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Moins vite, moins haut, moins loin : le secteur de l’aviation doit atterrir

Il faut amorcer la transition vers une baisse du secteur aérien, appelle dans cette tribune un collectif, à l’occasion du Sommet de l’aviation les 3 et 4 février. Il demande aux ministres des Transports européens de prendre diverses mesures.

Le collectif Pensons l’aéronautique pour demain (PAD), fondé en septembre 2020, est constitué de salariés, syndicats, chercheurs, étudiants, riverains et citoyens. Il défend une transition sociale et écologique de l’aéronautique.



Pourrons-nous réduire l’impact du changement climatique de façon juste si nous ne donnons pas la priorité à la satisfaction des besoins socialement utiles ? Aller où on veut, quand on veut, par voie d’air, est-il encore acceptable ? Dans cette perspective, la question du développement sans fin du transport aérien mérite d’être interrogée sans détour. Car l’avion reste, à l’heure d’utilisation, le mode de transport le plus polluant.

Aujourd’hui, les constructeurs Boeing et Airbus fondent leurs prévisions de production sur une croissance du trafic aérien de 4 % par an dans les vingt-cinq années qui viennent ; ce qui conduirait à transporter près de 12 milliards de passagers en 2050 et à fabriquer, en conséquence, des dizaines de milliers d’aéronefs. Même en intégrant les améliorations technologiques qui peuvent encore optimiser les performances (de 1 à 1,5 % par an, en termes d’efficacité — consommation, fuselage, etc.), cette croissance ne ferait qu’augmenter la contribution, déjà significative, de l’aviation au réchauffement climatique du fait des effets rebonds, notamment l’augmentation du nombre de vols.

Comme les autres secteurs d’activité, l’aviation doit pourtant prendre sa part dans la bifurcation énergétique et écologique. D’autant plus que le transport aérien est un mode de déplacement particulièrement inégalitaire : si un peu plus de 4 milliards de personnes ont voyagé en avion en 2019, près de 90 % des hommes et des femmes qui peuplent notre planète n’ont jamais emprunté ce moyen de transport. Et 1 % des passagers, les plus riches, ont à eux seuls consommé 50 % des vols.

Moins vite, moins haut, moins loin

Continuer à nous déplacer comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant revient à choisir entre la préemption des terres arables pour produire des agrocarburants ou la construction massive, en France particulièrement, de centrales nucléaires pour produire l’électricité nécessaire à la fabrication d’e-carburants ou d’hydrogène pour avion dit « décarboné ». Sans oublier que la faisabilité technique de ce dernier est, aujourd’hui et pour les vingt-cinq années qui viennent, largement sujette à caution. Même si les promesses qui accompagnent ce projet se traduisaient en actes, il serait de toute façon trop tard car, selon les scientifiques, nous devons d’ores et déjà réduire les émissions imputables à l’aviation comme celles des autres secteurs. Et il ne peut être question, comme l’envisagent certains scénarios, de considérer que 50 % de l’électricité produite par l’ensemble des énergies renouvelables soit destinée à faire voler des avions, car ce serait au prix de sacrifices importants sur d’autres usages de cette électricité.

L’arrêt de la croissance du transport aérien n’est donc pas une revendication, mais une obligation qui nous est faite d’agir pour que nous tou·tes, quels que soient nos lieux de vie, puissions continuer à vivre dans un monde habitable, respectueux de l’environnement. Pour ce faire, nous allons notamment devoir changer notre conception des loisirs. Les ailleurs lointains que nous vantent les agences de tourisme, premier vecteur de croissance du trafic aérien, devront s’effacer devant d’autres bonheurs, comme celui de la lenteur : moins vite, moins haut, moins loin, pour une relation au monde plus empathique.

Bien sûr, il va falloir continuer à produire des avions pour, à trafic constant, remplacer les flottes existantes par des avions plus performants (moins bruyants et moins polluants) ou faire perdurer, voire développer, certains usages socialement utiles comme l’aviation sanitaire et humanitaire. Mais, nous le redisons, les prévisions des constructeurs et des compagnies ne sont pas raisonnables.

Amorcer la décroissance du secteur aérien

Les salarié·es du secteur aéronautique — employé·es, technicien·nes, ingénieur·es et cadres — ont de plus en plus conscience de cette contradiction entre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris et les conséquences pour le climat d’une croissance immodérée du transport aérien. Certain·es choisissent même, individuellement, de faire un pas de côté en renonçant à exercer leur métier pour migrer vers des activités plus « soutenables ». C’est pourquoi des réseaux de solidarité et des échanges d’expertise doivent voir le jour avec d’autres secteurs économiques afin de construire un projet global de transition. Ainsi les salarié·es de l’industrie des transports et des industries pétrolières et chimiques, qui sont confrontés aux mêmes enjeux de durabilité, pourraient élaborer ensemble des projets de diversification et de reconversion pour la transition écologique et sociale. Cela ne pourra se faire qu’en lien avec les habitants des territoires concernés.

En France, plus particulièrement dans le grand Sud-Ouest, et dans le reste de l’Europe, ce sont des centaines de milliers d’emplois directs, indirects et induits qui sont en jeu. C’est aussi le cas en Amérique du Nord et nous sommes solidaires des salarié·es de Seattle (Boeing) ou de Mobile (Airbus) qui voient, elles et eux aussi, leurs emplois menacés.


Pour amorcer la transition nécessaire, nous demandons donc aux ministres des Transports européens de prendre les mesures suivantes :
 

  • Un moratoire sur le développement du transport aérien et de la construction aéronautique qui tienne compte des impacts négatifs de l’avion sur le réchauffement climatique. Ainsi que l’abandon de tous les projets de construction ou d’extension des aéroports.
  • L’arrêt des subventions accordées aux entreprises du secteur de l’aviation sans contreparties sociales et environnementales. À la place, nous proposons que les aides soient contrôlables par les salarié·es, les habitant·es des territoires concernés et des organismes indépendants.
  • Un plan de reconversion et de diversification des emplois liés à l’aviation vers des secteurs d’activité en lien avec la transition écologique. En tenant compte des spécificités territoriales, et dans le cadre d’une définition collective des besoins sociétaux (comment se nourrir, se vêtir, se divertir, se déplacer).
  • Des investissements massifs, créateurs d’emplois, dans les secteurs du transport ferroviaire et des nouvelles mobilités. Par exemple, un investissement massif dans le secteur des vélos-cargos, dans la remise en service des petites lignes de TER, la renaissance des trains de nuit, ou le soutien à la marine à voile, etc.

Le Sommet de l’aviation, organisé sous l’égide de la présidence française du Conseil de l’Union européenne les 3 et 4 février, est l’occasion de faire entendre nos voix. Nous appelons donc les syndicats et associations de salarié·es, les ONG, et celles et ceux qui veulent penser un monde habitable fondé sur la solidarité et le partage, à se mobiliser pour ouvrir la voie à une transition planifiée du secteur aérien.

Le monde de demain sera celui que nous serons capables de bâtir ensemble.

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