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ReportageNuit debout

Nuit debout : « Nous allons continuer à montrer ce qu’est la vraie démocratie »

Mercredi 8 juin, dans la douceur d’une des premières nuits d’été, Nuit debout a fêté le 100 mars par une exposition photo, un bal et une assemblée populaire. Une célébration en demi-teinte, entre enthousiasme, volonté de continuer et interrogations sur l’évolution du mouvement face à la dispersion des participants.

-  Paris, place de la République, reportage

Il est à peine 17 h, mais la place de la République s’agite déjà. Les installations habituelles de Nuit debout sont déjà là, avec, en prime, des photos suspendues entre des fils à linge retraçant l’histoire de la mobilisation. En ce 100 mars, « l’idée est de se rassembler et de célébrer tout ce qui a déjà été fait », explique Manon, à l’accueil. Une manière de faire un bilan d’étape, alors que le mouvement traverse une zone de turbulences du fait des intempéries, des violences policières et d’une diminution du nombre de participants.

L’expo photo qui raconte l’histoire de la mobilisation

Perché sur son escabeau, Armand suspend les derniers clichés. « Le 100 mars est un prétexte pour animer un peu la place qui souffre à juste titre de délaissement, parce que les gens sont dispersés dans les mobilisations sociales », explique-t-il. A deux pas, Karim, 54 ans, examine chaque cliché. En recherche d’emploi, il vient chaque jour depuis le 31 mars et estime que « le bilan est énorme. Nuit debout s’est répandu en France et dans le monde. Nous pouvons être fiers d’être entrés dans l’histoire ! Nous allons continuer à montrer ce qu’est la vraie démocratie ».

Traditionnellement très active, la commission Écologie debout a sorti sa grainothèque et une série de photos prises les deux mois précédents. Des membres entreprennent de végétaliser les pieds d’arbres voisins. Fanny explique à une visiteuse comment réaliser du dentifrice avec du bicarbonate de soude et de l’huile de coco. « Pour le parfum, on peut utiliser des arômes alimentaires », précise-t-elle. Documentariste, elle a découvert l’engagement place de la République. « Le deuxième jour, j’ai pris la parole devant une assemblée générale de 1.500 personnes, raconte-t-elle, encore incrédule. J’ai aussi appris à me servir des réseaux sociaux et à réaliser des enveloppes en papier ! »

Elle reste néanmoins prudente sur l’évolution de la mobilisation : « Ce qui me manque, c’est de savoir où on va. L’assemblée générale est parfois folklorique : il y a des gens qui veulent juste prendre le micro, d’autres qui sont un peu bourrés... Si on veut avancer, il faut passer à autre chose. J’aimerais que le travail des commissions soit mieux mis en valeur, que notre manifeste Ecologie debout fasse l’objet d’un vote par exemple. » Mais elle met en garde face aux impatiences, parce que « Nuit debout n’existe que depuis 69 jours. Les partis politiques mettent des années à se construire. Et on nous demande déjà des comptes ? »

Tournée des Zads et camp climat

Pour David, le référent de la commission, « la suite du mouvement est une grande question. Il y avait très peu de monde les deux-trois dernières semaines, je me disais que ça s’essoufflait un peu ». Le bilan en termes de politisation est déjà très positif, estime-t-il : « Cet été, des participants qui ne s’étaient jamais engagés auparavant ont prévu d’aller faire le tour des Zads ou de participer au camp climat. Sensibles à l’écologie, ils ont trouvé dans la commission Climat l’occasion de concrétiser leurs convictions. »

A côté, la commission Éducation populaire s’interroge aussi sur l’évolution du mouvement. « Nuit debout n’existe qu’à Paris », déplore une intervenante. La jeune femme qui lui succède propose d’élargir le mouvement, par exemple grâce à une « Nuit debout itinérante, un peu comme la marche pour l’égalité de 1983. On irait là où les gens ne connaissent Nuit debout que par la télé, pas pour apporter nos revendications, mais pour les écouter ! » Départ prévu « début août ». Assise en tailleur, l’intervenante suivante demande « à quel moment Nuit debout investira la scène politique ». Elle présente la plate-forme laprimaire.org, « une plate-forme de primaires citoyennes où chacun peut se présenter ».

A 19 h, l’assemblée populaire se réunit. Les prises de parole se succèdent, mélangeant représentants de commissions et une minorité de participants s’exprimant en leur nom propre.

Une femme lit le texte préparé par « Carmella, qui a régulièrement participé à Nuit debout mais ne peut pas être là ce soir » : « Nous avons été l’étincelle qui a mis un point final à nos résignations. Nos flammes ont souvent rejoint les luttes. Personne ne regrettera ce feu de joie. Mais s’il s’éteint demain, la nuit sera plus noire. Après-demain, revenons apporter une brindille pour continuer d’éclairer nos vies. »

Crier contre la propagande du gouvernement

Une militante pour la protection des mineurs isolés remercie Nuit debout qui a donné à son organisation « le ressort qu’il fallait pour sortir, dehors, devant la mairie de Paris qui refuse de scolariser ces jeunes. Nous étions devant la mairie le 22 avril et le 17 mai, et devant le rectorat le 1er juin ! » La commission Economie politique, après avoir présenté les débats organisés chaque semaine, encourage les participants à « crier dans le métro pour contrer la propagande du gouvernement en faveur de la loi Travail. Il faut être trois : deux personnes qui tractent, et la troisième qui explique pourquoi il faut refuser cette loi et soutenir les grèves attaquées par les médias. A chaque fois que nous l’avons fait, ça a provoqué des discussions entre les gens ».

