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Quotidien

Pendant la grève, le vélo est roi mais les pistes cyclables saturent

En cette période de grèves, les déplacements à vélo explosent. Jean-Sébastien Catier, de l’association Paris en selle, se réjouit du succès de cet « outil magique pour la qualité de vie en ville », et milite pour un « réseau de pistes larges, continues et sécurisées » en Île-de-France.

L’équipe parisienne de Reporterre compte plusieurs « vélotaffeuses » et « vélotaffeurs », qui pédalent tous les matins pour se rendre à la rédaction. Depuis le début du mouvement social contre la réforme des retraites, les observations concordent : embouteillages sur les pistes cyclables, dizaines de vélos à l’arrêt devant des feux rouges habituellement déserts, arceaux de stationnement pleins à craquer… Alors que huit lignes de métro étaient encore totalement à l’arrêt et que seulement 30 % des liaisons en bus étaient assurées ce mercredi 18 décembre, de nombreuses Parisiennes et Parisiens ont opté pour la petite reine pour leurs déplacements quotidien. Les premiers chiffres dévoilés par la mairie de Paris donnent le tournis : deux fois plus de vélos et de trottinettes sur les pistes cyclables, presque autant de vélos (11.612) que de voitures (12.886) boulevard Voltaire le 13 décembre, record absolu de passages sur la piste de la rue de Rivoli (100.673, contre 74.905 en octobre 2019) !

Selon la mairie, il y a deux fois plus de vélos et de trottinettes sur les pistes cyclables.

Cet engouement laisse-t-il présager une mutation profonde des déplacements à Paris ? Le réseau cyclable parisien est-il dimensionné pour répondre à un tel engouement ? Reporterre a posé la question à Jean-Sébastien Catier, porte-parole de l’association Paris en selle.

Reporterre — Le réseau cyclable parisien vous semble-t-il dimensionné pour faire face au doublement du nombre de cyclistes depuis le début du mouvement social ?

Jean-Sébastien Catier — La grève des transports a entraîné la saturation des pistes cyclables, notamment aux heures de pointe le matin et le soir. Celle de la rue de Rivoli, qui est un bon étalon puisqu’elle est la plus récente, a une taille suffisante. Ces derniers jours, boulevard Voltaire, ont circulé sur le boulevard plus de vélos que de voitures, alors que seulement 10 % de l’espace est consacré aux vélos, contre 45 % pour la voiture : cela montre que le vélo est très efficace en termes d’usage de l’espace et que les pistes sont bien dimensionnées.

Ce qui manque pour doubler le nombre de cyclistes hors périodes de grève, c’est des pistes cyclables partout. Notre principale proposition est de développer un réseau de pistes cyclables sur un modèle proche de celui de la rue de Rivoli, large et continu, qui couvre tout Paris pour qu’on puisse aller d’un bout à l’autre de la ville en vélo grâce à un itinéraire bien identifié, confortable et sécurisé. Aujourd’hui, il n’y a aucune infrastructure ou presque dans certains quartiers, notamment dans l’Ouest parisien – les XVIe et XVIIe arrondissements – et dans l’Est – le XXe arrondissement. Il y a aussi de gros trous dans le réseau actuel et des pistes anciennes, étroites, comme la piste du boulevard Magenta, de mauvaise réputation quoique extrêmement empruntée. Il faudrait améliorer et élargir les pistes actuelles pour qu’elles puissent accueillir un flux plus important.

La gestion des carrefours est encore défaillante. Ils sont encombrés de voitures qui forcent le passage et créent des bouchons. Quand il n’y a qu’un cycliste qui veut passer, il se débrouille ; quand il y en a trente à chaque feu, c’est plus compliqué. Il y a encore des choses à faire pour éviter que des gens soient découragés de se mettre au vélo pour cause d’itinéraires cyclables bien pensés mais avec encore deux ou trois carrefours « points noirs » au milieu.


Avec la grève des transports, les stations de Vélib sont également prises d’assaut...

