Aérien : la lutte s’intensifie, la criminalisation aussi

Le samedi 3 octobre 2020, des militants se sont introduits sur le tarmac de l’aéroport de Roissy. - © Alternatiba
Le samedi 3 octobre 2020, des militants se sont introduits sur le tarmac de l’aéroport de Roissy. - © Alternatiba
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Transports PollutionsIntrusions sur les pistes, avions bloqués ou aspergés de vert... Les activistes multiplient les actions contre l’aérien pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’exécutif, plutôt que d’entendre leurs revendications, se montre déterminé à préserver cette activité et cherche à criminaliser leurs actions.
L’aérien est plus que jamais au cœur des luttes écologistes. Les actions se sont multipliées cette année : le 26 juin 2020, vingt-huit activistes d’Extinction Rebellion (XR) sont entrés sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, le jour de sa réouverture post-confinement. Ils ont empêché un avion Air Corsica de décoller, exigeant l’interdiction immédiate de tous les vols intérieurs « pour lutter contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité ».
Le 3 octobre 2020, répondant à l’appel d’Action non violente-COP21, des centaines d’activistes ont « marché sur les aéroports » partout en France, réalisant la plus grande action jamais menée dans le pays contre ce secteur. Quatre-vingt-sept militants ont notamment envahi les pistes de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle (Val-d’Oise) pour exiger la réduction du trafic aérien et l’abandon du projet de nouveau terminal T4. Le 5 mars 2021, lassés d’entendre Jean-Baptiste Djebbari, ministre des Transports, promouvoir l’« avion vert », neuf activistes de l’ONG Greenpeace ont aspergé de peinture verte un Boeing de la compagnie Air France, stationné à l’aéroport de Roissy, pour « dénoncer le greenwashing du gouvernement et le manque d’ambition du projet de loi Climat et résilience » sur le volet aérien.
« Ces actions ont marqué un tournant, analyse Chloé Gerbier, juriste chez Notre affaire à tous, qui a participé à l’occupation d’une piste de l’aéroport d’Orly avec Extinction Rebellion. Des citoyens ont montré qu’ils étaient prêts à mettre leurs corps en jeu pour stopper l’aviation et, plus globalement, ont mis en lumière l’absurdité d’un système cherchant toujours à croître, au mépris de l’urgence climatique. »
De plus en plus offensif contre les géants des airs, le mouvement écologiste a enregistré quelques victoires, comme l’abandon du projet de nouveau terminal 4 à l’aéroport de Roissy. « Même incomplète — un nouveau projet étant déjà dans les cartons —, cette victoire montre que la mobilisation n’est pas vaine », raconte Audrey Boehly, membre du collectif Non au T4. Autre succès : l’abandon, en juin dernier, du projet d’aéroport en Andorre après une vive opposition.

« Le gouvernement n’a pas bougé d’un iota »
Toutefois, « les actions n’ont globalement pas eu l’effet escompté, le gouvernement n’a pas bougé d’un iota », regrette Sarah Fayolle, chargée de campagne à Greenpeace. Les organisations de la société civile — Greenpeace, Notre affaire à tous, ANV-COP21 (Alternatiba), XR et les collectifs locaux interrogés par Reporterre — dénoncent notamment le manque d’ambition de la loi Climat, adoptée le 22 août dernier, en matière de régulation du secteur aérien.
« Cette loi a été intégralement vidée de sa substance par rapport aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) », estime Charlène Fleury, coordinatrice de la campagne Aviation chez Alternatiba. Elle cite au moins deux opportunités ratées pour réguler l’aérien. D’une part, la loi ne permettra pas de stopper les projets d’extension d’aéroports en cours. L’interdiction est limitée aux projets devant être déclarés d’utilité publique en vue d’une expropriation. Sont ainsi exemptés les aéroports de Nantes Atlantique, Bâle-Mulhouse, des hélistations, des aérodromes d’outre-mer, « ainsi que ceux rendus nécessaires par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de mise aux normes réglementaires », précise le texte de loi. D’autre part, seuls les vols domestiques entre deux villes qui se situent à moins de 2 h 30 en train seront interdits, contre 4 heures dans les propositions de la CCC... Et encore, ces vols pourraient être maintenus si la moitié des passagers étaient en correspondance. « C’est un texte passoire : il laisse tout passer », résume Charlène Fleury avec amertume.
Surtout, « le logiciel des décideurs n’a pas du tout changé, insiste Audrey Boehly. Emmanuel Macron a récemment confirmé le soutien de l’État à l’agrandissement de l’aéroport de Marseille et pour le PDG d’ADP, Augustin de Romanet, la crise sanitaire n’est qu’une “encoche” dans la croissance du trafic ».

