Notre-Dame-des-Landes, quand la réalité rejoint la fiction de « Résilience »

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Dimanche 15 avril, notre chroniqueuse était en famille sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes en réponse à l’appel des habitants. Elle a été très marquée par la violence inutile et disproportionnée des forces de l’ordre et par la similitude de l’évacuation avec le scénario et les dessins de la BD dystopique « Résilience ».
Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Le 24 mars dernier, me voilà collée à la vitre de ma librairie préférée et locale (Métropolis, à Bayeux), mon regard bloqué sur une bande dessinée nommée Résilience et signée Lebon et Poupelin. Je me rapproche pour observer la couverture où des « robocops » d’un futur pas si lointain bloquent le passage de citoyens blessés, dans une forêt verdoyante. Il s’agit du tome 2 : « La vallée trahie ».
Après deux semaines d’hésitation, je ne tiens plus et j’achète les deux tomes.
Si je vous précise la chronologie de cette histoire, à première vue banale, de coup de cœur littéraire, c’est que deux jours plus tard, alors que les négociations suivent leur cours entre les occupants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes et Mme Klein, préfète de Loire Atlantique, 2.500 CRS et gendarmes mobiles déboulent dans la ZAD avec des blindés.
La colère, la tristesse ne nous ont pas quittés de la semaine, ma petite tribu familiale et moi, au fur et à mesure que les images des journalistes de Reporterre, Mediapart ou Taranis News nous parvenaient, sans oublier l’indispensable site d’information de la Zad. Les messages aussi affluaient de la part des amis vivants sur place, décrivant l’extrême violence des destructions des lieux de vies et des zones agricoles.


Alors, je me suis interrogée sur l’auteur de cette bédé, Augustin Lebon, un jeune auteur-dessinateur de 28 ans. Quelles pouvaient bien être ses sources d’inspiration ? Était-il un militant écologiste doté d’une boule de cristal ? Je me suis plongée dans cette interview de lui, datant de mai 2017. On y découvre qu’il a été profondément marqué en visionnant le documentaire « Solutions locales pour un désordre global », de Coline Serreau :
Je n’en ai pas dormi de la nuit, tellement j’avais l’impression qu’on allait droit dans le mur. Ça m’a travaillé. Du coup, j’ai regardé d’autres documentaires sur le sujet, ce qui m’a poussé à accumuler pas mal de colère, face à un sentiment d’impuissance grandissant. Comme je ne pouvais pas me lancer dans la production intensive de légumes — ce n’est pas mon métier —, il fallait que je fasse quelque chose avec mes “armes”, avec ce que je sais faire. J’ai donc dû essayer de concilier cela avec mes envies d’auteur de bandes dessinées de genre. »
Je ne sais pas si Augustin Lebon a les pouces verts et s’il ferait un bon maraîcher mais, en tout cas, c’est un sacré artiste !
Mais comme dans ton histoire, la trahison se dessine
Je vous fais le pitch. En l’an 2068, une multinationale d’engrais chimiques, ayant le soutien de l’État, et disposant de sa propre milice, prive la population de nourriture pendant que les sols sont de plus en plus stériles. Seule une poignée d’irréductibles, au sein du réseau Résilience, conservent des semences, les partagent et diffusent de « dangereuses » idées de liberté !
Les parallèles entre Résilience et NDDL ne sont pas nombreux, ils sont omniprésents. Surtout depuis dimanche dernier.
Nous nous étions préparés en famille pour aider à la reconstruction sur la Zad. Les vis, clous, outils, médicaments, gâteaux, etc. récupérés chez des amis du Bessin la veille, étaient bien emballés dans les sacs à dos. 12 h, dimanche, nous retrouvions Sid et tous les autres à Bellevue, sur la Zad, dans une joie collective à vous donner la chair de poule.


Deux heures plus tard, la décision est prise de remettre, près du carrefour de la Saulce, une charpente qui vient d’être montée. Tout un symbole, après six jours de destruction. Des centaines de personnes se relayent alors pour la porter en courant à travers la forêt de Rohanne et les champs, pendant que d’autres maintiennent une chaîne humaine face à un cordon de CRS impressionnant en pleine zone humide… Quelques bombes lacrymogènes explosent malgré les milliers de personnes dispersées dans la zone. La violence est encore là.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la barricade, les charpentiers montent l’ossature d’un futur bâtiment collectif. À quelques mètres d’eux, on chante, on danse et on se repose dans l’herbe. C’est verdoyant la Zad, Augustin ! Autant que ta vallée… mais comme dans ton histoire, la trahison se dessine.


La soirée approche, les soutiens venus de toute la France et d’au-delà quittent progressivement le bocage et la structure du bâtiment est déplacée de nuit, à bout de bras, à l’emplacement définitif. Une information circule selon laquelle les forces de l’ordre quittent définitivement la zone et que les habitants auront jusqu’au 23 avril pour déposer leurs dossiers en préfecture. Soulagement…
Et pourtant. Ce n’est qu’une fois rentrés à Bayeux, au petit matin, que nous avons découvert que les blindés étaient revenus, les « robocops » aussi. Ils ont tronçonné toutes les poutres assemblées la veille. Triste spectacle filmé par le drone de la gendarmerie elle-même.
Je ne sais pas, Augustin, ce que tu écriras comme suite à ton histoire. Ce dont je suis sûre, c’est que la Zad est et restera porteuse d’espoirs, d’entraide et de coopération. Elle est devenue le symbole au-delà de nos frontières, de l’autogestion et du respect de la Terre et ça, aucun blindé ne pourra le détruire. Ni aucun président.

- Résilience. T. 2 - La Vallée trahie , d’Augustin Lebon, éditions Casterman, mars 2018, 64 p., 15,5 €.