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Transports

Peut-on continuer à prendre l’avion ? Notre débat vidéo

Pour son émission Parlons écologie du 30 novembre, Reporterre a invité Charlène Fleury, coordinatrice de la campagne aviation chez Alternatiba et Thibaud Normand, directeur climat chez l’équipementier Safran. Quel futur pour l’avion ?

Peut-on continuer à prendre l’avion ? C’était le thème de l’émission Parlons écologie organisée par Reporterre le 30 novembre depuis un studio parisien. Pour en parler : Charlène Fleury, coordinatrice de la campagne aviation pour l’association écologiste Alternatiba et Thibaud Normand, directeur climat de l’équipementier aéronautique Safran.

Premier enjeu abordé : les avions dits « verts » ou « propres ». Agrocarburants, hydrogène… L’industrie aéronautique mise sur ces innovations technologiques pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, un objectif annoncé en octobre par l’Iata. Un enjeu de taille quand on connaît le poids du secteur aérien sur le climat : il est responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (7 % des émissions en France). Et l’Association internationale du transport aérien (Iata) prévoit un doublement du nombre de passagers d’ici 2037.

Alors que faire ? Parier sur les avions électriques, des moteurs plus économes en carburant ? « On est convaincus qu’il y a une feuille de route technologique pour aller vers l’avion bas carbone », assure Thibaud Normand. « Peut-être que la technologie ne fera pas tout, mais on ne fera pas la décarbonation sans la technologie. » Safran a l’ambition d’initier une « véritable rupture », avec des avions consommant en 2035 30 % de moins de combustible que les appareils aujourd’hui en production. Comment ? Via des moteurs hybridés avec de l’énergie électrique, un allègement des matériaux, ainsi que tout un travail autour des « carburants alternatifs ». Il a aussi évoqué la piste de l’avion à hydrogène, à laquelle son entreprise travaille pour un lancement éventuel en 2035.

Charlène Fleury : « Il faut réduire dès maintenant et en valeur absolue nos émissions de CO2. »

« Cela ne va pas être suffisant, a répondu Charlène Fleury. Si on regarde l’efficacité énergétique, on a eu des gains énormes depuis les années 1970 largement compensés par le rebond du trafic aérien. » Elle a ajouté : « La temporalité est trop longue : il faut réduire dès maintenant et en valeur absolue nos émissions de CO2. Ce qui signifie aussi agir sur le trafic aérien et on a peur : on a l’impression que le secteur aérien veut se dédouaner de sa part de responsabilités. »

Pour lutter contre l’écoblanchiment (greenwashing) opéré par la filière de l’aviation, l’écologiste compte sur le « rôle de garde-fou » de la société civile. Et a appelé tout le monde à signer la pétition du collectif Stay Grounded contre le « greenwashing du secteur aérien » et invité toutes les personnes mobilisées autour des projets d’extension d’aéroports à rejoindre Alternatiba.

Une internaute a ensuite questionné Thibaud Normand : « Que pense-t-il de la sobriété ? » Réponse : « Il y a la sobriété technologique, qui s’inscrit vraiment dans notre mission chez Safran. Mais il y a aussi la sobriété des usages, qui est une question sociétale, qui relève de choix démocratiques. » Le secteur aérien, « plus lent à décarboner », est conscient « qu’il faut faire des efforts vite » a-t-il néanmoins ajouté. « Il n’y a pas eu de débat de société sur la part de budget carbone que l’on veut allouer à l’aviation, a rétorqué Charlène Fleury. N’y a-t-il pas des « secteurs plus importants : se nourrir, se loger, etc. ? » D’autant que le budget carbone dont dispose l’aviation a été calculé en omettant les vols internationaux, qu’aucun pays ne comptabilise. Ainsi, les émissions d’un Paris – Washington ne sont pas comptées dans la stratégie bas carbone de la France. « L’aviation est un peu le passager clandestin des émissions de CO2 », résume Charlène Fleury.

L’avion : une nécessité ? Un rêve ?

En mars 2021, Léonore Moncond’huy, maire Europe Écologie — Les Verts de Poitiers, déclarait : « L’aérien ne doit plus faire partie des rêves des enfants. » Charlène Fleury est d’accord. « On ne veut pas mettre fin à l’avion, il y a des usages importants : les évacuations sanitaires, retrouver sa famille de temps en temps… Mais on s’est habitués à prendre l’avion pour aller loin, en très peu de temps : il faut absolument changer de mentalité. Prendre l’avion pour aller une semaine à Bali, c’est ringard, et j’espère que de plus en plus de gens seront de mon avis. Prendre l’avion comme si c’était une trottinette, ça n’est pas quelque chose de sain ou décent. »

Pour Thibaud Normand, « l’avion fait encore rêver : c’est un accomplissement extraordinaire que l’homme a réussi à faire. Et voler tout en décarbonant est un défi extraordinaire. Le rêve a donc peut-être une coloration un peu différente : pas seulement voler, mais voler décarboné. »

« Peut-être que la technologie ne fera pas tout, mais on ne fera pas la décarbonation sans la technologie. »

Un rêve accessible à une minorité de personnes. La porte-parole d’Alternatiba a d’ailleurs rappelé au cours de la soirée que « l’avion est un moyen de transport très injuste, 50 % des émissions de carbone liées à l’aviation sont le fait d’1 % de la population ».

Quelles reconversions pour les travailleurs ?

Troisième thème de la soirée : la reconversion des travailleuses et travailleurs du secteur, qui emploie 300 000 personnes de manière directe ou indirecte selon le ministère de l’Économie.

Ces reconversions doivent être anticipées et planifiées, insistait, dans une vidéo diffusée lors du débat, Grégoire Carpentier [1]. Cet ingénieur est le cofondateur de Supaéro décarbo, un collectif d’anciens élèves de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace visant à la décarbonation du secteur aérien.

La baisse du trafic aérien inquiète-t-elle Safran ? « On travaille sur un marché mondial, et on ne retrouve pas partout dans le monde les débats sur la décroissance qu’il y a en Europe, a assuré Thierry Normand. Il n’y a donc pas de problématique de décroissance du travail des ingénieurs. Aujourd’hui, on embauche beaucoup. Face au défi extraordinaire de la décarbonation, on a besoin d’eux, même si le trafic diminue au niveau mondial. »

« On constate une impréparation du secteur assez catastrophique », a rétorqué Charlène Fleury, peu convaincue par les arguments du second débatteur. Il est important, a-t-elle poursuivi, que « les salariés soient impliqués » dans cette refonte. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas cantonnés au secteur aérien : « Leurs compétences sont utiles à la transition énergétique, que ce soit pour les éoliennes ou les trains. »

Comment ne plus prendre l’avion ?

Dernier enjeu évoqué : les alternatives à l’avion. Nous devons « repenser notre rapport aux voyages », a expliqué Charlène Fleury, qui a arrêté de prendre l’avion — sans pour autant renoncer aux vacances, elle est d’ailleurs allée en train en Ouzbékistan. Favorable à une taxation du kérosène, elle a mis en avant la nécessité de rendre le train concurrentiel, et d’investir massivement dans le ferroviaire. « Il ne faut pas faire porter le chapeau aux consommateurs : l’offre doit aussi évoluer. La loi Climat est un échec à ce niveau-là et on le déplore énormément. Nos dirigeants doivent prendre la mesure de leurs responsabilités. »

Lire aussi : Compensation carbone : le gouvernement choisit une fausse solution pour le trafic aérien

Thibaud Normand, lui, a estimé que « le train est plus complémentaire que concurrent de l’avion. Pour les voyages transcontinentaux, l’avion offre un service extraordinaire aux passagers. Tout cela pose plutôt la question du tourisme de masse, et le sens du tourisme, plutôt que l’avion lui-même ».

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