Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

Cinq ans après l’accord de Paris, les États ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique

Il y a cinq ans, 195 pays adoptaient l’accord de Paris sur le climat et s’engageaient à contenir le réchauffement climatique « nettement en dessous des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Aujourd’hui, si les États ne sont pas à la hauteur d’une situation qui se dégrade, ce traité a servi de catalyseur, notamment de la société civile.

Il était 19h30, le samedi 12 décembre 2015. « Ce marteau est petit, mais il peut faire de grandes choses ! » jubilait alors Laurent Fabius, président de la COP21. En abattant son maillet en bois clair sur la tribune de la salle plénière Seine, au Bourget (Seine-Saint-Denis), le ministre des Affaires étrangères entérinait l’adoption, par 195 pays, de l’accord de Paris.

Le traité est entré en vigueur un an plus tard, le 4 novembre 2016. Les États signataires se sont engagés à contenir d’ici à 2100 le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». Cinq ans plus tard, le 12 décembre 2020, les Nations unies (ONU) et les gouvernements britannique et français organisent un événement sur le climat, réunissant « les dirigeants mondiaux les plus ambitieux sur le climat ». L’occasion de faire le point sur l’accord de Paris. A-t-il été le tournant tant attendu en matière de lutte contre le changement climatique ? Les États signataires sont-ils dans les temps qu’ils se sont fixés ?

« L’accord de Paris est avant tout un narratif, une histoire que nous nous sommes racontée, dans laquelle la communauté internationale agirait de concert pour limiter le réchauffement et aiderait les pays les plus pauvres à s’adapter », estime le politiste et sociologue Stefan Aykut, coauteur du livre Gouverner le climat ?
20 ans de négociations internationales
(éd. Les Presses de Sciences Po, 2015). « L’accord de Paris doit être une prophétie autoréalisatrice », exhortait l’ambassadrice française pour le climat Laurence Tubiana dans Libération, cinq jours après l’adoption de l’Accord. Elle prédisait qu’il y aurait un avant et un après, une mise en branle de « toutes les institutions internationales, y compris financières, les sociétés civiles, pour donner l’impulsion ».

« La philosophie de l’accord de Paris, c’est une forme de gouvernement par la transparence »

Depuis 2015, la mise en œuvre de l’Accord a été plus tumultueuse qu’escompté. « Il n’y a pas eu une dynamique et une volonté globale, de la part de la communauté internationale, pour atteindre les objectifs inscrits dans l’Accord », regrette Stefan Aykut. Les négociations ont parfois été chaotiques, comme lors de la COP24, en 2018 à Katowice, en Pologne, où la notice d’application de l’accord de Paris — le rulebook — avait tout de même été adoptée. L’année suivante, lors de la COP25 à Madrid, en Espagne, les États ne se sont pas entendus sur l’article 6, censé réguler les marchés carbone, ni sur les « loss and damage » (pertes et dommages), des soutiens financiers apportés aux pays vulnérables et victimes du changement climatique. Les États-Unis — en passe de quitter l’accord de Paris —, le Brésil ou encore l’Australie avaient freiné des quatre fers.

À Madrid, en décembre 2019.

« Le processus onusien ne peut pas ce que les États ne veulent pas, analyse Stefan Aykut. Il n’est pas inutile, mais il est dangereux de penser qu’il puisse opérer seul une transformation aussi profonde de nos sociétés. » Néanmoins, « affirmer aujourd’hui que l’accord de Paris est un échec, c’est un total contresens : ses mécanismes entrent en vigueur en 2020 », dit Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat, qui était membre de l’équipe française de négociation de la COP21. « Ce qui mérite d’être éclairci aujourd’hui, au plus vite, ce sont les rehaussements des contributions nationales de chaque pays et le décollage de l’action des pays du G20 avec des politiques très concrètes, comme l’arrêt des subventions aux énergies fossiles », poursuit-il.

Afin de contenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle », l’accord de Paris prévoit en effet que chaque État publie ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « La philosophie de l’accord de Paris, c’est une forme de gouvernement par la transparence, explique Stefan Aykut. En forçant les États à soumettre des plans d’action et à être transparents sur leurs engagements, il cherche à produire une émulation entre les pays, une forme de pression par les pairs, qui les pousserait à faire toujours mieux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. »

La première série de ces « contributions déterminées au niveau national » (NDC) plaçait la planète sur une trajectoire entre + 3 °C et + 4 °C par rapport à l’ère préindustrielle. La communauté internationale était loin du compte. Cependant, des cycles de renouvellement de ces promesses, obligatoirement revues à la hausse, sont prévus tous les cinq ans. La première échéance ? 2020. Nous y sommes.

