Pacte vert européen : « On ne peut pas se permettre de faire une pause »

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononce son discours annuel sur l'état de l'Union, le 13 septembre 2023. - © AFP / Frederick Florin
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prononce son discours annuel sur l'état de l'Union, le 13 septembre 2023. - © AFP / Frederick Florin
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EuropeFace aux conservateurs, la présidente de la Commission européenne a défendu le 13 septembre le Pacte vert. Une position essentielle à l’approche des élections européennes, analyse Neil Makaroff, expert des politiques climatiques de l’UE.
Neil Makaroff suit les politiques européennes. Il est directeur du groupe de réflexion Strategic Perspectives.
Reporterre — Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a défendu le 13 septembre le Pacte vert européen (Green Deal), est-ce une bonne chose ?
Neil Makaroff — Adopté au lendemain des élections européennes de 2019, le Green Deal doit permettre à l’Europe d’atteindre son objectif de neutralité carbone d’ici 2050. C’est la plus grande série de lois sur le climat à l’échelle mondiale. Avant ce discours, la question qui flottait était : est-ce qu’on arrête le Pacte vert européen, comme de nombreux dirigeants le souhaitent notamment à droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique ? Est-ce qu’on continue ? Sur ce point, Ursula von der Leyen a été très claire, en disant que le Green Deal marquait l’histoire et que sa mise en œuvre allait être au cœur de l’économie européenne.
Elle a aussi montré que le Pacte vert pouvait se transformer en plan industriel. Car certes, un certain nombre de lois très importantes ont été adoptées pour accélérer la transition écologique, mais il faut maintenant se donner les moyens de la produire. L’enjeu est de taille.
À ce jour, la Chine domine très largement la production de panneaux photovoltaïques et de batteries et monte en gamme sur les éoliennes. Les États-Unis rattrapent leur retard et veulent multiplier par dix leur production de batteries et d’énergies renouvelables d’ici 2027. Si l’Europe ne veut pas se retrouver totalement déclassée par rapport à ces puissances et veut sécuriser sa transition, il va falloir construire des usines. D’ailleurs, une des législations du Green Deal, en cours de négociations, mais qui avance bien, fixe un objectif de 40 % de technologies vertes produites sur le sol européen d’ici 2030.
C’est pourquoi la présidente de la Commission a annoncé un certain nombre de mesures pour que l’Europe reste dans la course industrielle. Sa mesure phare est le lancement d’une enquête sur le dumping chinois sur les véhicules électriques. Elle a aussi évoqué un soutien à l’industrie éolienne industrielle, en grande difficulté actuellement. Mais c’est à peu près tout. Il n’y a pas eu d’annonce sur le volet pourtant très attendu de l’investissement. C’est dangereux, car si la Chine et les États-Unis arrivent à de tels résultats, c’est grâce à des centaines de milliards d’investissements.
Où en est le Pacte vert européen ?
Un certain nombre de législations du Pacte vert ont déjà été adoptées et sont entrées dans une phase de mise en œuvre par les États membres : la fin de la vente des véhicules diesel, essence et hybrides en 2035, le doublement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, l’application du principe pollueur-payeur à l’industrie, à l’aviation et au maritime, etc.
Cela fait de l’Europe un des continents les plus avancés en termes de transition, avec plus de la moitié de l’électricité issue des énergies renouvelables d’ici 2030, 29 millions de véhicules électriques en circulation d’ici 2030, des chaudières au fioul et au gaz remplacées par des pompes à chaleur.
Mais à l’approche des élections européennes de 2024, tout un volet du Green Deal est remis en question, notamment en ce qui concerne l’agriculture, la protection des espaces naturels et la rénovation des logements. La droite européenne du PPE, dont est issue Ursula von der Leyen, monte au créneau avec un discours anticlimat affirmé. Elle est allée jusqu’à faire alliance avec l’extrême droite de Marine Le Pen et Giorgia Meloni [Première ministre de l’Italie]. C’est pourquoi il était si important que la présidente de la Commission européenne défende le Pacte vert lors de son discours sur l’état de l’Union. C’est une très bonne nouvelle.
La polarisation était très visible dans les réactions à ce discours. La gauche de l’échiquier politique, du groupe où siège La France insoumise jusqu’au centre du groupe Renaissance en passant par les Verts et les socialistes, a réaffirmé son soutien au Green Deal et sa volonté de le poursuivre pendant la prochaine mandature. C’est extrêmement important, car cet arc peut représenter une majorité alternative pour la transition écologique au Parlement européen.
Mais de l’autre côté de l’échiquier, une alliance se renforce de plus en plus qui va de Giorgia Meloni au patron de la droite européenne Manfred Weber, rejointe par quelques libéraux, notamment des libéraux allemands du centre, qui revendiquent fortement une politique anti-climat. Selon eux, le Green Deal provoquerait de la casse sociale, serait trop coûteux… Un discours populiste et très dangereux, mais caractéristique de la vague anti-climat ultraconservatrice qui se structure en vue des élections européennes.
Autre sujet d’inquiétude, la candidature du Néerlandais Wopke Hoekstra, qui a notamment travaillé pour le géant pétrolier Shell, au poste de commissaire européen chargé du climat…
C’est un très mauvais signal, surtout à la veille de la COP28 où doit être discutée la sortie des énergies fossiles à l’échelle mondiale. Pour compenser, il va falloir que les députés européens, qui vont l’auditionner à partir du 2 octobre, décrochent de vrais engagements de sa part, notamment sur une trajectoire de sortie des énergies fossiles.
Quels peuvent être les effets des élections européennes sur la poursuite du Pacte vert européen ?
Ces élections arrivent dans un contexte très difficile, alors que les prix de l’énergie pourraient remonter à cause de la guerre en Ukraine qui se poursuit et des premiers effets de la transition écologique au niveau européen. Ce sera un moment décisif pour voir si les Européens décident de poursuivre le Pacte vert ou de suivre la droite européenne. Le problème, c’est qu’on ne peut pas se permettre de faire une pause.
L’Europe doit mener cette transition pour des raisons climatiques, mais aussi économiques et de souveraineté : rester dans la course face à la Chine et aux États-Unis, s’affranchir des importations d’énergies fossiles qui coûtent très cher. Si elle est bien faite, la transition est un atout, y compris pour les ménages les plus précaires qui pourront réduire leurs factures énergétiques.