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Transports

Pas de médecins ? Nevers affrète un avion

L'acheminement de médecins par avion à Nevers a débuté le 26 janvier 2023.

Le maire de la préfecture de la Nièvre lance une liaison aérienne pour lutter contre la désertification médicale de son territoire. Avec l’objectif à terme de développer les vols d’affaires.

Un pont aérien pour transporter des médecins : non, il ne s’agit pas d’une opération organisée dans un pays en guerre, mais bien d’une initiative lancée le 26 janvier en France. À Nevers, préfecture de la Nièvre, un avion de la compagnie Fly7 décollera désormais chaque jeudi depuis l’aéroport de Dijon-Longvic pour acheminer chirurgiens, pneumologues ou encore cardiologues vers le centre hospitalier de cette ville de 33 000 habitants.
 
Depuis plusieurs semaines, ce projet lancé par le maire de Nevers, Denis Thuriot (LREM), fait du bruit dans les médias qui lui ont donné le nom de « flying doctors » (en référence au Royal Flying Doctor Service, organisation de secours en Australie qui apporte une aide médicale aux populations isolées du pays). Les édiles des déserts médicaux de France n’ont-ils plus d’autres solutions que d’avoir recours à des avions pour résoudre les difficultés à recruter des soignants sur leur territoire ?

Désert médical

 
C’est ce qu’estime Denis Thuriot : « L’hôpital de Nevers est l’hôpital de France le plus éloigné de son CHU [le centre hospitalier universitaire de Dijon est situé à 190 km]. Les médecins dijonnais ne sont pas contre venir à Nevers, mais clairement le temps pour couvrir la distance est trop long : 2 h 18 en train et près de 3 heures en voiture. C’est un vrai frein. » En avion, le temps de trajet se réduit à 35 min, et l’aéroport se situe à 10 minutes en navette de l’hôpital neversois.
 
Actuellement, face au manque d’effectifs, l’hôpital de Nevers recourt largement aux médecins intérimaires, une vingtaine venant déjà chaque mois du CHU de Dijon, en anesthésie, médecine nucléaire, oncologie… Mais l’établissement est également contraint de faire appel à des vacataires, qui coûtent très cher, jusqu’à 2 000 ou 3 000 euros la vacation de douze heures pour certains. Des « mercenaires », selon les termes employés par M. Thuriot. « Le coût annuel d’un praticien intérimaire, de l’ordre de 200 000 euros chargé, est plus élevé que celui d’un praticien titulaire qui s’établit à hauteur de 175 000 euros par an », notait la Cour des comptes dans un rapport consacré à l’établissement neversois, publié en novembre dernier. Le recours à l’intérim médical coûterait chaque année en moyenne 5,2 millions d’euros à l’établissement.

« Un tiers des Nivernais n’a pas de médecin traitant. » Wikimedia Commons/CC BY 2.0/sybarite48

Le maire a donc fait ses comptes : pour lui, l’acheminement de médecins par avion va permettre de moins recourir à « ces mercenaires » et de faire des économies. Le coût du vol aller-retour, à la charge de l’hôpital, serait de 5 200 euros, soit environ 670 euros par passager, l’avion contenant huit places. Un vol aller-retour hebdomadaire est prévu... pour le moment. 

« Cette liaison aérienne ne permettra pas de lutter contre la désertification médicale de notre département, soutient Alexis Réjasse, membre d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) 58. Cette solution n’est ni durable ni soutenable. Bien sûr, la santé n’a pas de prix, et je n’oppose pas le CO2 à la santé. Mais je ne suis pas certain que cette liaison fonctionne. » Il pointe par exemple les aléas climatiques qui pourraient empêcher certains vols. Surtout, il estime qu’« on déshabille le CHU de Dijon ».

Autre bémol : ce sont surtout des médecins spécialistes qui utiliseront cette liaison. « Or, on manque cruellement de généralistes. Actuellement un tiers des Nivernais n’a pas de médecin traitant. Il faut plutôt inciter les soignants à s’installer ici. » Cette liaison aérienne doit justement permettre de mieux faire connaître la ville aux soignants, assure Denis Thuriot, et les inciter à y rester.

Un nouveau hangar plus grand et un radar pour les vols commerciaux

Pour l’heure, l’objectif de la municipalité est clairement de monter en puissance et de développer l’aéroport de Nevers. « Je suis à la recherche d’autres personnes intéressées par ce vol. Ce pourrait être des médecins libéraux avec lesquels il faudrait définir le tarif du trajet évidemment. Mais la ligne peut être ouverte à tous. Je pense notamment aux collectivités ou aux responsables d’entreprises. » Un moyen de faire baisser les tarifs, quitte à opter pour un avion plus grand. Dans l’idéal, l’élu aimerait qu’une compagnie s’installe à Nevers, ce qui permettrait d’être « plus souple, et d’avoir plusieurs vols par semaine en fonction de la demande ». Au journal La Croix, il indiquait anticiper déjà la création d’une liaison avec Lourdes, ville jumelée avec Nevers.
 
Le développement de l’aéroport n’est pas un projet nouveau. En 2019, 1,5 million d’euros ont été budgétés pour le moderniser, comme le rapportaient nos confrères du Journal du Centre à l’époque. Un nouveau hangar a été construit en 2021 afin d’accueillir un plus grand nombre d’avions et des appareils un peu plus hauts. Enfin, un nouveau radar a été installé sur une piste pour maintenir des vols commerciaux, comme décrit dans la nouvelle version signée en 2022 du Pacte de développement territorial pour la Nièvre, l’État s’engageant à « soutenir la modernisation des équipements de l’aéroport ».

Fermeture de la ligne de train Nevers-Dijon

« La redynamisation de notre territoire ne passe pas par l’aéroport », objecte l’écologiste Alexis Réjasse, qui s’interroge sur ce que la ville met réellement en place pour attirer de potentiels soignants, notamment en matière d’offre culturelle ou d’éducation. Il dénonce une vision de redynamisation de la Nièvre trop centrée sur le seul monde économique.

Cette nouvelle ligne aérienne tombe en tout cas à point nommé. En raison de la réfection complète des rails de la ligne ferroviaire Dijon-Nevers, plus aucun train ne circulera entre juillet 2023 et février 2024. Des chefs d’entreprises pourraient donc être encore plus intéressés, espère le maire. « Il n’y avait aucune possibilité d’éviter cette fermeture. Le surcoût aurait été de 40 % et les travaux se seraient étalés sur deux ans », explique l’édile.

Ce que contestent les Verts et le parti communiste qui estiment que des alternatives existent pour éviter cette fermeture totale. « Le maire ne s’est pas beaucoup battu pour éviter cette décision. Il était possible de réaliser les travaux de nuit, même si cela avait un surcoût, ou bien de contourner les travaux qui s’effectuent sur de petits tronçons », considère Alexis Réjasse. Ce dernier regrette par ailleurs que cette rénovation ne s’accompagne pas d’une électrification de cette ligne qui traverse une partie du Morvan.

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