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Pesticides

Pesticides dans le vin : le combat d’une lanceuse d’alerte réduite au silence

Un tracteur pulvérisant un produit phytosanitaire sur des vignes, en 2022.

Condamnées à verser 143 000 euros et à garder le silence pour avoir publié une étude sur les pesticides dans les vins labellisés, une association et sa porte-parole ont réuni la somme et obtenu le droit de faire appel.

« Je ne peux pas vous parler des produits pulvérisés dans les vignes labellisées Haute valeur environnementale (HVE), mais le combat juridique peut reprendre. » Deux ans après sa condamnation par le tribunal de Libourne (Gironde) pour dénigrement, la militante Valérie Murat desserre un peu le bâillon. Au prix d’une longue campagne de levée de fonds, elle a pu réunir avec l’association Alerte aux toxiques — dont elle est porte-parole — les 143 000 euros nécessaires pour faire appel de cette décision.

C’est en 2012, suite à la mort de son père d’un cancer reconnu comme maladie professionnelle liée à son activité de viticulteur, que Valérie Murat s’était lancée dans la dénonciation de l’épandage de pesticides dans les vignobles. En 2020, l’association Alerte aux toxiques, dont elle est la figure de proue, s’est attaquée au label HVE, censé garantir des pratiques agricoles vertueuses pour les écosystèmes. Il avait publié une analyse relevant dans vingt-deux vins labellisés (dont dix-neuf bordelais) des traces de pesticides de synthèse.

500 euros par jour

Accompagné de vingt-cinq coopératives et châteaux, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a alors attaqué l’association et sa porte-parole devant le tribunal de Libourne. Ce dernier a condamnées celles-ci en 2021 à une interdiction de prise de parole publique à propos de l’étude sur le HVE, assortie d’un versement de 125 000 euros de dommages et intérêts et près de 18 000 euros de remboursement de frais de justice et de publication.

Valérie Murat et le chèque symbolique des 125 000 euros de dommages et intérêts. © Sylvain Lapoix / Reporterre

« Une sanction extrêmement rigoureuse, souligne Maître Bruno Bouyer, avocat de la défense. Quand un avocat demande 100 euros, c’est pour obtenir 60 ou 70 euros. Là, la juge a accordé la somme exacte requise. » Au dépôt de l’appel, le CIVB et ses coplaignants avaient saisi le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Bordeaux et obtenu que Valérie Murat et Alerte aux toxiques soient contraints de garder le silence et réunir la somme pour pouvoir contester le jugement.

Ont alors commencé une campagne de financement participatif et une course contre la montre : si le paiement n’était pas effectué au 10 novembre 2023, l’appel serait considéré comme « périmé ». « J’ai écrit à LFI [La France insoumise], aux écolos, au PS [Parti socialiste]… Je passais mes journées au téléphone », se souvient Valérie Murat, qui a réuni le soutien de nombreux parlementaires et associations : 2 852 dons au total.

En parallèle de quoi, la militante a dû faire le ménage dans ses publications : blog suspendu, réseaux sociaux fermés... Le jugement de 2021 a condamné l’association à 500 euros d’amende par jour si la moindre mention de l’affaire des pesticides dans les vins HVE était constatée. « Dans la lettre de mise en demeure, le CIVB avait cité toutes sortes de médias, jusqu’à des podcasts très peu suivis, la chaîne YouTube d’un ami… Tout ça était considéré comme de la “promotion” de notre étude », explique Valérie Murat.

Liberté d’expression

L’outil juridique utilisé soulève de lourdes questions : le CIVB et ses coplaignants mènent une action pour « dénigrement », qui vise à régler des conflits dans le cadre de la concurrence déloyale. Une accusation ne prévoyant pas les limites posées à la diffamation pour respecter la liberté d’expression. « C’est le cœur du problème, dit Me Bouyer. La diffamation est très encadrée pour garantir le respect de la liberté d’expression. Notamment par l’exception de vérité qui permet la relaxe si la défense prouve la véracité des faits. Le dénigrement ne répond à aucune de ces règles. »

L’usage n’est pas neuf : c’est sur cette base que la Fédération des charcutiers avait obtenu la condamnation de l’application Yuka en 2021, pour avoir renvoyé vers une pétition contre les additifs nitrités. Yuka avait finalement gagné son procès en appel.

Pour Valérie Murat et Alerte aux toxiques, l’objectif de l’appel est de contester la condamnation pour dénigrement, notamment en arguant qu’il s’agit d’une affaire de diffamation. Elles pensent pouvoir le porter avant fin 2024 devant la cour d’appel de Bordeaux. D’ici là, elles devront garder le silence sur le fond pour espérer sauver la forme.

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