Mme la ministre, sauvez les terres qui peuvent nourrir Paris

A moyen terme, le projet du Grand Paris Express détruiraient plus de 3 000 hectares de terres agricoles, selon les associations. - Twitter/Collectif contre la ligne 18
A moyen terme, le projet du Grand Paris Express détruiraient plus de 3 000 hectares de terres agricoles, selon les associations. - Twitter/Collectif contre la ligne 18
Dans une lettre, l’autrice Marie Desplechin et l’ingénieure Isabelle Goldringer appellent la ministre de la Culture à classer au Patrimoine mondial de l’Humanité les terres menacées de Saclay et de Gonesse, à côté de Paris.
Marie Desplechin est autrice et Isabelle Goldringer est ingénieure agronome, chercheuse en génétique des populations, membre de l’Académie d’agriculture de France.
Le 14 septembre 2022, Le Monde publiait un appel solennel, signé notamment par le spécialiste des sols Marc-André Selosse, le paysagiste et écrivain Gilles Clément, l’auteur principal du sixième rapport du Giec, Wolfgang Cremer, la philosophe Isabelle Stengers, qui appelait à sauver les terres de Saclay et de Gonesse, au sud de Paris, en les classant au Patrimoine mondial de l’Humanité. C’était un cri d’alarme : « Depuis plusieurs années, l’ensemble de la communauté scientifique clame l’absolue nécessité de préserver les sols autour des villes : toute nouvelle artificialisation accroît la menace sur notre avenir ».
Début mars, ces intellectuels, écrivains, citoyens, adressaient la lettre qui suit à la ministre de la Culture, Mme Rima Abdul-Malak, pour renouveler leur demande.
Pour soutenir leur démarche, ils vous invitent à la lecture de cet appel samedi 18 mars, à 11 heures, devant les portes de l’Unesco, à Paris (125, avenue de Suffren, VIIe), ainsi qu’à signer une pétition.
Lettre adressée à la ministre de la Culture :
Objet : demande de classement des sols fertiles de Gonesse et de Saclay au Patrimoine mondial de l’Humanité
Madame la Ministre,
Le 14 septembre 2022, un groupe de scientifiques et d’artistes lançait un appel solennel pour le classement des sols de Gonesse et de Saclay sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité.
Exceptionnellement fertiles, ces terres sont actuellement menacées par la construction de deux tronçons de transports publics (les lignes 17 nord et 18 ouest du Grand Paris Express), dont tous les experts s’accordent pourtant à contester l’utilité et à dénoncer le coût.
Ces terres jouent depuis des siècles un rôle vital pour notre région-capitale : ville historique au cœur d’une région agricole, Paris est devenue la capitale de la France en raison de sa situation au carrefour d’itinéraires terrestres et fluviaux qui ont permis la mise en valeur de ces terres nourricières. C’est dans ce contexte qu’a pu émerger un patrimoine unique, que le monde entier nous envie.
Mais si Paris est aujourd’hui la première destination touristique au monde, c’est aussi une métropole fragile, soumise à des aléas climatiques de plus en plus nombreux : la multiplication des inondations l’hiver et des canicules l’été nous rappellent l’importance de maintenir des sols vivants et perméables autour des villes. Les ruptures des chaînes d’approvisionnement, y compris alimentaires, depuis le début de la pandémie de coronavirus, devraient également nous rendre vigilants sur l’éloignement des zones agricoles des bassins de consommation. L’ensemble de la communauté scientifique clame d’ailleurs l’absolue nécessité de préserver les sols autour des villes : toute nouvelle artificialisation accroît la menace sur notre avenir.
« Nous devons être les gérants de ce trésor »
Le classement de sols fertiles sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco constituerait une première. Sur des milliers d’hectares, les limons éoliens de Gonesse et de Saclay, d’une profondeur de plusieurs mètres, abritent des réservoirs de biodiversité. Toute une vie complexe, le plus souvent invisible, y permet la symbiose entre animaux, végétaux, bactéries et champignons. En protégeant ces sols, la France démontrerait, sur le territoire même de l’Accord universel sur le climat de 2015, sa capacité à prendre soin d’écosystèmes méconnus et pourtant essentiels.
À ce remarquable patrimoine naturel s’ajoute la richesse archéologique et architecturale de ces espaces périurbains : des fouilles ont permis d’y attester la présence d’établissements humains depuis le néolithique. Encore aujourd’hui, entre les zones industrielles, les aéroports et les lotissements, subsistent de magnifiques corps de ferme, églises, moulins, pigeonniers, aqueducs et lavoirs, autant de vestiges inestimables de la vie agricole autour de Paris, dont l’approvisionnement alimentaire, contrairement à Londres, a longtemps dépendu presque exclusivement des terres situées à proximité des zones habitées.
Les sols nourriciers de Gonesse et de Saclay sont en danger. Nous, citoyennes et citoyens du XXIe siècle, devons être les gérants de ce trésor, qui nous a été transmis au fil des millénaires. Notre devoir est de protéger ce patrimoine, de le faire fructifier afin de le transmettre aux générations suivantes. Le classement en novembre dernier de la baguette de pain au Patrimoine immatériel de l’Humanité, saluée par l’ensemble des Français, n’aurait d’ailleurs pas de sens si au même moment l’on détruisait les dernières terres céréalières à proximité de la capitale.
Compte tenu de ce contexte d’urgence, une intervention de votre part nous semble nécessaire. Nous souhaitons pouvoir être reçus dans les meilleurs délais afin que ce gâchis, immense, puisse être évité.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de nos sentiments respectueux.