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Libertés

Outils de contrôle des populations, polices privées… les enjeux de la loi Sécurité globale

Alors que le Sénat a commencé l’examen de la loi Sécurité globale, une émission de radio coanimée par Reporterre et Radio Parleur le 16 mars a mis en relief les enjeux de ce texte qui va multiplier les outils de contrôle des populations et ouvrir en grand la porte à la privatisation de la sécurité.

Retrouvez également notre reportage à la manifestation contre le projet de loi Sécurité globale et un point sur les discussions au Sénat dans l’article « La loi Sécurité globale “mène à la dictature de la pensée” » publié ce mercredi 17 mars 2021.


  • Paris, reportage

Le 16 mars, rassemblés devant le Sénat, les manifestants brandissent drapeaux et pancartes. Ils chantent en chœur des slogans dénonciateurs face à plusieurs dizaines de policiers. À côté de cette foule se trouve un petit chapiteau couleur rose fuchsia. En dessous, à l’abri des giboulées de mars, s’activent les journalistes de Reporterre et Radio Parleur. Ils ont présenté une émission sur le projet de loi Sécurité globale. Un texte, qui soulève de nombreux débats depuis plusieurs mois et commence justement à être examiné par les sénateurs le mardi 16 mars.

« Dans cette loi, il y a une foule de nouvelles dispositions pour toujours mieux surveiller, introduit Violette Voldoire, journaliste chez Radio Parleur. Or, pour surveiller, il faut des humains mais également des technologies ! »

Identification biométrique, analyse instantanée des mouvements de foules : le développement exponentiel de ces nouveaux outils de surveillance high-tech, notamment dans le cadre des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024, doit être questionné : représente-t-il un danger pour la démocratie ?

C’est la question posée aux invités du premier plateau : Natsuko Sasaki, du collectif d’opposition Saccage 2024, Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du net, et Olivier Tesquet, journaliste à Télérama et auteur du livre État d’urgence technologique.

Les JO de Paris, laboratoire des technologies de surveillance

Les Jeux olympiques de Paris 2024 vont être un évènement ultrasécurisé, durant lequel de nombreuses technologies de surveillances vont être utilisées. Reconnaissance faciale, drones, caméras et autres algorithmes seront à disposition des forces de l’ordre pendant cet évènement sportif qui servira de prétexte parfait pour faire accepter l’utilisation de ces « joujoux » — ainsi que les a appelés une des présentatrices de l’émission — à la population. « Ces grands moments sportifs sont toujours des moments de normalisation et de banalisation de la surveillance. On l’a observé aux JO de Pékin, en 2008 et plus récemment à la coupe du monde de foot, en 2018. C’est l’occasion pour les industriels et les gouvernements de déployer et tester ces technologies. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans le livre blanc de la sécurité qui a été publié par le ministère de l’Intérieur et qui mentionne que la reconnaissance faciale devra avoir été éprouvée d’ici les JO 2024 dans l’espace public », estime le journaliste Olivier Tesquet.

Les Jeux de Tokyo, qui auront lieu cet été, semblent déjà être un avant-goût de ce qui se passera dans quatre ans à Paris. Natsuko Sasaki dénonce la stratégie détournée des dirigeants du pays du Soleil levant : « Au début, le comité d’organisation des JO de Tokyo disait que la reconnaissance faciale ne serait utilisée qu’avec les athlètes, les organisateurs et les journalistes. Maintenant, avec la pandémie, le gouvernement japonais cherche à faire accepter cette technologie à tous les spectateurs qui entrent dans les stades. »

Ces technologies, de par leur atteinte au droit à la vie privée, nécessitent un encadrement législatif qui existe déjà selon Arthur Messaud, juriste à La Quadrature du net. « La droite et les régimes autoritaires développent souvent le mythe selon lequel il y aurait une zone grise, un flou juridique, autour de l’utilisation de ces technologies. C’est faux ! Les drones, par exemple, sont encadrés de façon très claire par la loi : ils sont interdits. Si vous voyez un policier en train de faire voler un drone, votre mission en tant que citoyen républicain, c’est de l’arrêter et de l’amener au commissariat parce qu’il a commis un délit passible de quatre ans d’emprisonnement. »

