Nuit debout repart du bon pied, entre interrogations et détermination

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Nuit deboutMercredi soir 31 août, Nuit debout a remonté bâches et barnums pour une assemblée populaire de rentrée. Ses participants souhaitent peser dans les débats de la campagne présidentielle, mais hésitent sur la manière de faire évoluer le mouvement de la place de la République.
- Place de la République (Paris), reportage
Il y avait comme un petit air de déjà vu, mercredi 31 août à 18 h 30, sur la place de la République à Paris. Au micro, une militante aux longs cheveux poivre et sel présente son association sous le regard d’un public nombreux, jeune et attentif. De sous la bâche bleue de la commission Ecologie debout s’échappent des commentaires mi-réjouis, mi-sceptiques concernant un possible abandon du Tafta. Les participants responsables de l’accueil, installés sous un barnum blanc, informent les nouveaux venus du programme de la soirée.
« Ce soir, la commission Economie debout organise un débat sur le partage des richesses et une assemblée populaire, explique David, coordinateur historique de la commission Ecologie debout, qui donne un coup de main à l’accueil. Jeudi, nous organisons une autre soirée thématique consacrée aux grands projets inutiles et imposés et aux Zads ; vendredi, la soirée sera dédiée aux rencontres de l’été, à l’aide de duplex avec d’autres Nuits debout. Et ce week-end, ce sera démocratie et Orchestre debout. »

L’objectif de ce programme chargé est clair : remobiliser les participants après la pause estivale. Car si Nuit debout fait sa rentrée sous sa forme habituelle de commissions et d’assemblée populaire, la question de la pérennité du mouvement et de son évolution est dans tous les esprits. « Quand Nuit debout a commencé le 31 mars dernier, il a bénéficié d’un effet de nouveauté. Mais aujourd’hui, les gens ont moins d’énergie et de temps à consacrer à l’occupation quotidienne de la place », analyse David.
Rassembler toutes les Nuits debout pour des actions communes
Selon lui, le mouvement n’a pas vocation à adopter une structure trop figée. « Nuit debout n’a pas envie de devenir un parti politique et n’est pas une organisation supplémentaire. C’est justement ça qui est beau : on ne cherche pas à le définir. » Toutefois, il doit évoluer pour perdurer : « Pourquoi ne pas se réunir une ou deux soirées seulement, le vendredi ou le samedi par exemple ? » Il espère aussi que les nombreuses rencontres des deux derniers mois déboucheront sur de nouvelles actions. « Cet été, nous sommes plusieurs participants de Nuit debout Paris à être allés sur les différentes Zads, à Notre-Dame-des-Landes et à Bure par exemple, et au camp climat d’ANV-COP21, d’Alternatiba et des Amis de la Terre. Nous y avons rencontré les participants d’autres Nuits debout de Nantes, Dijon, Strasbourg, etc. L’idée est maintenant de construire une convergence des luttes. »
Juliette, 19 ans, est du même avis. Cette étudiante en humanitaire à Lyon a profité de son été pour pédaler de Nuit debout en Nuit debout entre Montauban et Marseille - 500 kilomètres, dix jours, neuf occupations de places. « Mon objectif était de créer un lien physique entre les Nuits debout et de bâtir des projets communs pour éviter que les gens ne se démotivent, explique-t-elle. Notre volonté est d’organiser des actions coordonnées entre les Nuits debout des différentes villes : le même jour, à la même heure, tout le monde pique-nique, ou se lance dans un flash-mob ou une action symbolique sur des thèmes variés comme l’écologie, le Ceta et le Tafta, etc. »

Pour la jeune fille, ces mises en relation sont la grande réussite du mouvement. « Peut-être que Nuit debout va finir par disparaître. Mais le principal, c’est qu’il a été un lieu de rencontre. Maintenant c’est bon, les groupes d’affinités sont formés et continueront à se mobiliser ensemble », estime-t-elle.
« C’est important de revenir à l’occupation de la place »
A la commission Ecologie debout, Paul, Gaëlle, Laëtitia et Ulysse préfèrent perpétuer le format originel de Nuit debout. Pour Laëtitia, « il n’y a pas vraiment eu de pause estivale. Les gens se sont rendus sur les Zads, ils ont participé à des actions... Mais il était important de revenir à l’occupation de la place. C’est ce que nous faisons depuis le début, et il faut continuer à rassembler et sensibiliser un maximum de monde. Ensuite, on verra ». « Avant d’évoluer vers d’autres choses, il faut partir de ce qu’on sait faire, approuve Ulysse. Or, aujourd’hui, après avoir mis beaucoup de temps à apprendre, nous sommes d’une efficacité redoutable pour monter des bâches et des commissions. »

