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Économie

Le gouvernement continue son travail de sape de la Convention citoyenne

Le gouvernement a continué, mardi 8 décembre, le détricotage des mesures de la Convention citoyenne pour le climat. Reporterre publie en intégralité les documents transmis aux citoyens par le gouvernement pour l’élaboration du projet de loi censé reprendre les mesures imaginées par la Convention.

On prend les mêmes et on recommence. Mardi 8 décembre 2020, de nouvelles réunions se sont déroulées en visioconférence entre les députés, les membres de la Convention citoyenne pour le climat et le gouvernement afin de présenter les mesures du projet de loi. Reporterre a déjà raconté les premiers épisodes du feuilleton : la passe d’arme entre Cyril Dion et Emmanuel Macron sur Brut vendredi, le boycott des citoyens fatigués d’être des « faire-valoir » et enfin, tard dans la soirée du lundi 7 décembre le quotidien de l’écologie a publié les premiers documents transmis par le gouvernement aux conventionnels, documents qui servent de base au projet de loi.

Aucune surprise : les actes de l’exécutif ne sont pas à la hauteur. Certaines mesures phares de la Convention citoyenne ne sont même pas encore arbitrées. D’autres sont en deçà des espérances. Tout est une question de curseur, de montant financier ou de possibles dérogations. Le diable se cache dans les détails, comme le rappelait, lundi 7 décembre, Reporterre dans une analyse factuelle des propositions.

Dans la soirée de lundi, le Réseau Action Climat a listé les 15 mesures structurantes de la Convention. Si elles n’étaient pas reprises, cela décrédibiliserait complètement le projet de loi et piétinerait l’ambition des citoyens, jugent les associations écologistes. Or, parmi ces mesures, nombreuses sont celles sur la sellette, comme l’obligation de rénovation énergétique globale, la fin de vente des véhicules neufs les plus polluants dès 2025, l’écoconditionnalité des aides publiques, la fin des niches fiscales défavorables à l’environnement, l’instauration d’une redevance sur les engrais azotés ou la généralisation du forfait mobilité durable.

Mardi 8 décembre 2020, les rencontres étaient organisées autour des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique, Julien Denormandie et Barbara Pompili. La secrétaire d’État chargée de l’économie sociale et solidaire, Olivia Grégoire, présidait le troisième groupe sur le travail et la production. Au cours des débats, Barbara Pompili a annoncé que la consultation allait continuer de se poursuivre. Le Premier ministre recevra très prochainement les citoyens et les députés à Matignon.

« On est 100 % dans le symbole »

Comme hier, lundi 7 décembre, Reporterre publie, en intégralité, les documents transmis aux conventionnels. La première réunion de la journée a porté sur la consommation où la régulation de la publicité est un enjeu majeur.

Les débats n’ont pas pu aller aussi loin que le souhaitaient certains députés et citoyens. Les participants ont obtenu les documents qu’après coup et ont dû se contenter d’une présentation orale. Ce qui a provoqué un « mécontentement général », selon le député Matthieu Orphelin. « Ça ne favorise ni la confiance ni l’efficacité », note-t-il sur Twitter.

Sur le fond des propositions, la régulation de la publicité reste très évasive. Une énième fois, l’exécutif a privilégié « le coup de com », estime Khaled Gaiji, de Résistance à l’agression publicitaire. Le document transmis aux conventionnels annonce que « le gouvernement, sans attendre, a choisi d’interdire la publicité pour les énergies fossiles ». En réalité, l’effet de la mesure sera purement anecdotique. « Il y a très peu de publicité sur le pétrole ou le charbon. Les géants comme Total n’en ont pas besoin », souligne Khaled Gaiji. « On est 100 % dans le symbole », poursuit le député Matthieu Orphelin. La Convention demandait, elle, « d’interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES (gaz à effet de serre) ». Un objectif bien plus ambitieux qui ne se limitait pas aux énergies fossiles.

