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Énergie

Prix de l’électricité nucléaire, vers une facture plus salée ?

Centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir et Cher), en août 2023.

L’État et EDF se sont accordés sur une hausse du prix de l’électricité nucléaire. Si les effets sur les consommateurs restent incertains, ils s’annoncent défavorables.

« Autour de 70 euros le mégawattheure (MWh). » Ce sera le nouveau prix de référence pour l’électricité d’origine nucléaire à partir de 2026, a annoncé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 14 novembre. Un tarif obtenu après d’âpres négociations entre EDF et le gouvernement. « Avec cet accord, nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la visibilité et la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF », s’est félicité le locataire de Bercy.

Avec à la clé, des conséquences importantes, tant pour les consommateurs que pour EDF et la construction de nouveaux EPR. Reporterre a essayé d’y voir plus clair.

  • Un prix qui inclut tout le nucléaire, actuel et à venir

EDF vend chaque année entre un quart et un tiers de la production de son parc nucléaire à ses concurrents au prix de 42 euros le MWh, par l’entremise de l’accès régulé au nucléaire historique (Arenh). L’électricien accuse ce dispositif d’être en partie responsable de ses difficultés financières, puisque ce prix serait inférieur à ses coûts de production évalués à 48,36 euros/MWh en 2020. La disparition de l’Arenh au 31 décembre 2025 offre ainsi l’occasion de définir un nouveau prix pour l’électricité nucléaire.

Chacun des acteurs a tenté de tirer la couverture à soi. EDF plaidait pour un prix légèrement inférieur à 100 euros/MWh. En septembre, la Commission de régulation de l’énergie (CRE, une autorité administrative indépendante française chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie) a évalué le coût de production du nucléaire entre 57 et 61 euros/MWh pour la période 2026-2040, en incluant le futur coût de production de l’EPR de Flamanville, mais sans tenir compte de ceux des six futurs EPR2.

Finalement, le prix de 70 euros/MWh permet « à la fois de couvrir de façon soutenable l’ensemble des coûts du nucléaire existant, ainsi que les investissements futurs, en particulier dans le programme nouveau nucléaire EPR2 », explique le cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.

Cette évaluation a fait bondir l’association Consommation, Logement, Cadre de vie (CLCV) : « Ni l’État ni la CRE ne sont choqués par le fait qu’aux États-Unis et en Finlande, le prix du nucléaire est de l’ordre de 30 euros/MWh. Ils nous imposent le double en nous disant que tout cela est très objectif. »

Pour Greenpeace, ce nouveau prix est au contraire sous-évalué. « Il comprend l’électricité qui sera produite par l’EPR de Flamanville, dont le prix de production avait pourtant été évalué en 2020 par la Cour des comptes dans une fourchette de 110-120 euros/MWh. Notre rapport sur les coûts de l’électricité bas carbone évaluait d’ailleurs le prix de production du seul parc nucléaire existant à 72 euros/MWh, proche des 70 euros retenus pour le parc existant et l’EPR », a écrit l’ONG à Reporterre.

  • La facture des consommateurs augmentera-t-elle ?

Cet accord est censé protéger les consommateurs de prix de l’électricité trop élevés. Pour l’heure, difficile de savoir si ce sera réellement le cas, tellement le mécanisme présenté par le gouvernement a des airs d’usine à gaz. Les observateurs interviewés par Reporterre en doutent fortement.

Dans une économie de marché, le prix de vente ne reflète pas seulement le coût de production ; il dépend aussi de l’offre et de la demande à un instant donné. C’est pourquoi le gouvernement a été obligé de mettre en œuvre un bouclier tarifaire en 2022 et 2023, pour pallier la flambée des prix de l’électricité due à l’indisponibilité historique du parc nucléaire français et des difficultés européennes d’approvisionnement en gaz causées par la guerre en Ukraine. Coût de l’opération, 40 milliards d’euros sur deux ans, a rappelé le ministre de l’Économie.

