Notre-Dame-des-Landes : la négociation sur les terres de la Zad a progressé

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Que vont devenir les terres de la Zad de Notre-Dame-des-Landes ? Vendredi 12 octobre se tenait à la préfecture une réunion des parties impliquées. L’enjeu : que les zadistes puissent poursuivre leurs activités agricoles, forestières et artisanales. Face à eux, la Chambre d’agriculture et des agriculteurs extérieurs revendiquent les terres. Compte-rendu.
- Nantes (Loire-Atlantique), correspondance
Pour la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, on serait parvenu à un partage équitable de ND des Landes. Un jugement de Salomon du bocage : « Nous travaillons pour arriver à une répartition équilibrée des terres qui permette à tous d’envisager le plus sereinement possible leur avenir ensemble sur ce territoire », explique Mme Klein dans un communiqué à l’issue du troisième « Copil », sigle désignant le « comité de pilotage » chargé d’arbitrer la gestion des terres, aux lendemains de l’abandon du projet d’aéroport. Le Copil s’est réuni à Nantes, vendredi 12 octobre, durant l’après-midi.
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Dans la rue, sous les fenêtres de la préfecture, le ton est différent. « On se bat pour la terre, ils se battent pour les primes de la PAC », « Oui à l’installation, non à l’agrandissement », « On se bat pour un troupeau de broutards, par pour un troupeau de connards », disent les pancartes posées sur les fourches de la soixantaine de tracteurs qui bloquent le rond point.

« On n’a pas eu d’affrontement direct, confie au sortir de la longue réunion Dominique Deniaud, président de la Confédération paysanne 44. La réunion a validé le fait que les gens qui avaient perçu des indemnités en cédant leurs terres [à Vinci ou au Département] vont pouvoir s’y réinstaller. Le côté immoral, c’est qu’on n’a aucune transparence sur l’état de leurs fermes en 2008, la préfecture se contentant d’affirmer qu’en moyenne, ces exploitations se sont agrandies dans la même moyenne qu’ailleurs dans le département. Et donc que le débat est clos. Alors que pour certains, il y a des situations suspectes. Cela n’aide pas à l’apaisement. »
M. Deniaud réclame une vraie transparence pour chaque postulant, que l’on connaisse leurs surfaces au départ et celles d’aujourd’hui. Car on soupçonne que ces agriculteurs, qui ont profité en fait du projet d’aéroport, ont agrandi leurs exploitations hors de la Zad, ce qui rendrait encore moins légitimes leurs revendications d’obtenir des terres au sein de la Zad. « Les services de l’Etat n’ont même pas les bons chiffres des hectares de chacun, et pourtant ça fait des mois qu’ils bossent sur le dossier », ajoute un paysan accoudé à son tracteur.
L’association Amelaza, fondée après l’abandon du projet, regroupe les agriculteurs se disant « légaux », qui ont déjà perçu des indemnités pour la cession de leur terre. Elle cristallise la rage des zadistes et de leurs soutiens agricoles. Ils et elles voient en ces cumulards l’antithèse de ce que défend la Zad. « Ils jouent au Monopoly avec les terres ». Les revendications de ceux que l’on appelait autrefois « les accapareurs » donnent lieu à des interprétations des lois divergentes selon leurs défenseurs et leurs détracteurs. La situation est inédite et sans précédent. Il n’y a pas de jurisprudence applicable à ces revendications de retour à l’état antérieur, aux lendemains d’un projet annulé par l’Etat, la déclaration d’utilité publique officiellement abrogée.
Quelle agriculture ? Chimique, industrielle, sur grande surface, ou écologique, enracinée et humaine ?
Et pourtant les instance officielles, les CDOA (Commissions départementales d’orientation agricole), consultatives auprès du préfet, recommandent la priorité à l’installation plutôt que l’agrandissement des exploitations existantes. La déclaration de la préfète entérine cette recommandation : « Les surfaces, qui devraient se trouver libres au cours des prochains mois suite à des cessations d’activités, liées à des départs à la retraite, feront l’objet d’une gestion transitoire afin de permettre leur affectation prioritaire à des projets d’installation diversifiés et respectueux de l’environnement. »
Au delà des arguties techniques et d’attribution des surfaces, le débat porte aussi sur le type d’agriculture, entre l’agrandissement d’exploitations conventionnelles (traduire par « chimique et industrielle » note un naturaliste), et l’installation de nouveaux et nouvelles paysan
nes dans une démarche de respect de l’environnement et des sols.« L’agrandissement, c’est très représentatif de l’agriculture intensive et de la croissance aveugle. La banque, le centre de gestion, la culture ambiante de la croissance comme seule condition de survie, tout pousse à avoir plus de surface pour une même ferme, plus de vaches, plus de tout, note Bernard Poilane, éleveur laitier au sud de la Loire. Dans mon secteur dans le vignoble, il y a les mêmes forcenés de l’agrandissement, mais on manque parfois de projets d’installation, à mettre en face, alors que sur la Zad, on n’en manque pas... »
Pour Dominique Deniaud, la carte produite par la préfecture indique que « les possibilités d’installation sont grandes notamment dans l’ensemble de 188 ha » pour le « renouvellement des COP [conventions d’occupation temporaires] avec examen au cas par cas des parcelles attribuées temporairement après 2008 ».

