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Libertés

Plutôt que réduire le trafic aérien, le gouvernement veut réprimer les activistes

Le 26 juin 2020, des militants d'Extinction Rebellion (XR) ont pénétré à vélo sur une piste de l'aéroport d'Orly.

Alors que les actions des militants écologistes pour dénoncer le transport aérien et ses conséquences climaticides se multiplient, le gouvernement souhaite créer un délit punissant sévèrement les intrusions sur les pistes des aéroports.

Le projet de loi est discret, de ceux qui passent en vitesse et sans fanfare devant la représentation nationale. Il porte « diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances ». Mais son article 10 paraît pourtant fait sur mesure pour répondre à une actualité bien nationale, celle de la contestation grandissante contre les conséquences du trafic aérien sur le climat.

Débattu par les députés ce mardi 6 juillet, le texte prévoit de punir de six mois de prison et 7 500 euros d’amende « le fait de s’introduire [...] dans la zone côté piste d’un aéroport ». La peine serait portée à un an de prison et 15 000 euros d’amende, soit le double, quand l’action est « commise en réunion » ou « précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ». Le gouvernement avait déjà tenté, par un amendement, d’introduire de telles sanctions dans la loi Sécurité globale. Il avait été déclaré irrecevable. Il revient donc à la charge dans ce texte fourre-tout et bien moins médiatique.

L’exécutif explique qu’il s’agirait de la simple retranscription d’une mesure européenne dans le droit français. « Mais le droit de l’Union européenne ne prévoit pas du tout de sanctionner ce type d’intrusions sur les pistes, conteste Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace. Ils font une pirouette en faisant référence au droit de l’Union européenne pour définir la notion de piste... »

De multiples actions

L’article vise exactement les actions de désobéissance civile menées par diverses ONG pour dénoncer les conséquences du trafic aérien sur le climat, qui se sont multipliées ces derniers temps… Et ont visiblement irrité l’exécutif.

Le 26 juin 2020, alors que le trafic à l’aéroport d’Orly rouvrait après trois mois de fermeture, une trentaine d’activistes d’Extinction Rebellion (XR) avaient pénétré sur les pistes et bloqué le décollage d’un avion de la compagnie Air Corsica. Tous avaient été emmenés en garde à vue, ainsi que notre journaliste présent sur place, malgré la présentation de sa carte de presse, et alors qu’il observait l’action sans y participer [1]. Ils dénonçaient les 7 milliards d’euros d’aides publiques attribuées à Air France en raison de la crise du Covid-19, sans réelles contreparties environnementales. Le 3 octobre 2020, ce sont 87 personnes qui avaient réussi à s’introduire sur le tarmac de Roissy-Charles de Gaulle, afin de protester contre le projet de Terminal T4, qui aurait amené « autant de nouveaux passagers qu’actuellement à Orly », dénonce Audrey Boehly, porte-parole du collectif Non au T4. Elle et quatre autres militants passeront en procès le 7 octobre. Notre photographe et notre journaliste avaient écopé d’une amende, que Reporterre conteste, puisqu’ils étaient là pour mener leur travail d’information, et non participer à l’action.

Enfin, neuf militants de Greenpeace se sont introduits le 5 mars dernier sur l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle pour y repeindre un avion d’Air France en vert. Ils dénonçaient cette fois-ci le manque d’ambition du projet de loi Climat sur la question de l’aérien. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari a vivement réagi en demandant des poursuites pénales.

« Ce sera plus facile de poursuivre et condamner »

« Pour ce type d’intrusion délibérée, aucune sanction ad hoc proportionnée et dissuasive n’est prévue par le droit national », déplore l’exposé des motifs du projet de loi. Dont acte. Dans les trois cas cités ci-dessus, les actions ont été commises en groupe, et deux d’entre elles ont nécessité la coupure de grillages pour entrer sur les pistes, donc une « dégradation ». Ainsi, non seulement elles rentreraient dans la description du délit d’intrusion sur les pistes, mais en plus dans les circonstances aggravantes prévues par le projet de loi.

Des délits permettent déjà de poursuivre les militants ayant effectué ces actions, notamment celui de trouble au fonctionnement des installations d’aéronefs. Mais les militants peuvent contester, en arguant qu’ils ne souhaitaient pas troubler le trafic aérien, mais dénoncer ses conséquences climatiques. La création de ce nouveau délit vise à éviter cette échappatoire. « Il facilitera le travail de caractérisation du délit, entraînera une qualification automatique, explique Clara Gonzales. Ce sera plus facile de poursuivre et condamner. »

« C’est révoltant, que l’État choisisse de criminaliser les militants plutôt que d’écouter notre message, ajoute Audrey Boehly. D’autant plus qu’il a raté une opportunité historique avec la loi Climat. » En effet, les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat proposaient d’interdire les vols aériens quand une alternative en train de moins de 4 heures existe. Le gouvernement a préféré 2 h 30, la mesure ne concernant alors plus que huit lignes. Au sortir du Sénat, qui a encore amoindri l’exigence, le texte ne vise plus que la seule liaison Bordeaux-Orly.

Les citoyens demandaient également l’interdiction des constructions ou extensions d’aéroports, mais les dérogations introduites font « qu’aucun projet d’extension en cours n’est remis en cause », déplore Audrey Boehly. Même l’annonce de l’abandon de l’extension de Roissy via le Terminal T4 a fait long feu. « Un mois après l’annonce de Barbara Pompili [ministre de la Transition écologique] en février, le président d’Aéroports de Paris a annoncé qu’il travaillait sur un nouveau projet en précisant que cela ne remettait pas en cause les perspectives de trafic. On est toujours sur le souhait de poursuivre la croissance du trafic aérien. Or, tout avion qui vole, ce sont des émissions supplémentaires », alerte-t-elle. L’Association internationale du transport aérien (IATA) compte d’ailleurs sur un quasi doublement du trafic d’ici 2039.

Manifestation contre le trafic aérien à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le 3 octobre 2020. © NnoMan/Reporterre

« Criminaliser davantage les militants écologistes »

Chez Greenpeace, on rappelle que le procédé, qui vise à décourager les actions de désobéissance civile, avait déjà été utilisé en 2015, avec la création d’un délit d’intrusion dans les centrales nucléaires. Le texte, à la rédaction très similaire, avait été surnommé « loi anti Greenpeace ». Mais l’ONG estime que le gouvernement actuel franchit, par la multiplication des mesures de ce type, un nouveau seuil. « L’inflation législative en matière de répression du champ social et associatif [2] est historique durant ce quinquennat, et de plus en plus inquiétante », estime Clara Gonzales.

D’autres mesures de la loi Sécurité globale, dénoncées par les ONG et qui avaient été retoquées par le Conseil constitutionnel, pourraient également revenir. La Lettre A a ainsi écrit, le 1er juillet dernier, que le gouvernement préparerait un nouveau projet de loi permettant entre autres l’utilisation des drones et caméras embarquées par les forces de l’ordre. C’est notamment leur utilisation en manifestation qui, dans ce cas, inquiète grandement les militants.

En attendant, ce mardi 6 juillet, c’est la question des intrusions sur les pistes des aéroports qui sera débattue à l’Assemblée nationale. Les députés communistes et France insoumise ont déposé des amendements de suppression de cet article 10. Ils dénoncent un « acharnement » via une énième mesure visant à « criminaliser davantage les militants écologistes ».

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