De toute manière, un système comme Vélib souffrira toujours en temps de grève, parce qu’il est sera sur-sollicité par les utilisateurs. Si l’on double le nombre d’utilisateurs, les capacités de maintenance et de réapprovisionnement n’augmentant pas, le taux de disponibilité et de vélos en bon état diminue drastiquement. Comme le système était déjà bien dégradé avant la grève par la mauvaise prestation rendue par le prestataire, Smovengo, Vélib ne fonctionne malheureusement plus très bien.

Le système des Vélib était déjà bien dégradé avant la grève.

Le chiffre circule d’une augmentation à Paris de 40 % du nombre d’accidents de la route impliquant des cyclistes à Paris, depuis le début du mouvement social. Comment l’expliquez-vous ?

Je suis effaré par l’emballement autour de ce chiffre, qui mélange accidents impliquant des vélos, des trottinettes et des scooters. On lit aussi que le nombre d’interventions des pompiers pour des accidents impliquant des vélos a augmenté d’un tiers en décembre 2019 par rapport à décembre 2018. Or, la mairie de Paris a sorti des chiffres il y a quelques semaines, montrant que le nombre de cyclistes avait augmenté de 50 %. Augmentation à laquelle il faut appliquer le doublement lié à la grève. On a donc environ trois fois plus de cyclistes en circulation en décembre 2019 par rapport à décembre 2018 ! L’augmentation de 33 % des accidents sur cette même période révèle donc une baisse relative du nombre d’accidents, autrement dit une baisse du taux d’accident.

Cette baisse est rassurante et n’est pas surprenante. Plus il y a de cyclistes en circulation, moins le vélo est dangereux, même si les nouveaux cyclistes ne sont pas habitués, ont de vieux vélos en mauvais état, si les conditions météo sont mauvaises avec de la pluie et des feuilles mortes qui favorisent les glissades. Pourquoi ? Si deux cyclistes traversent un carrefour, des voitures qui forcent le passage peuvent ne pas les voir. S’il y en a trente, les voitures les voient beaucoup mieux, ne peuvent pas les ignorer, ne peuvent pas forcer le passage.

Le vélo n’est pas dangereux. Le nombre d’accidents des cyclistes est beaucoup moins élevé que le nombre d’accidents des deux-roues ou même des piétons.


Où en est le plan vélo de la mairie de Paris ?

Le plan vélo a été annoncé en 2015. L’objectif, qui était de passer de 700 à 1.400 kilomètres de pistes cyclables, a été réduit à 1.000 kilomètres. Il a eu beaucoup de retard à l’allumage, avant une précipitation ces deux dernières années. Paris en selle publie régulièrement un observatoire du plan vélo, sur le site planvelo.paris : à ce jour, on est un tout petit peu au-dessus de 50 % de réalisation.

Mais pour nous, le plan vélo est un véritable tournant. La réalisation de belles pistes dans des endroits symboliques comme la rue de Rivoli ou les Champs-Élysées a permis d’affirmer que le vélo a sa place dans l’espace public. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. On est passé d’une pratique minoritaire, presque militante, à une pratique en très forte croissance – le vélo est le seul moyen de transport à croître de 50 % par an à Paris. La politique menée par la mairie de Paris ces cinq dernière années y contribue significativement. Parce que développer une piste comme celle de la rue de Rivoli produit deux choses : cela crée de nouveaux cyclistes – des usagers de la ligne 1 du métro essaient le vélo une fois, deux fois et s’y mettent définitivement – et cela affirme la place du vélo vis-à-vis des autres usagers – piétons, automobilistes, etc.


Qu’en est-il du plan en matière de stationnement ?

Le stationnement fait partie des revendications de notre association pour les élections municipales. Le premier frein à la pratique du vélo est le sentiment d’insécurité, auquel on peut répondre en construisant des infrastructures cyclables ; le deuxième est la difficulté à stationner son vélo chez soi, au travail et à destination. Si vous achetez un vélo électrique, vous n’allez pas le laisser dans la rue la nuit ; si vous n’avez pas de solution de stationnement, vous renoncerez à l’achat ou vous ne l’utiliserez pas.

