Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

L’État attaqué en justice pour inaction climatique

Quatre ONG ont lancé mardi 18 décembre une action en justice climatique contre l’État français. Elles entendent démontrer que sa politique est largement insuffisante pour protéger les citoyens du changement climatique. Une démarche qui s’inscrit dans un mouvement international lancé depuis plusieurs années.

  • Actualisation du 20 mai 2019 :

Les quatre ONG qui poursuivent l’État français pour inaction climatique ont annoncé lundi 20 mai avoir transmis au juge les derniers documents nécessaires à l’étude complète de leur requête.

Le jeudi 14 mars, les ONG requérantes de l’Affaire du siècle avaient déposé leur recours contre l’État pour inaction climatique, devant le tribunal administratif de Paris. Notre Affaire à Tous, Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme avaient adressé une « demande préalable » le 18 décembre dernier au gouvernement et aux ministres concernés, afin de souligner les carences de l’État. En deux mois, la pétition soutenant la demande avait dépassé les deux millions de signatures en ligne. Le 15 février, le ministre de la Transition écologique et solidaire avait répondu en défendant l’action de l’État. Une réponse insuffisante pour les quatre ONG qui demandaient des mesures complémentaires, et qui ont donc décidé de lancer l’action en justice.

Quatre « requêtes sommaires » — une pour chaque ONG — avaient donc été déposées ce jeudi 14 mars au matin au tribunal administratif de Paris. Le but de ces requêtes est d’obtenir du juge une décision enjoignant l’État à respecter les engagements qu’il s’est lui-même fixés dans diverses lois concernant la lutte contre le changement climatique. Les organisations demandent également un euro symbolique au titre du préjudice moral.

La requête est confidentielle pour des questions de procédure, mais les quatre ONG ont détaillé les arguments utilisés afin de convaincre le tribunal. Elles y ont donc inclus un résumé des dernières alertes des scientifiques sur le sujet afin d’en informer les juges, suivi d’un rappel des obligations de l’État en matière de lutte contre le changement climatique (Charte de l’environnement et Convention européenne des droits de l’Homme, notamment).

Enfin, elles soulignent en particulier le fossé entre les objectifs fixés et réalisés. Par exemple, la loi Grenelle I, en 2009, avait fixé un objectif de réduction de 20% des émissions du secteur des transports. Elles ont augmenté de 16,1%. La loi de transition énergétique pour la croissance verte fixe un objectif de moins 40% d’émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. Elles augmentent depuis 2016. Les objectifs de l’Union européenne en matière de développement des énergies renouvelables ne sont pas plus respectés : nous en étions à 16,3% en 2017 au lieu de 19,5%.

Les avocats des organisations, afin de compléter ces arguments, déposeront des mémoires complémentaires auprès du tribunal courant avril. L’instruction pourrait prendre une à deux années avant que le tribunal ne fixe une date d’audience.


  • Article initial publié le 18 décembre 2018 :

Ils ont décidé de l’appeler « l’affaire du siècle », parce que le climat est l’enjeu de notre époque. Quatre ONG — Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), Oxfam et Notre affaire à tous — lancent ce mardi 18 décembre la première étape d’un recours contre l’État français. Il s’agit de faire reconnaître par la justice « l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, et de protéger les citoyens dont les droits fondamentaux sont menacés », dit Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. « On a essayé toutes les méthodes habituelles des ONG auprès des gouvernants, explique Célia Gautier, responsable climat et énergie à la FNH. Face à cette situation d’urgence absolue, on passe à l’étape supérieure, il faut mettre l’État sur le banc des accusés. »

La première étape consiste à envoyer une « demande préalable », sous le format d’une lettre, au président de la République, au Premier ministre et aux ministres concernés, expliquant les carences de l’État et lui demandant d’agir. Si la réponse n’est pas satisfaisante, les ONG saisiront le tribunal administratif d’un « recours en carence fautive ».

La demande préalable rappelle, entre autres, que la France est le pays européen le plus touché par le changement climatique et que la température y a déjà augmenté en moyenne de 1,4 °C. Pour démontrer l’obligation d’agir de l’État, les ONG font appel au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l’environnement — deux textes inscrits dans le préambule de l’actuelle Constitution — ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’Homme : ces trois textes consacrent le devoir de l’État de protéger la santé, l’environnement, ou encore la sécurité matérielle de ses citoyens. Par ailleurs, les associations requérantes estiment que l’ensemble des textes nationaux, européens et internationaux sur le climat, « permettent aujourd’hui de reconnaître l’existence d’un “principe général du droit” portant obligation de lutte contre le changement climatique ».

Sur le climat, « un gros décalage entre les objectifs et les résultats »

Puis elles montrent que l’État n’agit pas suffisamment. « En particulier en ce qui concerne les énergies renouvelables, les émissions de gaz à effet de serre, et la réduction de la consommation d’énergie, il y a un gros décalage entre les objectifs et les résultats, relève Célia Gautier. Même l’État, à travers le Commissariat général au développement durable, ou l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] le disent. Cela nous donne des billes. »

Ainsi, l’Union européenne fixe un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 14 % en 2020 (par rapport à 2005). Or, depuis deux ans, les émissions de gaz à effet de serre en France sont reparties à la hausse. En 2017, le pays a produit 6,7 % d’émissions de plus que prévu. Du côté des énergies renouvelables, ce n’est pas mieux : elles fournissaient en 2017 16,3 % de la consommation d’énergie finale, alors que l’UE nous demandait d’atteindre 19,5 %. Il en va de même du côté de la consommation d’énergie. Dans le secteur tertiaire, la consommation n’a baissé que de 2 % entre 2012 et 2016, alors qu’il faudrait atteindre une diminution de 18 % d’ici 2023… Symbole politique récent de ce manque d’action, « l’absence de nos ministres à la clôture de la COP24 est une provocation irresponsable de nos pays riches face aux personnes les plus vulnérables en France et partout dans le monde », fustige Cécile Duflot.

L’écroulement de la vire du Trident à la fin de l’été 2018. Dans les Alpes, les éboulements se multiplient et le lien avec la fonte du pergélisol, qui sert de ciment aux roches, est aujourd’hui avéré.

L’État ne se donne pas les moyens d’atteindre ces objectifs, poursuivent les requérants, qui là encore accumulent les chiffres : ils citent notamment une étude de l’Institute for climate economics (I4CE) qui évalue un manque de 10 à 30 milliards d’euros d’investissements pour le climat en 2018.

En matière de protection des populations contre les effets du changement climatique, l’État ne fait pas mieux, estiment encore les associations. Alors que la Convention de l’ONU sur le climat préconise de s’adapter depuis 1992, la stratégie française date de 2006. « Et les plans ne sont pas suffisamment ambitieux et mis en œuvre, dit Célia Gautier. Par exemple, l’ensemble de la politique d’urbanisme est à revoir pour protéger les citoyens des fortes pluies, des inondations et des sécheresses. »

Pourtant, les conséquences de cette inaction sont en France de plus en plus visibles, comme l’a montré la série de reportages publiés en coopération par Basta, Mediapart, Politis, Projet et Reporterre : forte diminution de la neige dans les Alpes, logements indignes en Seine-Saint-Denis, ostréiculteurs touchés par le réchauffement de l’eau, agriculteurs frappés par la sécheresse, etc. Plus généralement, la fonte des glaciers, la hausse du niveau de la mer, la dégradation de la qualité de l’air, l’exposition à des phénomènes météorologiques extrêmes sont citées comme des conséquences de l’inaction politique pour l’environnement et les populations en France. C’est pourquoi les ONG appellent les citoyens à soutenir leur action.

