des chasses présidentielles. Emmanuel Macron voudrait les réhabiliter.


Certaines de ses déclarations peuvent susciter le doute sur ses engagements. Par exemple, sa réponse aux chasseurs favorable aux chasses présidentielles. Ou encore, son hommage à « l’ami » Xavier Beulin, dont il a déclaré vouloir poursuivre le « combat ». Qu’en pensez-vous ?

Emmanuel Macron évolue rapidement. Il demande à être nourri sur ces sujets et prend le temps de le faire. Est-on au bout du chemin ? Non ! Il sera important, une fois qu’il sera élu, de reprendre ces sujets de manière apaisée.

Concernant les chasses présidentielles, sa déclaration a effectivement surpris un certain nombre de personnes, moi compris. Quant à l’hommage à Xavier Beulin, il a été prononcé à l’occasion de son décès ; je trouve que cette polémique n’était pas à la hauteur. Les questions d’agriculture et d’alimentation sont fondamentales et toutes ses mesures — 5 milliards d’aides, sortie des pesticides, etc. — sont dans son programme. C’est de la réalité de ces engagements que je veux discuter, pas d’une petite phrase.


À quel moment et pourquoi avez-vous choisi de soutenir Emmanuel Macron ?

Début 2017, alors que François Fillon était encore haut dans les sondages, je me suis dit que la seule alternative au candidat de Les Républicains et à Marine Le Pen était Emmanuel Macron. Le renouveau démocratique, porté par le mouvement En Marche !, est aussi une vraie chance pour notre démocratie. Je ne suis resté que deux ans dans un parti [EELV] et j’en ai vite vu les limites.

On a donc commencé à échanger avec lui et à nourrir le programme. Il y a eu un travail de terrain assez génial, avec la grande marche et les débats organisés par les comités locaux. La liste des experts de tous les secteurs qui bossent pour lui de façon invisible — énergies renouvelables, ONG, collectivités — est bluffante. Le Panda Live a été un moment marquant, où il a commencé à concrétiser de nombreuses choses encore en discussion.

Je n’ai qu’un rôle : faire progresser la cause de l’écologie. Cela fait vingt ans que je porte ce combat. J’essaie de me rendre utile. Les postures, trop simples en matière d’écologie, ne m’intéressent pas. Je me concentre sur les avancées. Le programme d’Emmanuel Macron est-il parfait ? Non, mais du chemin a été parcouru. Pourtant, aujourd’hui encore, les gens ont du mal à comprendre que l’écologie est au cœur de son projet. Il est vrai que cette campagne très bizarre est difficile à vivre pour ceux qui ont bossé sur le fond. Mais les enjeux nous obligent à ne pas désespérer et à tout faire pour agir. Rester les bras croisés ou dans une posture uniquement critique, très peu pour moi !

  • Propos recueillis par Émilie Massemin

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