Le montant de la facture reste incertain avec ce nouveau mécanisme de redistribution. Ici, la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche). Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0 Deed/Maarten Sepp

Pour garantir aux consommateurs, particuliers comme industriels, un prix moyen de l’électricité nucléaire de 70 euros/MWh sur quinze ans à partir de 2026, le gouvernement et EDF ont décidé d’appliquer un mécanisme de redistribution. À chaque fois qu’EDF vendra son électricité nucléaire à un prix compris entre 78,80 et 110 euros/MWh, son gain sera taxé à hauteur de 50 % ; puis à 90 % au-delà de 110 euros/MWh. Cette rente sera ensuite « redistribuée automatiquement et directement aux consommateurs », a expliqué Agnès Pannier-Runacher.

Ce mécanisme de redistribution laisse les observateurs perplexes. « Avec ce système, on ne saura pas combien on paiera l’électricité l’année suivante. Ça dépendra de ce que l’État a collecté et peut redistribuer sous forme de bouclier tarifaire. C’est un mécanisme compliqué et difficilement lisible », juge Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting et Terra Nova.

Quant à Anne Debregeas, ingénieure chercheuse à EDF et membre de Sud énergie, elle ne voit tout simplement pas comment le prix cible de 70 euros/MWh peut être atteint, « sachant que les prix du marché sont depuis bien longtemps au-delà de 80 euros/MWh, et qu’ils étaient même à 140 euros/MWh il y a peu ».

Une redistribution « inadmissible »

Elle dénonce aussi un changement de doctrine forcément défavorable aux consommateurs, puisqu’ils ne paieront plus seulement à hauteur des coûts de production du nucléaire existant — le principe de l’Arenh — mais aussi pour la construction des nouveaux EPR. Enfin, « ils ne précisent pas comment ce prix va être répercuté au consommateur ni comment il va s’intégrer au calcul du tarif réglementé de vente. C’est hyper flou », explique-t-elle.

La CLCV, elle, dénonce un mécanisme « inadmissible [...] qui augmentera injustement la facture des ménages de plus de 10 % », sans détailler le calcul qui lui permet d’arriver à ce résultat.

D’autres dispositifs ont été annoncés : le maintien du tarif réglementé de vente pour les particuliers et les petites entreprises, ainsi que son extension aux très petites entreprises de moins de dix personnes et de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires « quel que soit leur niveau de consommation électrique » (et plus seulement celles qui consommaient moins de 36 kilovolts ampères) ; et, pour les entreprises industrielles, des contrats à long terme « de l’ordre de dix ans », contre deux à trois ans actuellement, a précisé Bruno Le Maire.

Tout cela est censé inciter EDF à proposer des contrats à des prix inférieurs à 78,80 euros/MWh, tout en donnant davantage de visibilité aux industriels et en lissant leurs dépenses électriques sur du long terme. Là encore, les modalités exactes de ces contrats doivent être définies par EDF.

  • Ce nouveau prix permettra-t-il de financer la relance du nucléaire ?

Comme l’a dit Agnès Pannier-Runacher, ce nouveau prix est censé permettre à EDF d’éponger sa dette — 65 milliards d’euros — et de financer six nouveaux EPR. À condition que l’électricien arrive à faire tourner son parc à plein régime.

« C’est un accord exigeant, a commenté le PDG du groupe Luc Rémont lors du point presse. C’est-à-dire que pour être capable de dégager les [20 à 25 milliards d’investissements par an pour renouveler le parc], il nous faut effectivement produire plus. » Objectif, atteindre 360 à 400 TWh — contre 279 TWh en 2022, le plus bas niveau jamais atteint par EDF à cause des problèmes cumulés de corrosion sous contrainte et de retards de maintenance.

Autre question en suspens : et si le prix de l’électricité s’effondrait bien en dessous des 70 MWh, quid des capacités de financement d’EDF ? Dans ce cas-là, il ne couvrirait plus ses coûts de production nucléaire et n’aurait plus les moyens d’investir par ce biais. « EDF n’a aucun filet de sécurité. Mais c’était un risque qu’il était prêt à prendre », observe Nicolas Goldberg.

Le débat n’est pas clos. « Nous avons prévu de nous retrouver dans six mois, a annoncé Bruno Le Maire. [...] Bien entendu, cet accord sera mis en consultation auprès des associations de consommateurs, de fournisseurs, des industriels et de tous les acteurs du marché pour une consultation publique, auxquels les parlementaires seront associés. » Les débats promettent d’être encore animés d’ici la mise en place de ce nouveau dispositif dans deux ans.

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