Un mouvement international

Ce recours arrive dans un contexte de multiplication des actions en justice climatique. Elles sont portées par des citoyens, la société civile ou même des autorités locales, qui attaquent soit des gros pollueurs (comme les entreprises pétrolières), soit les États. Ainsi, en France, le maire de Grande-Synthe (Nord), Damien Carême, a lancé en novembre, avec l’emblématique avocate en droit de l’environnement Corinne Lepage, un « recours gracieux » contre l’État afin de lui demander de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Lui aussi saisira le tribunal administratif si la réponse est insatisfaisante. Toujours en France, des collectivités locales et des associations — dont Notre affaire à tous — ont décidé de lancer une action collective contre Total lui demandant de se conformer à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

Ces actions ont été précédées de bien d’autres à travers le monde. Dans l’Union européenne, le « People’s Climate Case » (recours climat citoyen) est porté devant la Cour de justice de l’Union européenne par dix familles affectées par le changement climatique. Autre action contre un État, le procès de « la jeunesse contre les États-Unis » a été lancé il y a plusieurs années par 21 enfants accusant l’État fédéral de violer leurs droits constitutionnels par une politique de soutien aux industries fossiles. En Allemagne, un paysan péruvien a pu déposer plainte contre RWE. Cette entreprise électrique est, avec ses centrales à charbon, le plus gros émetteur de CO2 d’Europe.

Le procès de « la jeunesse contre les États-Unis » a été lancé en 2018 par vingt-et-un enfants accusant l’État fédéral de violer leurs droits constitutionnels par une politique de soutien aux industries fossiles. youthvgov.org

Surtout, les organisations françaises s’inspirent d’une action qui a porté ses fruits aux Pays-Bas : celle menée par l’association Urgenda, qui a condamné le gouvernement néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et à respecter l’objectif de moins 25 % d’ici 2020. « Après cette décision, la majorité parlementaire a proposé une des lois les plus ambitieuses sur le climat, au moins en Europe et sinon dans le monde, visant à réduire de 95 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 », raconte Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous.

« Faire émerger un droit contraignant de la protection des biens naturels au niveau international »

En France, l’État a deux mois pour répondre à la lettre des associations. Si sa réponse est insatisfaisante, un recours sera déposé devant le tribunal administratif de Paris. Les organisations qui le portent espèrent qu’il aura plusieurs effets. « Une première victoire importante serait de faire reconnaître une faute de l’État pour manque d’action, indique Marie Toussaint. Cela pourrait être assujetti d’une injonction à l’État de tout faire pour rattraper son retard et atteindre les objectifs déjà fixés dans la loi. » La décision, a priori contre l’État, « peut aussi être un point d’appui pour le gouvernement pour mettre en place des mesures malgré les lobbys », ajoute la présidente de Notre affaire à tous.

La décision, si elle va dans le sens des associations, pourrait également être une jurisprudence utile, notamment pour la contestation devant les tribunaux administratifs des projets d’autoroute, d’aéroports ou autres, ayant des conséquences sur le climat. « Elle permettrait aux citoyens et associations de saisir leurs propres juridictions partout sur le territoire », espère Marie Toussaint.

« Il y a beaucoup de textes sur la nécessité impérieuse de lutter contre changement climatique, mais jusqu’ici on n’a jamais eu de décision d’un juge administratif qui constate cette responsabilité et cette carence », approuve Laura Monnier, chargée de campagne juridique chez Greenpeace. « Ainsi, la responsabilité d’une administration pourra être engagée sur le seul fondement du préjudice écologique, cela obligera à le prendre en compte de manière préventive. Et puis, une fois que l’on a une décision de justice, elle s’inscrit dans le temps même si on change de gouvernement. »

Enfin, « au delà de ça, on essaye de faire émerger un droit contraignant de la protection des biens naturels au niveau international », explique Marie Toussaint. « Après la lutte pour les droits de l’Homme, le combat de notre siècle est celui du droit à être protégés du changement climatique », ajoute Célia Gautier.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende