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ChroniqueÉconomie

Nos vies sont colonisées par l’économie

Nos imaginaires, nos choix quotidiens, nos considérations politiques sont forgés à travers le prisme de l’économie, réducteur à l’excès. Pour éviter le pire, remettons « l’économie à sa place ».

Vincent Liegey.

Tous les mois, Vincent Liegey, « décroissant », porte son regard sur l’actualité. Comme les chroniques et tribunes publiées sur Reporterre, il exprime un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui du Quotidien de l’écologie.


En 1944, Karl Polanyi publie La Grande Transformation, un livre majeur sur l’histoire de l’économie. Il y explique comment l’économie de marché s’est imposée avec force et violence, et non sans résistance, dans nos sociétés occidentales. Tout commence avec l’enclosure en Angleterre et s’accélère avec la révolution industrielle. Même si les marchés ont toujours joué un rôle dans l’organisation des civilisations, Polanyi montre à quel point cette centralité du marché est nouvelle dans l’histoire. Le libéralisme économique devient ainsi la valeur centrale de la vie de nos sociétés, marginalisant les autres approches : la culture, l’éthique, la réciprocité, le partage, la solidarité, le politique, la spiritualité, etc.

Polanyi explique aussi comment, face aux instabilités économiques, cet enfermement autour du libéralisme engendre replis et protectionnismes, développe l’avènement des totalitarisme puis la tragédie de la Seconde Guerre mondiale.

Ainsi, face au désastre, Polanyi entrevoit « la phase finale de la chute de l’économie de marché » et escompte « le début d’une ère de liberté sans précédent ». Il ajoute : « Débarrassés de l’utopie du marché, nous voici face-à-face avec la réalité de la société ».

Dogme au-dessus de la politique

Ces prédictions, qui s’avèrent prématurées, sont reprises soixante ans plus tard par Serge Halimi, dans Le Grand Bond en arrière, un livre qui explique par quels mécanismes le libéralisme a su s’imposer de nouveau, à tel point qu’il est présenté comme inhérent à la nature humaine : « Il n’y a pas d’alternative. » Alors nous revoilà « en guerre » si tant est que nous l’avions quittée... les replis protectionnistes sont de retour... et que dire de la tentation autoritaire au nom de la sécurité...

Les tragédies que nous vivons quotidiennement ne peuvent pas s’expliquer à travers le seul prisme de la critique du libéralisme. Toutefois, la centralité de l’économie, aussi bien en tant qu’imaginaire aveuglant que dogme au-dessus de la politique, doit être questionnée. C’est même au cœur de la pensée de la décroissance.

On ne manque malheureusement pas d’exemples des méfaits de cet économicisme. Individuellement, nous faisons face à la tentation d’aller vers le prix le moins cher, à l’encontre de nos valeurs, sans prendre en compte les conséquences écologiques et humaines de ces choix dits rationnels. De même, en ce qui concerne nos emplois contraints par une dépendance à ce système économique.

Éviter les retours de boomerang violents

À l’échelle politique, il suffit de regarder l’exemple criant du Premier ministre fanfaronnant sur son compte Twitter après son séjour en Arabie saoudite :

Le tout au nom de l’économie, d’un certain réalisme, d’une rationalité biaisée...

Plus que jamais, il est temps de remettre l’économie à sa place, de relocaliser nos vies et de sortir de ces visions réductionnistes. C’est ce que Karl Polanyi préconisait à travers le ré-encastrement de l’économie.

Afin d’éviter les retours de boomerang violents, regardons l’histoire ancienne et récente, posons-nous les bonnes questions, faisons le lien entre nos choix et leurs conséquences profondes. Décolonisons notre imaginaire économiciste, d’homo economicus et redevenons des citoyens en assumant la primauté de la politique, de l’éthique, du sens, du dialogue et de la cohérence.

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