Autre proposition sur la publicité, le fameux point C2.2 de la Convention citoyenne pour le climat, « Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consommation ». À l’origine, les citoyens souhaitaient interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs. Ils voulaient aussi mettre fin aux écrans publicitaires dans l’espace public, les transports en commun et les points de vente. La mesure avait obtenu un large consensus, soit 89,6 % de votes favorables. Dans les documents transmis, le gouvernement assure répondre au point C2.2 mais ne mentionne nulle part l’ interdiction voulue par les citoyens. Il propose simplement de renforcer les pouvoirs des maires. « L’exécutif renvoie la responsabilité à l’échelle locale, alors que les maires peuvent déjà interdire ce type de publicité », regrette le militant écologiste Khaled Gaiji.

Résistance à l’agression publicitaire a fait les comptes. L’association a recensé une seule mesure reprise sans filtre : l’interdiction des avions publicitaires. Purement symbolique. « Cinq mesures ont été transformées, vidées de leur sens ou remises à plus tard, ajoute-t-elle. Cinq autres sont carrément portées disparues. »

« Le gouvernement a tout réécrit, il n’y a pratiquement aucune mesure transmise sans filtre »

La deuxième réunion portait sur le groupe « se nourrir » et les propositions de la Convention citoyenne sur l’agriculture et l’alimentation. Là aussi, le bilan n’est pas fameux. « Les citoyens avaient travaillé sur des mesures clé en main qui disposaient déjà de transposition légistiques, explique Anne Laure Sablé, des Amis de la Terre. Mais le gouvernement a tout réécrit, il n’y a pratiquement aucune mesure transmise sans filtre. »

La disposition qui voulait mettre en place une redevance sur les engrais chimiques a été largement remaniée. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a proposé de retarder cette taxe à… 2024. Lors de la réunion, des citoyens ont dénoncé « un nouveau joker ». Ils ont reproché au gouvernement de les utiliser et de vouloir simplement « gagner du temps ».

La justice sociale a également du plomb dans l’aile. Exit les chèques alimentaires pour une alimentation saine et durable que proposaient les citoyens. « Alors que 8 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire en France, cette mesure ne se retrouvera malheureusement pas dans le projet de loi », se désole Matthieu Orphelin. Aucune taxation sur les produits ultratransformés n’est non plus prévue. « Julien Denormandie a justifié ce refus de taxer la malbouffe en disant que cela se ferait au détriment des plus pauvres, vu qu’ils en sont les principaux consommateurs ! » raconte le député de la France insoumise Loïc Prud’homme. « Mais c’est justement pour ça que les citoyens avaient proposé des chèques alimentaires, pour que les plus démunis puissent eux aussi manger de la nourriture locale et bio », explique le député, avant de traiter le gouvernement de « tartuffe ».

Le gouvernement veut intégrer la réforme du Code minier dans le projet de loi

Sur les repas végétariens dans la restauration collective, la mesure proposée est un pis-aller. Au lieu d’instaurer une option végétarienne quotidienne comme le demandait la Convention, l’exécutif veut laisser les collectivités le faire sur la base du volontariat. « C’est ce qui se fait déjà dans plus de 50 villes et ce à quoi de nombreuses grandes villes se sont déjà engagées à la suite des élections municipales, indique Élyne Étienne, responsable du pôle végécantines de l’Association végétarienne de France (AVF). Le gouvernement a une fois de plus vidé de sa substance une proposition de la Convention », conclut-elle.

Enfin, la troisième réunion de la journée concernait le groupe travailler et produire. Sur ce point, les citoyens ont eu la surprise de découvrir un nouveau dossier ajouté à leurs propositions : la réforme du Code minier. Cette disposition n’était pas prévue dans le mandat de la Convention citoyenne. Comme le relatait Reporterre il y a quelques semaines, cette réforme soulève plusieurs points problématiques du point de vue environnemental.

Le bilan global alarme légitimement les écologistes. La position du gouvernement est passée du « sans filtre » aux « cent filtres », résume le Réseau Action Climat. Dans une note, l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) estime qu’il faudrait que le gouvernement justifie pourquoi il ne prend pas telle ou telle mesure et qu’il propose en contrepartie des propositions de substitution, dont les effets seraient chiffrés. « Le débat devrait avoir pour règle qu’on ne puisse retirer une mesure qu’à la condition de proposer une alternative en apportant la preuve que celle-là serait autant ou plus efficace en matière de réduction de gaz à effet de serre et de respect de la justice sociale », propose ainsi Sébastien Treyer. Ce serait en effet la moindre des choses après l’année de travail des citoyens et citoyennes.

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