L’objectif de la ville de 10.000 places de stationnement est rempli et largement dépassé, depuis longtemps. Mais cet objectif était largement insuffisant, puisque cela représente seulement 0,5 % des Parisiens. La ville continue les installations, malgré des soucis d’approvisionnement en arceaux, des problèmes très terre-à-terre. Dès qu’une rue même de petite taille est réaménagée, des arceaux sont installés par-ci-par-là. Mais quand on rajoute quinze vélos dans une rue en période de grève des transports, les endroits où le stationnement manque deviennent flagrants. Dès lors que, dans une rue, il y a des vélos à tous les poteaux des panneaux de signalisation et les réverbères, c’est qu’il y a un manque de stationnement dans le coin.

L’objectif de la ville de 10.000 places de stationnement était insuffisant.

C’est plus sur l’expérimentation et le déploiement du stationnement sécurisé, par exemple de vélo-boxes – boîte où mettre des vélos au lieu d’une place de stationnement pour voiture –, que la mairie a pris du retard. De grandes stations de stationnement Gare de Lyon et Gare Montparnasse étaient aussi prévues, mais pour l’instant on n’en a pas encore vu la couleur. Il faut que la SNCF et les opérateurs qui gèrent les gares investissent dans des stations vélo de très grande taille. À Utrecht, une ville des Pays-Bas de 350.000 habitants à une demi-heure d’Amsterdam, la station de vélo de la gare propose 12.000 places sécurisées. En comparaison, le projet de la Gare du Nord prévoit 2.000 places, alors qu’il s’agit de la première gare d’Europe !


Le plan vélo table sur un triplement de la part modale du vélo. Est-ce un objectif suffisamment ambitieux ?

Aujourd’hui, la part modale du vélo – la part des déplacements domicile-travail réalisés à vélo – serait comprise entre 5 et 10 %, derrière la marche, les transports en commun et la voiture (13 %). La mairie a pour objectif de doubler cette part modale. La part modale du vélo dans des villes comme Copenhague et Amsterdam est comprise entre 40 à 50 %. Paris pourrait très bien, dans quelques années, atteindre 20 à 25 % de part modale. D’où nos revendications pour un réseau de pistes larges, continues et sécurisées, qu’on appellerait le vélopolitain à Paris et le RER V en banlieue. Cela représente des investissements relativement bon marché – 200 à 250.000 millions pour un réseau parisien, à comparer aux 35 milliards prévus pour le Grand Paris Express.

En amont de la grève, nous avions communiqué sur le fait que le vélo pouvait être une solution, même pour des transports un peu longs. Nous avons répondu à des questions sur les itinéraires à prendre, les réparateurs disponibles, les Vélib qui ne fonctionnent pas, où acheter un vélo d’occasion pour le lendemain. Des associations en banlieue parisienne ont organisé des départs groupés pour des gens qui n’avaient pas l’habitude de venir à Paris depuis Châtillon, Fontenay-aux-Roses voire plus loin. Nous observons les chiffres de la mairie de Paris sur le trafic sur les pistes cyclables, qui explose depuis le début de la grève des transports, avec l’espoir qu’une partie de ces nouveaux cyclistes conservera le vélo comme mode de transport quotidien après la grève.

Les bénéfices seraient immenses, pour les cyclistes comme pour les habitants. Se déplacer chaque jour à vélo est bon marché, pratique, bon pour la santé. Je ne parle même pas des effets bénéfique sur le stress, sur l’autonomie des adolescents... Le premier jour du mouvement social, où les rues de Paris étaient quasiment désertées par les automobiles, a confirmé que si on enlevait toutes les voitures transportant une personne seule sur moins de dix kilomètres, on gagnerait énormément d’espace, avec une réduction du bruit et de la pollution. Dans les petites rues, on retrouverait de la place pour les enfants, les terrasses, la vie de quartier. Le vélo est vraiment un outil magique pour la qualité de vie en ville.

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