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Dans la période entre l’abandon du projet et maintenant, les conventions temporaires, sur six mois, ont paru infliger une précarité inconcevable dans un univers agricole, qui envisage habituellement les projets d’installation sur dix à vingt ans, avec des emprunts courant sur de telles durées. Une autorisation de six mois est donc absurde, puisqu’elle ne couvre même pas le cycle cultural.
Mais à ce sujet, les tactiques différent entre des zadistes qui réclament des baux durables pour se dégager de cette précarité Damoclès, et des paysans qui craignent de figer par des baux – tant pour les zadistes que pour les cumulards soutenus par la Chambre d’agriculture.
« Ces conventions précaires sont une dérogation scandaleuse au droit de fermage dont jouissent les paysans. On nous donne des contraintes, on nous demande de rentrer dans le cadre d’activité paysanne, mais on nous refuse les droits qui vont avec », plaide Jojo, zadiste installé à Bellevue. Les porteurs de projet de création d’activité agricole ont besoin d’un bail de fermage au long cours pour présenter leur dossier. Aucune installation n’est administrativement envisageable avec une COP de quelques mois.
Pour le collectif Copain, Vincent Delabouglise voit le danger de cette exigence : « Demander tout de suite des baux de fermage, on comprend que cela représente la sortie de l’insécurité pour les zadistes, mais on ne pourrait pas l’appliquer qu’à eux seuls, ça vaudrait autant pour les paysans qui louchent sur les terres qu’ils ont vendues, et qui veulent le beurre et l’argent du beurre : ils en profiteraient aussi, ce qui verrouillerait toute évolution ultérieure. Il vaudrait mieux prendre encore du temps, que tout le foncier ne se règle pas d’un seul coup. »
« On réclame une grande réserve foncière, qui serve de plateforme pour mutualiser les besoins et favoriser les installations face aux pressions de la Chambre d’agriculture et de l’Amelaza, ajoute Dominique Lebreton de la Confédération paysanne et du collectif Copain. Tant pour les installations d’aujourd’hui que de demain, plutôt que s’engager à faire des promesses de baux de fermage ».
La forêt est aussi en jeu

Par ailleurs, le comité de pilotage a décidé que « la forêt de Rohanne [40 ha au cœur de la Zad] sera gérée par l’Office National des Forêts en y associant les habitants qui souhaitent y participer ». Ce qui ne fait pas l’affaire des zadistes regroupécollectif Abracadabois qui entend « gérer la forêt de l’arbre à la poutre, et même de la graine à la charpente, en filière courte et avec une vision à long terme », explique Mathilde, qui n’a aucune envie « de se transformer en entrepreneurs de travaux forestiers pour d’autres » dans le cadre d’un schéma établi par l’ONF.
es autour duPar ailleurs, un groupe de travail est lancé sur les questions des cabanes et auto-constructions en place, en tous cas celles qui n’ont pas été réduites en miettes par les bulldozers des gendarmes au printemps. « L’objectif est que cette zone retrouve pleinement sa place au sein du territoire et que les habitants puissent habiter et travailler dans le respect des règles d’urbanisme », souligne la préfète. « C’est vrai que ça peut paraitre bizarre de délaisser une barricade pour contribuer au Plan local d’urbanisme, mais c’est toujours défendre la Zad, un bâti à faible impact sur l’environnement, tenir compte de tous les lieux créés par la lutte » dit un barbu au micro, à un jet de motte de terre du cordon policier.
Si on se réfère aux valeurs du moment, la Zad a fait preuve et d’innovation, dans (habitat ultra sobre, mode de culture bio de proximité, échanges non marchands) et d’agilité, créant de nouvelles structures, assemblées des usages, Association pour un avenir commun dans le bocage (AACB), qui se veut l’interlocutrice des instances du pouvoir, et même un très macronien Fonds de dotation pour capitaliser de quoi racheter des terres, si besoin. Créé le 18 septembre dernier, ses statuts ayant été déposés en préfecture le 25, le fonds de dotation La terre en commun est un outil financier dédié ici à un achat collectif de foncier agricole, afin que quelques bouts de bocage échappent à l’agrandissement d’exploitations déjà bien pourvues et à la mainmise de l’agriculture productiviste.
Le prochain comité de pilotage est prévu à la mi février. Cette instance d’étape était loin de la fin du feuilleton. Le Département doit racheter les terres à l’Etat et prendre le relais en 2019. Les projets d’installation et les renouvellements de convention changeront alors d’interlocuteurs.