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ReportageÉnergie

Près de Fontainebleau, les habitants s’opposent à de nouveaux puits de pétrole

Le projet d’extension d’une exploitation pétrolière au beau milieu de la campagne seine-et-marnaise suscite l’opposition des habitants, inquiets des nuisances de voisinage ainsi que de certains élus parisiens et de militants écologistes, en raison des risques de pollution des nappes phréatiques.

  • Nonville (Seine-et-Marne), reportage

Au creux de la vallée du Loing, à la lisière de la forêt de Fontainebleau, dans la petite commune de Nonville, des puits de pétrole n’en finissent plus de susciter le ras-le-bol des habitants. Depuis 2009, la petite société française Bridgeoil y exploite deux puits extracteurs, et projette de s’agrandir en réalisant entre un et dix forages supplémentaires d’ici 2035, date de la fin de sa concession, pour un investissement estimé à trente-cinq millions d’euros. Ici, pas d’impressionnantes machines, comme on en voit dans les films étasuniens, mais une discrète installation, que l’on pourrait prendre de loin pour une déchetterie. À ses abords, les chevaux du centre équestre paissent sous les yeux des habitants, qui pour certains habitent à peine à trente mètres du site.

« En 2012, quand la société a présenté son projet d’implantation aussi proche des maisons, nous nous y sommes opposés. Mais la préfecture n’a rien voulu entendre. Aujourd’hui, je m’oppose de la même façon à ce projet d’extension », dit Gérard Balland, le maire de Nonville, bon connaisseur du sujet pour avoir lui-même travaillé dans le secteur pétrolier. « Les odeurs qui se dégagent du site sont insupportables, malgré les efforts de Bridgeoil pour réduire les nuisances. Des enfants qui montaient à cheval sont tombés dans les pommes et les effluves de sulfure d’hydrogène arrivent parfois jusqu’à la cour de l’école du village. » Pas spécialement écologiste, le premier magistrat s’inquiète surtout des nuisances pour le voisinage de cette possible extension.

Gérard Balland, maire de Nonville, est prêt à repartir mener le combat judiciaire.

En plus des senteurs d’œuf pourri, l’agrandissement de Bridgeoil engendrerait une augmentation du ballet des camions-citernes venant récupérer l’huile pour la transporter jusqu’à la raffinerie de Grandpuits, située elle aussi en Seine-et-Marne. Jusqu’à dix camions par semaine traversant le bourg, faute d’accès par le plus grand axe routier. De 2020 à 2040, la production attendue à Nonville est de 272.000 tonnes, soit 13.600 tonnes par an, à en croire la mission régionale d’autorité environnementale, qui a émis un avis favorable au projet, à la condition que les nuisances locales soient réduites.

Le projet de Bridgeoil inquiète jusque dans la capitale. Dan Lert, le directeur d’Eau de Paris, également adjoint d’Anne Hidalgo chargé de la transition écologique, s’y est publiquement opposé en raison des risques de pollution des nappes phréatiques toutes proches et qui alimentent environ 300.000 Parisiens en eau potable. « Une fuite d’hydrocarbures lors du forage ou de l’exploitation des puits condamnerait les sources locales (Villemer à 2,5 km et Villeron à 1,5 km) pour une période qui peut être longue », alertait l’élu fin octobre, quelques semaines après la fin de l’enquête publique relative au projet de Bridgeoil. « Énormément de personnes sont venues s’exprimer contre le projet, en parallèle d’une pétition qui a recueilli pas moins de 70.000 signatures », commente Fabiola Saustendal, présidente de l’association Environnement bocage gâtinais. « On ne peut pas prendre de risques aussi inconsidérés pour la réalisation d’un projet à la rentabilité plus que douteuse, et alors que le pays a signé l’accord de Paris sur le climat », poursuit la sémillante retraitée, garée devant la concession de Bridgeoil, en bordure d’un bois.

Contrairement aux odeurs qu’ils provoquent, les puits sont plutôt discrets.

Son association attend désormais les conclusions du commissaire-enquêteur, qui doivent arriver d’ici la fin décembre, avant que le préfet accorde ou non le droit à Bridgeoil de s’agrandir. En 2017, un projet d’extension vers Darvault, une commune au sud de Nonville, avait été refusé. Mais, cette fois, elle a moins d’espoir, car les travaux sont prévus sur un terrain dont Bridgeoil a déjà la jouissance. Les puits, d’abord forés à la verticale, courent ensuite sur un ou deux kilomètres à l’horizontale dans le sous-sol. « L’espoir de certains est qu’avec la fermeture annoncée de Grandpuits, le projet ne soit plus rentable, et que Bridgeoil le laisse tomber », dit Fabiola Saustendal.

