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Pesticides

Pesticides : décision surprise du tribunal de Foix, il demande à la Cour européenne de trancher

Surprise ! Le tribunal de Foix, en Ariège, n’a pas condamné les Faucheurs volontaires accusés de dégradation de bidons d’herbicides, il a demandé à la Cour européenne de statuer sur la conformité de la réglementation européenne d’évaluation des pesticides avec le principe de précaution. Une première qui fera jurisprudence dans l’Union.

Le 21 septembre 2016 et le 1er mars 2017, en Ariège, des Faucheurs volontaires ont détérioré des bidons d’herbicides à base de glyphosate dans les magasins Espace émeraude (Saint-Jean-du-Falga), M. Bricolage (Pamiers) et Bricomarché (Foix). Ils ont en effet enduit de peinture les bidons pour les rendre invendables. S’ils reconnaissent qu’il s’agit d’une action illégale, ils la considèrent comme légitime et qualifient ces dégradations d’actions de désobéissance civile. Et, de façon indirecte, le juge leur a donné raison, en demandant le 12 octobre à la Cour européenne de déterminer si le principe de précaution doit s’appliquer en la matière.

Reprenons le débat qui s’est développé durant le procès. Les responsables des magasins ont porté plainte pour « destruction de biens d’autrui en réunion » et une vingtaine de militants ont été jugés à Foix, les 17 et 18 août. Ils encouraient jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Ce procès a été l’occasion de souligner que l’utilisation des herbicides contenant du glyphosate et d’autres « coformulants » avaient des impacts sur l’environnement et la santé humaine. Le glyphosate a été classé « cancérigène probable » par l’Organisation mondiale de la santé. L’avocat de la défense, Me Guillaume Tumerelle, a rappelé que les méthodes d’évaluation de ces produits étaient « dépassées ». Les Faucheurs considèrent en effet problématique que seul le glyphosate soit évalué, alors qu’il ne représente qu’une portion - 30 %, a affirmé Me Tumerelle - de la composition du Roundup. Les coformulants posent eux aussi des questions sanitaires et environnementales. Les Faucheurs estiment donc qu’il faut revoir la réglementation, tant française qu’européenne, qui « ne respecte pas le principe de précaution, notion pourtant inscrite dans le droit français et le droit européen ».

Un nouveau pavé dans la mare des « produits phytosanitaires »

Ainsi, Me Tumerelle a plaidé l’annulation de l’arrêté interministériel du 6 septembre 1994 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques. Il a de surcroît demandé que le tribunal pose quatre questions préjudicielles à la Cour européenne de justice sur la conformité du règlement européen 1107/2009 — qui concerne la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques — avec le principe de précaution. Ces questions portent sur :
. la validité des méthodes d’évaluation des pesticides (à base de glyphosate ou autres) ;
. le fait que seul le principe actif soit analysé ;
. l’absence d’analyse de « l’effet cocktail » que produit l’association de plusieurs molécules et qui démultiplie l’effet toxique d’un produit pesticide ;
. l’absence d’analyses suffisantes du produit fini tel que commercialisé.

Me Tumerelle souhaite aussi connaître l’avis de la Cour européenne : « le principe de précaution et l’impartialité de l’autorisation de commercialisation sont-ils assurés lorsque les tests, analyses et évaluations nécessaires à l’instruction du dossier sont réalisés par les seuls pétitionnaires évidemment partiaux dans leur présentation, sans aucune contre-analyse indépendante, et en ne publiant pas leurs rapports de demandes d’autorisation sous couvert de secret industriel ? »

Première surprise du procès : la procureure, Karine Bouisset, a suivi l’avocat de la défense et a requis du président du tribunal correctionnel de Foix qu’il pose quatre questions préjudicielles à la Cour de l’Union européenne. Mais elle a demandé de rejeter l’exception de nullité de l’arrêté.

Deuxième surprise : le président du tribunal, Hervé Barrié, a, le 12 octobre 2017, décidé de suivre l’avis de Me Tumerelle et du Parquet. La question de l’évaluation des herbicides sera donc confiée prochainement à la Justice européenne. Celle-ci devra donc émettre un avis juridique d’ici 12 à 18 mois. Le procès n’est donc pas clos, il est juste suspendu : les prévenus le restent, mais les juges devront tenir compte de l’avis européen. Autrement dit, le fait de poser des questions préjudicielles n’exonère pas d’un procès national ni ne vaut relaxe. Et cette jurisprudence sera valable pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

Cette décision historique du tribunal correctionnel de Foix est un nouveau pavé dans la mare des « produits phytosanitaires » : elle met en question leurs évaluations et pointe les carences de la réglementation française et européenne. Cette décision, enfin, ne s’applique pas au seul glyphosate, mais à tous les pesticides qui sont commercialisés sur la base de la même réglementation.

Deux autres procès auront lieu pour des actions similaires : le 18 octobre 2017, le tribunal de Béziers (Hérault) jugera douze Faucheurs et le 20 octobre, le tribunal de Guingamp (Côtes-d’Armor) en jugera sept.

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