Pour l’heure, moins de vingt pays, responsables de moins de 5 % des émissions mondiales, ont déposé une nouvelle NDC, selon le World Ressources Institute. Mais un nombre croissant de pays s’engagent à atteindre l’objectif de neutralité carbone [1] d’ici trente ou quarante ans. Au total, 126 pays, qui représentent 51 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont adopté ou annoncé leur intention de déposer des contributions en ce sens.

En septembre, le président chinois, Xi Jinping, s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Les États-Unis, deuxième émetteur mondial, pourraient suivre. Le président élu, Joe Biden, a promis de revenir dans l’Accord (que Donald Trump avait quitté) et se fixerait un objectif de neutralité carbone, comme l’a fait le Japon. « 2050, ça reste trop loin, il faudrait des dispositions plus rapprochées, des obligations assez concrètes pour la fin de la décennie, afin que les investisseurs changent leurs lignes de production dès à présent, et que les politiques publiques s’alignent en conséquence », dit Olivier Fontan.

« Le chemin que nous suivons est celui du suicide »

La Commission européenne a proposé de relever son objectif de réduction de 40 % à 55 % en 2030, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Une proposition sur laquelle les États membres se prononceront en cette fin de semaine, dans le cadre du Conseil européen. L’Allemagne et la France la soutiennent. Le jeudi 3 décembre, le Royaume-Uni, sorti de l’Union européenne, a devancé ses voisins avec un objectif plus ambitieux. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a annoncé vouloir réduire ses émissions de 68 % d’ici 2030 par rapport à 1990. La somme de ces nouvelles promesses, si elles étaient tenues, permettraient de limiter le réchauffement à + 2,1 °C en 2100, selon le Climate Action Tracker (CAT). « On est encore loin du compte, mais avec le jeu du rehaussement de l’ambition des États, on se rapproche des objectifs de l’Accord », se réjouit Olivier Fontan.

Là où le bât blesse, « c’est plutôt dans la concrétisation de ces promesses », explique le directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat. Même si les engagements se rapprochent de l’objectif fixé par l’accord de Paris, ils ne sont que très rarement respectés par les États. « Le chemin que nous suivons est celui du suicide », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un interview accordée à l’hebdomadaire étasunien The Nation.

Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies (ici en 2012, quand il était Haut Commissaire aux réfugiés).

« Les enjeux climatiques devraient infuser chaque décision structurante prise par des États ou des acteurs non étatiques, et ce n’est pas encore tout à fait le cas. Cinq ans après l’accord de Paris, le démarrage est encore beaucoup trop lent », regrette Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et co-présidente du groupe no 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui observe toutefois « des signaux forts depuis la COP21 : des investissements d’acteurs privés dans des technologies bas-carbone ; la construction de politiques de résilience et d’atténuation à l’échelle des villes ou des régions ; ou des États qui se dotent de cadres réglementaires et de plans d’action pour s’adapter et limiter les effets du changement climatique ».

La France, hôte de la COP21, fait partie des États qui ont élaboré un plan d’action. Afin de se mettre en phase avec l’accord de Paris, elle s’était fixé en 2015 une feuille de route, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), et s’était engagée à diviser par quatre ses émissions à l’horizon 2050. Mais elle ne le respecte pas. Entre 2015 et 2019, les émissions sectorielles de la France ont baissé de 3,7 %. Elles auraient dû baisser de 9 % pour respecter les budgets carbone de la France fixés en 2015. Compte tenu du retard accumulé depuis 2015, une hausse des budgets carbone, et donc des émissions de gaz à effet de serre autorisées par la SNBC, a été effectuée en 2019. « La nouvelle SNBC entérine un affaiblissement de l’ambition de court terme en relevant les budgets carbone, déplorait le 8 juillet Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat, lors de la publication du deuxième rapport annuel Neutralité carbone. Le gouvernement a déclaré plusieurs fois qu’il allait prendre un virage écologique, mais ça reste à démontrer. Il a visiblement une compréhension de ce qu’il faut faire, mais il n’est pas passé dans l’opérationnel. » En juillet, la Convention citoyenne pour le climat a proposé 149 mesures structurantes au gouvernement, mais celui-ci s’attelle actuellement à les détricoter plutôt que de les reprendre « sans filtre », comme promis par le président, Emmanuel Macron.