Pour tenter de rassurer les riverains, la société a présenté une étude d’impact très dense, où elle assure que pour protéger les nappes phréatiques, « à chaque phase de forage, un tubage en acier sera mis en place et cimenté afin d’isoler totalement les couches traversées et de permettre l’approfondissement du forage en toute sécurité, ainsi qu’un tubage de surface pour isoler les réservoirs d’eau douce exploités par l’agriculture (irrigation) ». Bridgeoil a également affirmé aux habitants qu’il n’était pas question de forer dix puits d’un seul coup mais d’abord un seul pour pallier le déclin des deux déjà en place, dont le rendement baisse année après année.

Pour Fabiola Saustendal, la rentabilité douteuse du projet ne justifie pas les risques environnementaux encourus.

Concernant l’augmentation du trafic routier, la société a pour projet de construire un oléoduc qui transporterait les hydrocarbures jusqu’à la nationale, en traversant les terres agricoles, dont certaines appartiennent à Marc Plouvier, un éleveur et céréalier bio de la région, dont le magasin où il vend fruits, légumes et volailles locales jouxterait l’éventuelle future plateforme. « Ils nous avaient parlé, en plus de l’oléoduc pétrolier, d’un autre qui acheminerait de l’eau chaude pour fournir ma ferme ainsi qu’un lotissement voisin. C’est resté à l’état d’hypothèse, jusqu’à ce que je découvre que c’était inscrit noir sur blanc dans l’enquête publique. Je trouve la méthode pas très correcte », explique l’agriculteur à la descente de son tracteur pour labourer l’un de ses champs. Il reste opposé à l’installation de cette plateforme de chargement en face de sa ferme.

Lors d’une précédente enquête publique pour une autre extension de Bridgeoil, à l’est de la commune, il avait eu la surprise de voir l’une des parcelles qu’il exploitait figurer dans le projet alors que personne ne l’en avait informé. « On m’avait rétorqué que le sous-sol appartenait à l’État et que je n’avais rien à y redire. De toute façon, à partir du moment où il y a du pétrole sous nos pieds, on ne peut pas faire grand-chose, d’autant que l’indemnité proposée par les sociétés comme Bridgeoil est loin d’être dégoûtante », poursuit-il. Tout comme le maire, le cultivateur n’est pas contre les énergies fossiles : « J’en mets dans le réservoir de mon tracteur tous les jours », mais ne comprend pas pourquoi le projet d’extension ne s’est pas fait dans la plaine agricole, loin des premiers villages, plutôt qu’en plein milieu de Nonville.

Marc Plouvier, éleveur et céréalier, n’a pas été tenu au courant de l’avancée du projet sur (et sous) ses propriétés avec la plus grande transparence.

À Nonville, élus et militants écologistes sont d’autant plus prêts à mener ce « combat symbolique », que, comme le décrit Fabiola Saustendal, la commune a déjà un passé plutôt glorieux en la matière. En 2016, la préfecture de Seine-et-Marne avait autorisé Hess, un pétrolier étasunien, à pratiquer la fracturation hydraulique à l’est de la commune pour extraire du gaz de schiste. « Nous avons obtenu l’annulation du projet devant le tribunal administratif », raconte Gérard Balland. Une décision qui a ensuite fait jurisprudence : depuis, cette méthode dévastatrice pour les sous-sols est interdite en France. Si jamais la préfecture consentait à l’extension voulue par Bridgeoil, l’élu affirme qu’il saisirait à nouveau le tribunal administratif, prêt à dépenser à nouveau plusieurs dizaines de milliers d’euros en frais d’avocats.

En plus de craindre les nuisances olfactives, le maire ne voit pas d’avantage économique à la réalisation de ce projet. À l’heure actuelle, Bridgeoil ne rapporte que 10.000 euros par an à la commune en diverses taxes locales sur l’activité économique. Le site ne crée pas non plus d’emploi. Et que se passera-t-il quand la concession prendra fin ? Les exploitants ont l’obligation de remettre en état le terrain qu’ils ont utilisé, en prévoyant une enveloppe d’investissement. Mais la santé financière fragile de Bridgeoil laisse planer le doute quant à sa capacité à réhabiliter la zone en 2035, alors que le bois juste au-dessus est en passe d’être classé en zone naturelle sensible. Que se passera-t-il également en 2040, date à laquelle la loi Hulot prévoit l’interdiction totale de l’extraction d’hydrocarbures du sol français ? « Cela risque d’être difficile à appliquer. Les pétroliers qui ont des concessions en cours risquent de demander des dommages et intérêts à la puissance publique si elle leur interdit d’utiliser les forages pour lesquels ils ont obtenu ou vont obtenir des autorisations préfectorales », estime Gérard Balland.

Déjà au moment de son vote en 2017, la loi Hulot avait été jugée insuffisante par plusieurs associations, dont Attac ou le collectif Non au pétrole de schiste en pays Fertois (77), qui considéraient alors que le texte laissait trop d’exemptions aux industriels, telles que la possibilité d’octroyer des concessions dépassant la date de 2040 sur des critères économiques ou l’absence d’interdiction d’exploitation des gaz de couche. L’avenir du site de Nonville constituera un bon test pour cette loi voulue par l’ancien ministre de l’Écologie.

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