« On veut nous faire taire »
Pendant que leurs revendications s’égarent dans les dédales du Parlement et de l’Élysée, les porteurs de messages, eux, sont criminalisés. Le 7 octobre prochain, sept militants d’ANV-COP21 seront jugés pour avoir occupé les pistes de l’aéroport de Roissy. Un mois après, neuf activistes de Greenpeace seront jugés pour avoir peint en vert l’avion d’Air France. Ils encourent tous jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 18 000 d’amende pour dégradation d’un bien d’autrui commis en réunion et perturbation du fonctionnement d’installation à usage aéronautique. Les vingt-huit militants d’Extinction Rebellion qui ont occupé le tarmac d’Orly ont, eux, été condamnés à 750 euros d’amende chacun pour « manquement à la sécurité aéroportuaire » [1].
« La stratégie du gouvernement consiste à décourager les lanceurs d’alerte et à mettre à genoux les associations en tapant fort sur leurs finances, dit Audrey Boehly. On veut nous faire taire, plutôt que d’écouter ce que nous avons à dire ; des arguments pourtant scientifiquement prouvés comme l’a encore montré le dernier rapport du Giec », le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Des poursuites pénales ? https://t.co/BJxg0DECON
— Jean-Baptiste Djebbari (@Djebbari_JB) March 5, 2021
Le lundi 13 septembre, l’arsenal juridique contre l’activisme climatique s’est même étoffé : un article criminalisant la désobéissance civile est passé en catimini en même temps que l’adoption d’une loi d’intégration du droit européen dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances. L’article mentionne que toute personne s’introduisant illégalement sur une piste d’aéroport pourra être punie de « six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ». L’étude d’impact du projet de loi ciblait ouvertement les actions d’Extinction Rebellion, d’Action non violente-COP21 et de Greenpeace, et la nécessité d’adopter des sanctions « réellement dissuasives ».
« Notre discours, qui n’est pas si radical que ça vu les enjeux actuels, bute sur un mur d’autoritarisme, tempête Meta [*], activiste à XR. Le gouvernement préfère adopter la stratégie de la terre brûlée et de la répression plutôt que de respecter les propositions qui sortent d’une démocratie poussée [les propositions de la CCC] et de renforcer sa politique écologique. »
Intégrer les salariés, mutualiser les forces...
Que faire, alors, pour être entendu sur ce sujet ? « De plus en plus de salariés du secteur aérien prennent conscience des dangers de l’avion. Plus qu’une lutte écolo, nous devons aussi en faire la lutte de tout un secteur en reconversion », estime Sarah Fayolle. « Si nous ne nous emparons pas de la question sociale et qu’on coupe les vols brutalement, les salariés courront au carnage », ajoute Chloé Gerbier. « Si nous recrutons suffisamment de personnes de ces milieux-là, nous pourrons tracer de nouvelles lignes de conflit et nous rapprocher de l’action directe », dit Meta.
Les Assises de l’aviation, qui se déroulent à Toulouse et Paris du 17 au 26 septembre, mobiliseront justement des acteurs de l’aéronautique qui, aux côtés d’organisations écologistes et de syndicats, proposeront des solutions pour « dessiner les contours d’une transition équitable pour les travailleurs du secteur ».
« Même si on nous serine que “Tout va bien, l’avion vert arrive”, on sait bien que les progrès techniques ne suffiront pas, observe Maxime Léonard, ingénieur chez Airbus depuis 2006 et membre du collectif Pensons l’aéronautique pour demain. Quand le gel a touché les champs du pays en début d’année, le changement climatique était palpable dans le prix des denrées qui sont dans nos frigos. Il faut prendre le problème à bras le corps et le trafic aérien pré-pandémie, ce n’est pas possible. »
Selon lui, il faut se battre pour que les avions volent moins, et en même temps lutter pour « interdire dès à présent les licenciements dans les entreprises qui n’anticipent pas de plan de reconversion pour leurs salariés vers les secteurs de la transition écologique. Les compétences des salariés de l’aéronautique peuvent être très utiles dans la génération électrique, dans l’aérodynamisme des trains, la pérennité des matériaux, leur réparabilité, etc. ». Il cite, en exemple, le plan de rupture proposé par le collectif Plus jamais ça.
Selon Charlène Fleury, il faut également continuer à tisser des liens entre les différentes luttes locales contre les constructions ou les extensions d’aéroports. « La mutualisation des forces, des plaidoyers, des pétitions, des retours d’expérience, a permis une montée en puissance de ces luttes », dit-elle, évoquant l’agrandissement des aéroports de Lille-Lesquin, Marseille ou Nice.
Enfin, durant la campagne présidentielle, « il faut que ce sujet-là ne puisse pas être évité par les candidats », soutient Chloé Gerbier. En multipliant les actions de désobéissance civile ? « Pourquoi pas », laissent entendre certaines organisations. « Mais il y a aussi un rapport coût-bénéfice par rapport à la répression, aux amendes, précise Meta, de XR. En tout cas, il faut absolument salir cette image de l’avion comme symbole de la puissance économique française, renouvelée par l’enfumage de l’avion vert. »