« Le paysage a bien changé, nous sommes sortis de l’apathie générale dans laquelle nous étions en 2014 »

Au niveau mondial, les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître. Chaque année, l’Emissions Gap Report du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) compare l’écart entre les engagements et les efforts réalisés par les États pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et la baisse qui serait nécessaire pour respecter l’accord de Paris de 2015. En 2019, son constat était sans appel : les émissions mondiales augmentent irrépressiblement et la décennie 2009-2019 est « une décennie perdue », durant laquelle le monde a « collectivement échoué » à infléchir la croissance des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport concluait que les pays devraient réduire de 7,6 % leurs rejets carbonés chaque année entre 2020 et 2030.

Et la tendance n’est pas bonne pour les années à venir. Selon le Production GapRreport 2020, publié mercredi 2 décembre par le Programme des Nations unies pour l’environnement, au rythme actuel, les États s’apprêtent à produire 120 % d’énergies fossiles de plus que ce qu’il faudrait pour rester sous la barre de 1,5 °C. D’après les prévisions des experts, la production de charbon, pétrole et gaz va ainsi augmenter de 2 % par an entre 2020 et 2030, si tous les projets planifiés se réalisent. Il faudrait au contraire qu’elle baisse annuellement de 6 % (- 11 % pour le charbon, - 4 % pour le pétrole et -3 % pour le gaz) !

« Les effets en cascade de la pandémie de Covid-19 pourraient changer la donne, dans un sens comme dans l’autre », estime Valérie Masson-Delmotte. Malgré la baisse attendue de 7 % des émissions en 2020, la crise sanitaire n’aura qu’un effet négligeable sur le réchauffement climatique, à moins que les pays n’en profitent pour accélérer leur mue écologique. « Les plans de relance doivent absolument être verts, car on met en place des infrastructures qui vont déterminer les émissions pour les années à venir », dit Stefan Aykut. « Pour le moment, ils sont d’une très grande hétérogénéité », remarque Valérie Masson-Delmotte. « Ceux qui subventionnaient déjà massivement les énergies fossiles ont accru leur soutien, et ceux qui avaient des engagements plus importants envers les énergies propres utilisent les plans de relance pour accélérer cette transition », note le rapport du PNUE. Selon le compteur Energy Policy Tracker, ces plans de relance sont majoritairement bruns : 53 % des fonds engagés vont vers des secteurs liés aux énergies fossiles comme les compagnies aériennes ou l’industrie automobile.

Action des militants de ANV-COP21 à Paris, le 10 décembre 2020, pour dénoncer l’inaction climatique d’Emmanuel Macron.

Cinq ans après l’accord de Paris, les États ne sont donc pas à la hauteur de l’urgence climatique. Mais le mouvement de la société civile, lui, a pris de l’ampleur. Des dizaines de millions de personnes ont manifesté, à travers le monde, pour exiger des politiques plus ambitieuses. Des jeunes du monde entier ont fait des grèves étudiantes ou scolaires pour le climat. Les actions de désobéissance civile se sont multipliées. Jeudi 10 décembre, des militants d’ANV-COP21 ont déroulé un immense portrait du président, Emmanuel Macron, devant la tour Eiffel. Leur slogan : « L’accord de Paris part en fumée et Macron regarde ailleurs. » « L’accord de Paris a eu un effet extrêmement mobilisateur, dit Stefan Aykut. L’objectif de 2 °C, voire 1,5 °C est désormais inscrit et reconnu dans un traité international. Il assoit la légitimité des luttes contre celles et ceux qui n’agiraient pas, ou iraient à son encontre. Il peut être saisi pour traduire des chefs d’État ou des entreprises devant des juges, comme nous l’avons vu avec l’Affaire du siècle en France, ou Urgenda aux Pays-Bas. » Pour Olivier Fontan, « le paysage a bien changé, nous sommes sortis de l’apathie générale dans laquelle nous étions en 2014. Les États-Unis sont sortis de l’Accord sans que d’autres États ne suivent. Cela montre que l’adoption de ce traité a été le catalyseur d’un changement structurel fondamental, d’une vague culturelle de fond. »

« Il était temps, dit Valérie Masson-Delmotte. Année après année, des records de températures sont battus — le mois de novembre 2020 est devenu le plus chaud de l’histoire —, le retrait des glaciers est de plus en plus visible, les vagues de chaleur sont plus intenses, les sécheresses touchent des surfaces plus grandes… Maintenant, il faut accélérer le mouvement. »

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende