Moustique tigre : pas de panique

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Animaux SantéIl y a quelques semaines, des médias régionaux et nationaux ont relayé la communication d’un site internet alertant sur la propagation du moustique tigre en France. Une information exagérément alarmiste, alors que la question de la nocivité des répulsifs se pose.
La menace du moustique tigre plane-t-elle en France ? Fin avril, la presse régionale [1] et la télévision [2] ont abondamment relayé un communiqué du site vigilance-moustiques, daté du 26 avril 2018, alimentant l’inquiétude autour de cet insecte (Aedes albopictus) vecteur de plusieurs virus, dont ceux de la dengue et du chikungunya. Ces médias avaient cependant ignoré la carte officielle de la Direction générale de la santé (DGS) publiée dès le 17 avril.
Le site vigilance-moustiques a établi une carte de France de la présence du moustique tigre, en s’appuyant sur les données officielles de la Direction générale de la santé (DGS) et du Centre européen de prévention et contrôle des maladies (ECDC). Avec des différences notables : vigilance-moustiques fait usage d’une classification inquiétante des départements (placés en « vigilance rouge », « vigilance orange » ou « vigilance jaune ») alors que la typologie des sites officiels est neutre [3]. De plus, ce site non officiel se permet d’extrapoler les données, comme le précise Stéphane Robert, président et fondateur de vigilance-moustiques.com, contacté par Reporterre : « La seule chose que l’on ajoute [par rapport aux cartes de la DGS et de l’ECDC], ce sont des départements en orange qui l’étaient [officiellement] il y a 2, 4 ou 5 ans et qui ne le sont plus. Si un département apparaît en orange en 2016 [sur les cartes de la DGS] et qu’il ne l’est plus en 2017, les autorités n’en parlent plus. Or, pour nous, conserver ces départements en orange permet de mobiliser les gens afin qu’ils participent à notre veille citoyenne. »
La « veille citoyenne » est, avec les données officielles, l’autre source d’information du site Internet, qui l’encourage, regrettant le « manque de connaissances des habitants sur les risques sanitaires » d’Aedes albopictus. Les habitants vigilants peuvent signaler la présence d’un moustique identifié par eux sur le site, et voir leur « alerte » défiler sur la page d’accueil.
« Je suis quelqu’un passionné par les moustiques »
Se défendant d’être « alarmiste », le site vigilance-moustiques se présente comme un rempart à la progression du moustique tigre, proposant notamment des moyens de limiter sa dissémination, parce que la « vigilance citoyenne » est « la première des protections contre les moustiques ».
- La page d’accueil de vigilance-moustiques.
Mais, derrière ce combat a priori d’utilité publique, pourquoi le site vigilance-moustiques présente-t-il la menace du moustique tigre d’une façon bien plus alarmiste que celle des autorités sanitaires française et européenne ? La question se pose d’autant plus que les principaux partenaires de ce site sont des marques (Manouka et Moustiques Solutions) qui vendent des répulsifs et des insecticides.
Stéphane Robert, le président et fondateur du site défend sa démarche : « Notre leitmotiv, c’est la veille citoyenne, associer le citoyen à la nécessaire vigilance du moustique tigre. On dit “vigilance” parce que c’est un terme qui est parfaitement admis et compris par la population. C’est de la communication, les couleurs de notre carte sont les mêmes que celles de la Direction générale de la santé et on a rajouté le jaune parce que l’on trouvait que c’était plus joli que le transparent [blanc] et aussi pour des départements qui sont en veille entomologique. Notre propos n’est pas du tout de vendre des produits Manouka, une de nos premières recommandations est de faire de la prévention. Je vous encourage à vérifier que l’information que l’on donne est objective. »
Toutefois, Stéphane Robert ne souhaite pas répondre lorsqu’on lui pose la question de son origine professionnelle. « C’est personnel. » Il ajoute, en lâchant un rire : « Je suis quelqu’un passionné par les moustiques. » Pour en savoir plus sur ce personnage, qui donne à qui veut l’entendre (France Inter, BFM-TV et RMC, en 2018, Europe 1 en 2016 et I-Télé en 2013), son expertise sur les moustiques, il faut se pencher sur les statuts de sa société.
Les statuts de la société vigilance-moustiques.
Il y apparaît que les premiers objets de cette entreprise sont mercantiles : « Vente d’espaces publicitaires, exploitation et commercialisation de bases de données multimédias, transmission de données commerciales et publication d’informations par catalogue électroniques, d’ordres commerciaux, d’achat ou de vente. » Pierre Vasseur, directeur général du Laboratoire A, qui détient la marque Manouka, est même mentionné comme cofondateur du site vigilance-moustiques.com. Par ailleurs, sur la page professionnelle Linkedin de Stéphane Robert, son CV indique : « Président associé fondateur de Vigilance-Moustiques.com créé au service de la marque manouka.com. » Enfin, pour le registre des sociétés, cet entomologiste improvisé reste directeur général du Laboratoire Phyto-Terra, [issu de la même entreprise (The Good Lab) que celle de son confrère Pierre Vasseur.
En plus des médias, la communication efficace de vigilance-moustique.com a réussi à atteindre des services de l’État. La préfecture de l’Ain, via sa page internet, et celle de l’Aude, à travers ses réseaux sociaux, ont relayé la carte et les articles inquiétants du site.
- La reproduction de la carte de vigilance-moustiques par la préfecture de l’Ain sur son site Internet.
