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Préservation de la ressource en eau : le gouvernement ne se mouille pas

En août, les ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique ont présenté leur plan de gestion de la ressource en eau. Si l’auteur de cette tribune salue les objectifs désignés, il déplore l’absence d’engagement à la hauteur des enjeux. Et rappelle un bon moyen de libérer des ressources en eaux : fermer les centrales nucléaires !

Jean-Claude Oliva est le directeur de la Coordination eau Île-de-France.


Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ont présenté mercredi 9 août 2017 en conseil des ministres leurs axes d’actions sur la gestion quantitative de l’eau. Alors qu’un important épisode de sécheresse a touché de nombreux départements, le gouvernement prétend apporter des solutions pour résorber durablement les situations de tension hydrique et associer pleinement les territoires à la politique de gestion de l’eau (lire ici le communiqué officiel des deux ministres).

Les deux ministres énumèrent des actions pour encourager la sobriété des usages. Tout d’abord, « il s’agit d’engager les citoyens, les entreprises ainsi que les administrations et les services publics dans des démarches d’économies d’eau, grâce notamment à des campagnes de proximité de sensibilisation et de communication, tout au long de l’année ». C’est ce que fait sur le terrain depuis plusieurs années la Coordination eau Île-de-France, avec le soutien d’Eau de Paris [1]. Pourrons-nous désormais compter sur le soutien du ministère pour développer ce genre d’actions ?

Il s’agit ensuite, selon les deux ministres, de « poursuivre les investissements avec les collectivités pour accentuer la maintenance des réseaux afin de réduire au maximum les fuites dans les canalisations ». Il est vrai que le taux de fuite dans les réseaux dépasse au niveau national les 20 %, un constat qui avait déjà conduit la loi Grenelle II de 2010 à fixer un objectif national de limitation du taux de fuites à 15 % de l’eau produite. Et à introduire en 2014 des possibilités de sanctions des autorités organisatrices. Nicolas Hulot, qui a été l’inspirateur du Grenelle de l’environnement, devrait tirer les leçons de cet échec puisque, grosso modo, rien n’a bougé depuis lors.

C’est que les entreprises délégataires pratiquent une guerre d’usure pour s’exonérer de leurs responsabilités : leurs tergiversations, leur retard pour fournir les informations prévues découragent les exigences de transparence des usagers. Les multinationales gagnent ainsi du temps, repoussant toujours à plus tard l’impératif de réparation coûteuse de leurs tuyaux percés. Pourtant, les usagers ont payé depuis longtemps dans leur facture la maintenance et le renouvellement des réseaux : où est passé cet argent ? La réutilisation des eaux usées traitées est aussi évoquée par les ministres : il s’agit du nouveau business des entreprises de l’eau et de l’assainissement, les lobbies sont passés par là !

« Eau et climat sont intrinsèquement liés » 

Production d’eau potable, industrie ou agriculture, chacun des secteurs de la société a besoin d’eau pour fonctionner. Le tout est de parvenir à une gestion équilibrée de cette ressource entre ces usages afin d’éviter des situations comme celle d’aujourd’hui. À ce titre, la loi sur l’eau est claire : la priorité est donnée à l’eau potable, puis vient la part d’eau nécessaire à la survie des milieux naturels, objectif pour lequel France nature environnement se bat quotidiennement. Les usages économiques liés à l’eau ne viennent qu’en troisième position. Alors, il est bien difficile de comprendre et d’accepter le fait que, dans une situation de sécheresse comme celle que connait actuellement la France, des dérogations soient accordées tous azimuts, notamment pour les agriculteurs ! [2]

Dans le domaine de l’agriculture, si des intentions générales comme « développer une agriculture plus économe en eau » font consensus, une mesure en revanche apparaît inacceptable : « Réaliser (là où c’est utile et durable) des projets de stockage hivernal de l’eau afin d’éviter les prélèvements en période sèche, lorsque l’eau est rare. » Par définition, la multiplication des retenues d’eau n’est pas une solution durable, argumente France nature environnement. Si l’on s’intéresse réellement au long terme, il faut réfléchir très sérieusement au changement de pratiques agricoles.

À ce sujet, on lira avec intérêt « Les enjeux du stockage de l’eau », par Benoit Biteau, agronome, paysan bio et… conseiller régional (PRG) de Nouvelle Aquitaine.

Dans un communiqué, France libertés salue les objectifs de Nicolas Hulot et l’appelle à agir concrètement. La fondation Danielle Mitterrand montre que les prélèvements en eau ne sont pas les seuls responsables de la sécheresse actuelle. La perturbation du cycle de l’eau local a également une incidence directe sur le régime des précipitations et donc sur le niveau des nappes phréatiques. France libertés considère que des « solutions » d’urgence ne permettent pas de restaurer le cycle de l’eau local. « Seule une gestion durable de l’eau peut atténuer les effets du changement climatique. Eau et climat sont intrinsèquement liés et des alternatives existent pour rééquilibrer la situation climatique locale », explique Justine Richer, chargée du programme Eau-bien commun à France libertés.

Le refroidissement des centrales électriques = 17 milliards de m3 en 2013 

Le refroidissement des centrales électriques (essentiellement nucléaires) constitue de loin le plus important prélèvement d’eau douce : cela représentait 17 milliards de m3 en 2013, soit trois fois plus que le prélèvement nécessaire à la production d’eau potable. Ce prélèvement s’effectue exclusivement sur des eaux de surface (contrairement à la production d’eau potable, qui utilise 2/3 d’eaux souterraines et 1/3 d’eaux de surface). Ce prélèvement est particulièrement néfaste sur les cours d’eau en été, au moment de l’étiage, d’autant qu’il s’accompagne de rejets d’eau chauffée.

Une solution semble pourtant à portée de main, il est étonnant que nos ministres n’y aient pas pensé ! En effet, 70 % des prélèvements d’eau douce pour la production d’électricité sont concentrés sur quatre sites à circuit ouvert (les autres sont à circuit fermé et consomment beaucoup moins d’eau). Il s’agit de Fessenheim et de trois autres sites qui se trouvent sur le Rhône. Il suffirait donc de fermer prioritairement ces centrales !

Les objectifs établis par les ministres comprennent le choix de « faire émerger des solutions locales adaptées dans l’ensemble des territoires ». Sous cet objectif louable se trouvent essentiellement des mesures d’organisation administrative, de « gouvernance » institutionnelle… qui semblent contradictoires avec les nouvelles ponctions prévues sur le budget des Agences de l’eau qui sont censées animer l’action des pouvoirs publics dans ce domaine : 180 millions d’euros en 2017, 300 millions d’euros en 2018. Un « double discours inquiétant », selon la Gazette des communes.

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