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ReportageLuttes

Près de Toulouse, ils refusent de se faire enfumer par l’usine à bitume

Dans la commune de Gragnague, près de Toulouse, en mars 2023.

Un projet d’installation de centrale d’enrobage à chaud rencontre l’opposition d’habitants de Gragnague, en Haute-Garonne. Le collectif qu’ils ont fondé alerte sur les risques pour la santé et l’environnement d’un tel projet.

Mise à jour 11/10/23 : L’usine d’enrobés de Granague a fermé en juillet 2023 après trois mois d’activité.


Gragnague (Haute-Garonne), reportage

En arrivant à Gragnague depuis la sortie d’autoroute, les panneaux « Terrain à bâtir » attirent le regard. Il reste quelques emplacements dans la zone d’aménagement concerté (ZAC) Trèzemines-Tuileries, une zone pavillonnaire flambant neuve. Le quartier « offre un admirable décor de vie », vante l’annonce d’un promoteur immobilier. C’était sans compter le projet d’installation d’une usine à bitume à 700 mètres de là.

Les Gragnaguais, au nombre de 2 100, ont appris la nouvelle il y a deux semaines. Vinci autoroutes, le concessionnaire de l’A68, veut rénover des chaussées sur 17 kilomètres. Pour ce faire, Eurovia, filiale du groupe, a déposé une demande d’exploitation d’une centrale d’enrobage à chaud temporaire sur un terrain situé au bord de l’autoroute, dans le domaine public autoroutier concédé.

Les habitants ont manifesté le 11 mars et comptent recommencer le 18. © collectif Non à l’usine à goudron à Gragnague

« Une centrale, c’est une bombe sanitaire », s’alarme Charlotte une riveraine qui a rejoint le collectif Non à l’usine à goudron à Gragnague. Les rejets atmosphériques de ces installations contiennent des substances nocives telles que le benzène et du benzopyrène, classées comme cancérigènes avérées, mutagènes et reprotoxiques [1] par l’Organisation mondiale de la santé.

Les habitants craignent pour leur santé et celle de leurs enfants. « À proximité il y a une maison d’assistantes maternelles, une école et un lycée accueillant 1 700 élèves », liste cette mère de trois enfants. En 2012, une centrale temporaire a laissé un mauvais souvenir au voisin le plus proche du site. « Il ne pouvait plus ouvrir ses fenêtres à cause des odeurs, du bruit et des poussières », relate la Gragnaguaise.

200 personnes mobilisées

Les fumées de l’usine menacent aussi l’environnement et la campagne vallonnée que les nouveaux habitants avaient choisis pour décor. Lorsqu’ils retombent au sol sous forme de gouttelettes, les rejets de la centrale touchent toute la biodiversité et les activités agricoles.

Le collectif citoyen se mobilise donc pour alerter la population et les élus locaux. Bien que sans pouvoir décisionnaire, le maire de Gragnague a pris publiquement position contre la centrale lors d’une manifestation samedi dernier qui a réuni 200 personnes. Un nouveau rassemblement est prévu samedi 18 mars à 10 h 30 devant le site d’Eurovia.

À l’entrée du site, Julien Guérin, membre du collectif, montre l’avis au public placardé par la préfecture. © Anouk Passelac / Reporterre

Il y a urgence à agir pour le collectif car la consultation du public s’achève le 20 mars. Un rapport sera ensuite remis au préfet qui pourra prendre en compte ou non l’avis des citoyens avant de rendre sa décision. Le début d’exploitation est prévu le 10 avril.

En attendant, les employés d’Eurovia s’activent déjà sur le site de la future centrale. « C’est comme si le préfet avait déjà le stylo en main », peste Charlotte, déterminée à se battre jusqu’au bout. En cas d’autorisation préfectorale, le collectif prévient qu’il portera un recours contentieux devant le tribunal administratif.

Le site prévu pour la centrale d’enrobage a déjà été investi par l’entreprise Eurovia. © collectif Non à l’usine à goudron à Gragnague

Les riverains s’interrogent aussi sur l’aspect temporaire de la future usine. Non loin de chez eux, le chantier de l’A69, future autoroute reliant Castres à Toulouse, va bientôt démarrer. « On craint qu’après les quatre mois d’exploitation par Eurovia, une autre entreprise demande une nouvelle autorisation », explique Julien Guérin, mobilisé dans le collectif.

« On se sent vraiment pris au piège »

« On se sent vraiment pris au piège », dit une autre militante, Nadège Peyrard, qui a emménagé en 2020 sur la commune alors qu’elle était enceinte. L’ingénieure « ne se sen[t] plus protégée par la législation » depuis qu’en 2019, un décret sur les installations ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement) a passé les centrales d’enrobage à chaud du régime de déclaration à celui, moins contraignant, d’enregistrement. Les entreprises ne sont plus tenues de réaliser d’étude d’impact sur l’environnement. Eurovia n’en a d’ailleurs pas fourni.

Samedi 18 mars, le collectif espère réunir plus de manifestants que la semaine passée et notamment les habitants des communes alentour. Car, en cas de vent fort, « il n’y aura pas que les Gragnaguais qui seront touchés par les fumées de l’usine », prévient Nadège Peyrard.

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