Après l’assemblée, l’ambiance se fait plus festive. La queue s’allonge devant le stand de falafels, la place s’emplit des musiques crachées par les sonos, la foule se met à danser devant le DJ. Vénus VénR (pseudo) regarde ces « minots » d’un œil bienveillant. « J’habite à 400 mètres de la Belle Equipe [café touché par les attentats du 13 novembre], je me suis occupée de gens traumatisés, Nuit debout m’a guérie de cette nuit effroyable », confie cette militante de longue date. Elle se réjouit du « beau temps qui revivifie le mouvement. Il y a deux semaines, la place était moribonde ! Mais ce mouvement, très organique, est comme la vie : il y a des hauts et des bas ». Jusqu’à sa disparition ? La perspective ne l’effraie pas : « Les graines qui sont plantées dans des moments forts, elles le sont pour toute la vie. Nuit debout est une fécondation. »

Pierre, étudiant de 27 ans, s’attarde près des photos. Présent depuis début avril sur la place de la République, il tient « à la poursuite du mouvement et à son évolution » : « Nuit debout est un concept destiné à vivre sa vie librement. Chaque ville doit se l’approprier à sa manière. S’il devait s’éteindre à Paris, il pourrait continuer ailleurs. »

Pierre : « Nuit debout est un concept destiné à vivre librement »

Plus loin, Tazzio, 19 ans, se dit « très impressionné qu’elle ait duré jusqu’à maintenant ». « Il y a moins de monde, mais c’est à cause des partiels et des vacances, estime Emma, 18 ans. Mais Nuit debout n’est pas mort : les gens s’éparpillent dans plein de mouvements, ils transmettent l’esprit de Nuit debout qui se retrouve partout et flotte dans l’air. » Pour Estelle, 31 ans, l’été va permettre au mouvement de « perdurer de manière plus festive ». Et s’il s’arrêtait tout de même ? « Je pense que les gens continueront à se voir, prévoit Fanny, 34 ans, très investie dans la commission Écologie debout. Ils retiendront qu’il est possible de se rencontrer et de se parler, monteront des associations... »

Emma, Tazzio, Estelle et Fanny : « Les gens retiendront qu’il est possible de se rencontrer et de se parler »

« Ce n’est pas un essoufflement mais une restructuration du mouvement, analyse Manon. Les gens sont toujours mobilisés, mais organisent plus d’événements en-dehors de la place. Il y a une prise de recul, certains se disent que le fait que rassembler 3.000 personnes en assemblée générale n’est pas forcément une façon de faire bouger les choses. Chacun a sa perception : certains souhaitent une grève générale, d’autres veulent théoriser le mouvement, les troisièmes misent sur les commissions. » Ce qui l’intéresse, c’est la dynamique : « C’est positif que les gens sortent de la place et propagent les idées de Nuit debout auprès de leurs amis, en famille, au travail. Mieux vaut échanger nos expériences respectives qu’être en permanence à République, déconnectés du monde dans lequel on vit. »


DANS LE XIIe ARRONDISSEMENT DE PARIS, BRONCA CONTRE LE PARTI SOCIALISTE

-  Paris, reportage

Devant la station de métro Cour Saint-Emilion, dans le XIIe arrondissement de Paris, les manifestants se regroupent en fin d’après-midi, jeudi 8 juin. Quelques mètres plus loin, alors que le Parti socialiste organise un meeting pour défendre le projet de loi Travail, les forces de l’ordre font barrage. Dans la foule, syndicalistes, étudiants, jeune actifs n’ont pas pu se rendre sur les lieux du rendez-vous politique.

Plusieurs participants de Nuit debout, encouragés par l’appel de l’assemblée générale du mouvement, ont rejoint la mobilisation. Julien, étudiant en sciences politique, explique sa venue : « Je ne peux pas supporter que le PS organise un meeting au sujet du progrès social, alors que le gouvernement socialiste a fait passer en force un loi Travail en opposition de ses promesses de campagne. » Proche de Nuit debout, il pense que « le mouvement a permis une récupération de l’espace public pour des personnes pas forcément politisées. Il a été instigateur d’une réflexion citoyenne. Or, je fais partie de ceux qui pensent que sans confrontation et sans rapport de force, il ne peut pas y avoir de progrès social. Si le mouvement semble s’essouffler, c’est parce que les gens se mobilisent sur d’autres terrains comme c’est le cas aujourd’hui ».

Un peu plus loin, Louis, violoniste, est un autre habitué de la place de la République. « Le mouvement s’essouffle, admet-il, mais ce n’est pas un échec car des milliers de personnes ont travaillé de manière dynamique. La Gauche dans sa diversité s’est réunie dans une forme d’action collective pour redonner du sens à la mobilisation citoyenne. »

La colère gronde, les yeux piquent, les gendarmes viennent d’utiliser leurs bombes lacrymogènes pour repousser la foule toujours plus dense. Elle finira par se disperser en direction du Quai de Bercy, bloquant la circulation pendant plusieurs minutes. 


Pour suivre le mouvement Nuit debout :

-  Nuit Debout sur Internet : les liens, les adresses

-  Le dossier de Reporterre sur Nuit debout

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