Les policiers avaient pourtant déjà recours aux drones pendant le confinement, mais le faisaient donc de manière illégale, comme l’a confirmé deux fois le Conseil d’État. Seulement, la future loi Sécurité globale entend maintenant légaliser l’utilisation de ces innovations technologiques par les forces de l’ordre, toujours avec le prétexte des JO 2024. Une question se pose alors : qu’en feront-ils après ce grand rassemblement sportif ?

Polices privées, la folie des grandeurs

Au-delà des technologies, la surveillance implique aussi des besoins de main-d’œuvre. Alors quand la police et la gendarmerie ne suffisent plus, l’État délègue une partie de cette mission aux forces de sécurité privées. Au risque de perdre le contrôle sur ce business florissant.

La deuxième partie de l’émission se penche sur ce sujet, avec trois invités : Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Fabien Bottini, enseignant-chercheur en droit public à l’université du Havre, et Anthony Caillé, enquêteur à la police judiciaire et secrétaire national du syndicat de police CGT-Intérieur.

En France, 170.000 personnes travaillent dans la sécurité privée. Si ce secteur n’est pas né d’hier, comme en témoignent les polices internes des grands magasins au XIXe siècle, il a longtemps été peu réglementé. Le meurtre d’un ouvrier de Renault par un agent de sécurité de l’usine en 1972, et celui d’un sans domicile fixe par des vigiles au Forum des Halles en 1981, ont entraîné une précision de la législation avec la loi Loppsi [Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure] de 2011. Aujourd’hui, la future loi Sécurité globale pourrait permettre à ces « policiers » privés d’être mieux armés et d’opérer à des palpations. « Dans le texte, il y a des dispositions qui assainissent ce secteur de sécurité privée, concède Sarah Massoud. Sauf que, sous couvert d’apporter des garanties, on octroie des pouvoirs régaliens à ces agents, qui normalement revenaient à la police classique. »

Pour l’enseignant-chercheur Fabien Bottini, un enjeu économique se cache derrière cette sous-traitance en cascade : « L’objectif officiel de la loi est de faire des acteurs privés un maillon essentiel du continuum de sécurité dans le pays. C’est l’idée qu’il faut coordonner l’action de la police étatique et des agents de sécurité privée pour renforcer la lutte contre l’insécurité dans notre pays. Mais derrière, il y a un objectif officieux qui est de s’appuyer sur les forces du marché de la sécurité privée pour faire un gisement d’économie et une source de revenus pour l’État. » En effet, le succès de ces sociétés apporterait à l’État des entrées d’argent par le biais des charges sociales et lui permettrait de faire des économies dans le budget de fonctionnement de la police en réduisant les effectifs.

En trois ans, l’équivalent de 1.456 temps pleins ont été supprimés parmi les policiers et gendarmes. À côté de ça, on parle d’un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros pour les entreprises du marché de la sécurité privée.

Enfin, cette externalisation de la mission de sécurité n’est pas compatible avec la démocratie, selon le policier Anthony Caillé : « C’est très inquiétant parce que ça rompt avec le modèle d’égalité territoriale, ça rompt avec le modèle républicain qu’on a aujourd’hui et ça met à mal les libertés de notre pays. Si vous habitez dans les beaux quartiers, vous aurez le droit à une police privée très forte. Si vous habitez dans les quartiers défavorisés, vous n’aurez le droit à rien. »

Jusqu’à maintenant, la police était garante de l’égalité de traitement de l’ensemble des citoyens. Avec la loi Sécurité globale, le degré de sécurité des individus pourrait devenir proportionnel à leur niveau de vie respectif.

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