Le concert de guitare a laissé la place à l’assemblée populaire. Un homme assis en tailleur dénonce des « rafles » de migrants entre la place Stalingrad et le boulevard de la Villette, dans le XIXe arrondissement de Paris, et encourage les participants à donner un coup de main aux associations qui œuvrent auprès des réfugiés. Un autre homme appelle à soutenir deux dockers arrêtés et convoqués au tribunal suite à des violences qu’ils auraient commises lors de la manifestation du 14 juin au Havre. Une femme aux cheveux noirs coupés au carré appelle au prélèvement d’une nouvelle cotisation sur tous les salaires, qui serait destinée au financement des syndicats « pour qu’ils soient réellement indépendants ».
Ulysse, lui, invite les nuit-deboutistes à se mobiliser pour peser dans la campagne de la présidentielle. « Cet été, on a assisté à un formidable divertissement politique - et j’utilise cette expression de la manière la plus péjorative qui soit - avec le débat sur le burkini, dénonce-t-il. Nuit debout doit chercher à lancer de véritables débats, sains et constructifs même s’ils sont clivants, sur les sujets qui lui importent : les traités de libre-échange, la VIe République, etc. » Le jeune homme qui prend le micro après lui appelle le public à pirater l’élection : « Nous sommes un petit groupe qui réfléchit à des actions possibles, venez nous rejoindre jeudi soir à 20 h sur la place. »
A l’approche de la présidentielle, faire de la politique autrement
Pour Framboise, de la commission Jeux debouts, l’élection présidentielle est effectivement un enjeu pour Nuit debout. « Par exemple, avec la question de la reconnaissance du vote blanc, de la représentation citoyenne autrement que par les partis traditionnels. Le mouvement a vocation à générer un débat constructif sur comment faire de la politique autrement », explique la jeune femme, près de l’exposition de photos organisée par sa commission.

C’est ce qu’espère Fatima, venue jeter un coup d’œil sur les clichés suspendus à une simple cordelette. « Avant Nuit debout, il n’y avait qu’une seule alternative pour 2017 : le Front national. Pour une fois qu’autre chose émerge, il faut absolument y être, juge cette participante occasionnelle au mouvement. Espérons qu’il puisse peser pour qu’on échappe un peu aux polémiques nauséabondes. »
Mais pas question de croire que l’élection présidentielle sera un fil rouge pour les occupants de la place de la République, pas plus que ne l’a réellement été la mobilisation contre la loi travail. « Très vite, Nuit debout a affiché une volonté de convergence des luttes et a formulé une critique globale du système au-delà de cette loi, rappelle Framboise. Et aujourd’hui, les participants ne sont pas plus d’accord sur le positionnement à adopter face à l’échéance électorale, que sur la suite à donner au mouvement : certains veulent garder Nuit debout en l’état, continuer à se réunir sur la place pour discuter, mais d’autres se réunissent depuis cet été en petits groupes pour réfléchir à des améliorations, voire à des transformations du mouvement. »
Cinq soirées déterminantes
A l’accueil, Simon, 35 ans, surveille attentivement la place qui s’assombrit peu à peu. « Ces cinq jours de rassemblement vont être déterminants pour la suite de Nuit debout, déclare-t-il. Cela va permettre de voir si la dynamique est toujours là, si les gens viennent. Ensuite, après dimanche... On n’a rien prévu. Une réunion doit avoir lieu mercredi prochain. Des petits groupes ont déjà un peu réfléchi, mais il faut décider ensemble. »

Pour sa part, le nuit-deboutiste espère que le mouvement arrivera à « dépasser certaines contradictions qui l’empêchent de prendre des décisions ». « C’est important, parce que de nombreuses missions l’attendent : en cette année de présidentielle, le climat est catastrophique, avec beaucoup de racisme et d’intolérance. Nous devons être catalyseurs, continuer à cogiter. » Une pause, et il poursuit, un peu hésitant : « En juillet, après des semaines et des semaines de mobilisation, j’étais épuisé, usé. J’ai eu besoin de me replier sur un petit groupe d’affinités. Mais aujourd’hui, je me sens prêt à retourner au collectif. C’est sûr, Nuit debout n’est pas parfait, il y a plein de choses qui ne vont pas. Mais tout ce qui se passe autour est tellement déprimant qu’on a envie de continuer, parce qu’on ne voit pas ce qu’on peut faire d’autre. »