Interrogé par Reporterre, le service de communication de la préfecture de l’Aude répond : « On n’a pas vocation à relayer des informations commerciales, on a été négligent, c’est une erreur dont il ne faut pas tenir compte. » Du côté de la préfecture de l’Ain, on reconnaît aussi : « En effet, “vigilance” n’est peut-être pas le terme le plus adéquat, on va le modifier. »
En attendant les évaluations, les usagers font office de cobayes
Pour Gilles Besnard, entomologiste à l’Entente interdépartementale de démoustication Rhônes-Alpes, il est clair que la carte de vigilance-moustiques correspond à une mauvaise interprétation de la situation : « Les informations sont présentées de façon beaucoup plus alarmiste qu’elles ne le sont réellement. Il y a des endroits où le moustique tigre peut être présent seulement sur un quartier : dans ce cas, le ministère de la Santé le signale sur les cartes comme implanté dans tout le département. Or, c’est un moustique qui ne se développe pas dans les zones naturelles, on ne le trouve qu’autour des habitations. Pour pondre, il va profiter de tous les objets près des maisons qui contiennent de l’eau. C’est pour cette raison que la méthode de lutte la plus efficace consiste en des gestes simples : remplir les coupelles de sable, mettre des voiles antimoustiques au-dessus des bidons, retourner les brouettes et les sceaux, ne pas abandonner des jouets dans les jardins, etc. »
Au-delà de cette stratégie de communication se pose la question de la sous-évaluation de la toxicité des répulsifs antimoustiques. Une grande partie des substances actives qui composent ces lotions et qui sont aujourd’hui commercialisées en France ne disposent d’aucune autorisation de mise sur le marché (AMM), même si leur usage est encadré au niveau européen. Pour Nathalie Lionel, du service de presse de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), le service chargé de délivrer les autorisations, « à un moment donné, il y a eu un vide dans la réglementation et les industriels en ont profité. On fait des évaluations a posteriori ». Pour connaître les produits possédant une AMM, il faut se rendre sur le site du ministère de la Transition écologique. En attendant les évaluations, les usagers font office de cobayes. La gamme Manouka est à ce titre représentative de la situation puisqu’aucun de ses répulsifs ne possède d’autorisation de mise sur le marché. Pourtant, on les trouve dans plus d’un millier de points de vente, dans tout le pays.
Actuellement, trois principes actifs de synthèse sont utilisés en France comme répulsifs, il s’agit du DEET (N,N-Diéthyl-3-méthylbenzamide), de l’IR3535 et de l’Icaridine. Si le DEET a été étudié de près depuis presque dix ans, la nocivité des autres molécules est évaluée depuis peu. Bruno Lapied, directeur d’un laboratoire dédié à l’étude des modes d’action neurotoxiques des insecticides et des répulsifs sur les insectes ravageurs à l’université d’Angers et expert de l’évaluation des risques liée aux biocides à l’Anses, apporte son éclairage sur la toxicité de ces produits [4] : « En 2009, avec l’Institut de recherche pour le développement, nous avions montré que le DEET pouvait avoir des propriétés insecticides et angiogéniques, c’est-à-dire qu’il augmente chez les humains la vascularisation au niveau des tumeurs, c’est un neurotoxique. De même l’IR3535 ou la KBR (l’Icaridine) ne sont plus considérés seulement comme des répulsifs, ce sont aussi des insecticides et dans “cide”, il y a “tuer” [du latin cida]. Toutefois, comme les répulsifs sont la première barrière contre les moustiques vecteurs d’agents pathogènes, il faut respecter leurs conditions d’utilisation et les normes de sécurité, en se renseignant sur les tableaux de restriction. En général, les répulsifs ne s’appliquent pas sur la peau et il ne faut pas trop répéter les pulvérisations, car tous ont des propriétés irritantes. »
« Il ne faut pas avoir peur de ces maladies »
Par ailleurs, les peurs liées à la propagation du moustique tigre en France métropolitaine sont à relativiser. Pour Louis Lambrechts, chercheur à l’Institut Pasteur, « il faut faire la distinction entre le moustique et les arbovirus (dengue, chikungunya, zika) qu’il transporte et peut transmettre. Son expansion peut être inquiétante, car c’est un facteur de risque, mais ça ne veut pas forcément dire qu’il y aura une épidémie. Les symptômes sont très désagréables, les cas graves existent, mais ils sont rares, et ces virus ne tuent pas beaucoup. Chaque année dans le monde, par exemple, il y a environ 20.000 morts pour presque 400 millions de personnes infectées par la dengue, soit un taux de mortalité de 0,00005 % . »
Dans le Midi, depuis 2014, d’après le ministère de la Santé, 18 cas autochtones de dengue ont été signalés et 17 de chikungunya. Selon Isabelle Estève, chargée du dispositif prévention de la lutte anti-vectorielle à l’Agence régionale de santé Paca, « il ne faut pas avoir peur de ces maladies. En métropole, il n’y a pas eu de décès liés aux arbovirus. Ce n’est pas parce que l’on a un cas de chikungunya que c’est grave. L’objectif n’est pas qu’il n’ y ait aucun cas autochtone, c’est impossible, mais que, lorsqu’il y a un foyer, il soit bien circonscrit. Pour parler d’épidémie, il faudrait en France 300 à 500 malades dans 15 à 20 départements ».