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Reportage Elections 2017

L’exemplaire victoire de François Ruffin

Candidat dans la 1re circonscription de la Somme, François Ruffin a remporté son siège de député face au candidat EM Nicolas Dumont. « Nous avons prouvé qu’il y avait un autre chemin pour la colère et le désespoir que le Front national », dit le nouveau député. Récit d’une soirée de liesse.

  • Flixecourt (Somme), reportage

François Ruffin a le visage crispé. Ce soir, il a laissé au placard son emblématique t-shirt Merci patron pour une chemisette blanche. Attablé avec son équipe, il sirote du bout des lèvres un verre de jus d’orange et écoute tomber les résultats des bureaux de vote. Même quand les chiffres sont positifs, il n’ose se fendre d’un sourire. Il est 19 heures dans la salle du Chiffon rouge de Flixecourt, à proximité d’Amiens. C’est dans ce bâtiment carré et austère que le rédacteur en chef de Fakir a voulu clore les législatives, en compagnie des militants qui l’ont accompagné depuis le lancement de sa campagne en janvier.

Un à un, les résultats s’égrènent, rythmés par les applaudissements des soutiens du journaliste : « Tu viens de gagner 130 voix François ! », « Ici on est remonté de 50 ! » Imperturbable, François Ruffin répond systématiquement à chaque annonce avec la même demande : « Et par rapport à la semaine dernière, c’est quoi la comparaison ? » « Nous avons fait quasiment match nul à un endroit où [Nicolas Dumont] avait le double de voix par rapport à nous », répond l’un de ses comparses. Ces calculs d’apothicaire ont leur importance : « La victoire se fera dans un mouchoir de poche. Si c’est une victoire », explique Asma, une militante. À l’issue du premier tour, François Ruffin avait obtenu 24,32 % des voix face aux 33,14 % de Nicolas Dumont, ancien membre du PS qui a revêtu les couleurs d’En marche pour les législatives.

« J’ai les résultats de Flixecourt ! Plus de 700 votants en faveur de Ruffin ! » exulte une des militantes. « Et les comparaisons ? » interroge le candidat. « Tu nous emmerdes avec les comparaisons, tu gagnes ! » lui rétorque un membre de l’équipe. « C’est pas scientifique comme réponse », réplique Ruffin. Quant à savoir pourquoi il est le seul à ne pas s’enthousiasmer des résultats : « Je veux entretenir l’esprit de la défaite », plaisante-t-il, mi-figue mi-raisin. Mais l’évidence est là : le candidat investi par La France insoumise, EELV et le Parti communiste égalise presque systématiquement avec son adversaire politique, quand il ne le dépasse pas.

« Vous savez, Ruffin, c’est la dernière petite lueur en France. Le dernier qui peut prouver que les Français ne sont pas des cons », explique une militante qui arbore le sticker « Picardie debout ! avec François Ruffin ». Quelques minutes plus tard, les résultats officiels tombent : François Ruffin remporte son siège de député avec 54 % des voix. Le journaliste laisse enfin tomber le masque pour souffler. À ses côtés, son équipe s’embrasse et se tombe dans les bras. Aux accolades s’ajoutent les larmes de joie : « Putain, j’y crois pas. J’y crois pas », répète une militante.

« Monsieur le député... Rien à faire, je n’arrive pas à m’imaginer lui dire ça »

« Je n’aurais jamais parié, confie Asma, mais Ruffin à fait une campagne de terrain remarquable, pas Dumont. Ce n’était même pas une vraie campagne de militant, beaucoup d’entre nous n’avaient jamais milité, même syndicalement. » Dans la salle, les slogans sont lancés à tue-tête : « Le peuple à l’Assemblée ! » « Et à la fin, c’est nous qu’on va gagner ! » « Ils ont l’argent, on a les gens ! »

Le tout nouveau député Ruffin s’empare du micro pour féliciter ses militants : « C’est une victoire par le peuple pour le peuple. Si on veut que le pays change, ça se passe un peu dans les urnes aujourd’hui, mais ça va se passer surtout ce soir dans la rue ! On va descendre à la mairie de Flixecourt, là où nous avons fait le meilleur pourcentage. »

La manifestation sauvage s’organise. Casseroles, tambours, flûtes et banderoles dans les mains, deux cents militants et sympathisants s’engagent dans la rue. Les chants s’élèvent : l’Internationale, Bella Ciao, Société tu m’auras pas... Tout un répertoire révolutionnaire qui rythme l’avancée de la foule. « Monsieur le député... Rien à faire, je n’arrive pas à m’imaginer lui dire ça », plaisante une jeune femme entre deux refrains. À l’avant de la manifestation, le maire de Flixecourt cavale pour frapper aux portes dans l’espoir de faire grossir la foule, sans grand succès.

Devant la mairie, François Ruffin reprend le micro pour remercier un par un ses militants avant de commencer avec quelques hésitations son discours, et pour cause : « J’avais fait un discours de défaite, avoue-t-il. Sur le papier, il n’y avait rien, si ce n’est que les gagnants gagnent toujours. Vous m’avez vu soucieux ce soir, je mesure la responsabilité qui est la mienne. On va avoir un rôle dans l’hémicycle : le rapport de force ne va pas être pour nous, mais nous avons prouvé qu’il y avait un autre chemin pour la colère et le désespoir que le Front national. »

Quant à savoir vers quelle gauche le député de la Somme tend, celui-ci répond qu’il « ne fai[t] pas le tri entre Insoumis et communistes. Nous sommes la gauche, tout court ». Et pour appuyer son point, il propose « à tous [ses] camarades insoumis et communistes un grand rassemblement ce jeudi place de la République ».

De retour à la salle du Chiffon rouge, les militants s’égayent autour d’un verre de vin et d’une portion de taboulé. Chacun y va de son analyse sur cette victoire inattendue : « Il y avait une dynamique, explique Vincent, militant de la première heure, à force de tracter, on sentait l’enthousiasme. Mais entre la cote de sympathie et le bulletin de vote, il y a une marge. Ce qui a fait la différence, c’est que l’électorat de droite ne s’est pas mobilisé. » Pour leur part, les membres de Picardie debout revendiquent avoir réussi à motiver les abstentionnistes à aller aux urnes : « C’est dû à notre travail de porte-à-porte », assure Stéphanie. À Abbeville, le fief de Nicolas Dumont, où elle a battu le pavé pendant des semaines, le travail a payé : « Nous avons gagné plus de deux mille voix ! C’était pas facile pourtant : il en est maire et fait du bon travail. C’était notre argument : il est déjà maire, et avait promis de ne pas cumuler de mandats. Mais la personne qu’on a envie de défendre aujourd’hui, c’est ce monsieur-là, Ruffin. Celui qui n’a pas un passé politique, qui est juste quelqu’un qui défend les ouvriers, les précaires, les gens qui sont sans voix. »


  • Complément d’info : Le discours de François Ruffin en vidéo :

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