Nucléaire : l’Allemagne arrête ses derniers réacteurs

Démolition d'une tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Biblis, en Hesse, en février 2023. - © Daniel Roland / AFP
Démolition d'une tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Biblis, en Hesse, en février 2023. - © Daniel Roland / AFP
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Nucléaire Monde ÉnergieLa page du nucléaire se tourne en Allemagne. Les trois derniers réacteurs allemands cesseront de fonctionner samedi 15 avril au soir.
Berlin (Allemagne), correspondance
C’est en musique que les militants antinucléaires allemands fêteront samedi après-midi la fin définitive de l’énergie atomique outre-Rhin. Rendez-vous est donné à 13 heures devant la centrale de Neckarwestheim, dans le sud-ouest du pays : avec Emsland, dans le nord, et Isar 2, en Bavière, Neckarwestheim est l’un des trois derniers réacteurs nucléaires en activité. Ils seront déconnectés du réseau peu avant minuit. « Il est rare que nous, les défenseurs de l’environnement, ayons quelque chose à célébrer ! » écrit dans un communiqué l’association Bund, la branche allemande des Amis de la Terre.
Ces trois centrales devaient initialement fermer le 31 décembre 2022. Cet hiver, elles ont obtenu un sursis pour sécuriser l’approvisionnement en électricité en pleine crise énergétique. Mais le gouvernement maintient le cap. « La sortie du nucléaire rend notre pays plus sûr, les risques liés à l’énergie nucléaire sont imprévisibles », déclare Steffi Lemke, ministre fédérale de l’Environnement et de la Sûreté nucléaire.

Si la date du 15 avril 2023 marque une césure symbolique après plus de soixante ans d’exploitation du nucléaire, cette source d’énergie ne représente plus qu’une part marginale de la production d’électricité en Allemagne : 6 % en 2022, contre près d’un tiers à la fin des années 1990. La fin du nucléaire a fait l’objet d’un consensus partagé par les quatre principaux partis politiques : lancé en 2003 par les sociaux-démocrates et les écologistes, le processus a été accéléré par les conservateurs et leurs alliés libéraux-démocrates en 2011, après l’accident nucléaire de Fukushima. La catastrophe a montré que « même dans un pays de haute technologie comme le Japon, les risques liés à l’énergie nucléaire ne peuvent être maîtrisés à 100 % », argumentait alors l’ex-chancelière Angela Merkel.
« Le solaire et l’éolien sont plus sûrs, plus durables, plus économiques »
Contrairement à la France, par exemple, la première économie d’Europe fait donc le pari d’achever sa transition écologique sans recourir à l’énergie atomique bas carbone. « Il existe de meilleures alternatives » au nucléaire, selon la ministre Steffi Lemke. « L’électricité solaire et éolienne est plus sûre, plus durable, plus respectueuse du climat et plus économique que l’énergie nucléaire », assure l’écologiste dans une tribune publiée le 14 avril par le quotidien Tagesspiegel.
Ainsi, l’Allemagne vise un objectif de 80 % de renouvelables dans son mix électrique en 2030. Si l’objectif de 100 % renouvelables en 2035 a été abandonné sous la pression des milieux d’affaires, Berlin ambitionne d’atteindre la neutralité carbone dès 2045 — soit cinq ans plus tôt que la France. La sortie du charbon doit s’étaler, selon le calendrier actuel, entre 2030 et 2038.
Trente-deux réacteurs doivent être démantelés
La marche est encore haute : au premier trimestre 2023, le charbon, grand émetteur de CO2, représentait 30,5 % de la production d’électricité et le gaz naturel 5 %, contre 51,5 % pour les renouvelables. De nouvelles réglementations doivent permettre d’accélérer le déploiement de l’éolien et du solaire, freinés ces dernières années. Dans l’opinion publique, le doute s’est toutefois installé : 59 % des Allemands considèrent que sortir du nucléaire est une « mauvaise » décision, selon un sondage réalisé pour la chaîne de télévision publique ARD. En 2011, ils y étaient au contraire favorables à 54 %.
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En cessant de produire du courant à partir du nucléaire, l’Allemagne n’en a en tout cas pas fini avec cette source d’énergie. Au total, trente-deux réacteurs doivent être démantelés, un chantier qui pourrait prendre encore une quinzaine d’années au mieux. Un site de stockage doit accueillir 300 000 m3 de déchets faiblement et moyennement radioactifs à partir de 2027. Les quelque 27 000 m3 de déchets hautement radioactifs produits par les centrales devront, eux, encore patienter : la mise en service de leur futur site de stockage n’est pas prévue avant 2050. Coût estimé : 176 milliards d’euros. « L’énergie nucléaire a fourni de l’électricité à trois générations. Mais nous faisons peser son héritage sur nos descendants, il concernera 30 000 générations », déplore Steffi Lemke.