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Prix de l’énergie : des ONG réclament des rénovations gratuites pour les pauvres

La facture énergétique d’un ménage sur l’année peut souvent monter à près de 2 000 euros.

Comment soutenir les plus défavorisés face à la hausse des prix de l’énergie ? Pour les ONG de lutte contre la pauvreté, le chèque énergie est insuffisant. Elles réclament des mesures de long terme, comme la rénovation des logements indignes.

150 euros en moyenne, 277 euros maximum selon les ménages. L’envoi du chèque énergie aux personnes les plus modestes a commencé mercredi 30 mars et va durer un mois. Il doit les aider à payer leurs factures d’énergie ou leurs travaux de rénovation énergétique. 5,7 millions de ménages devraient en profiter.

« Une mesure nécessaire mais pas du tout suffisante », réagit Céline Vercelloni, du département écologie d’ATD Quart Monde. « C’est une mesure d’urgence, comme l’aide alimentaire. » Même les 100 euros supplémentaires de chèque énergie, déjà versés en décembre, ne suffisent pas selon elle à combler l’écart. Avec plusieurs autres associations (Stop exclusion énergétique, la fondation Abbé Pierre, Réseau action climat, etc), ATD Quart Monde demande l’augmentation du montant du chèque énergie à au moins 700 euros. « La facture énergétique d’un ménage sur l’année peut souvent monter à près de 2 000 euros, poursuit Céline Vercelloni. 700 euros ce n’est même pas la moitié, cela reste peu. »

Élargir les bénéficiaires du chèque énergie

Par ailleurs, « il faudrait un élargissement des bénéficiaires du chèque, ajoute Hélène Denise, chargée de plaidoyer à la fondation Abbé Pierre. Les personnes non assujetties à la taxe d’habitation, comme les gens du voyage, qui payent cher l’électricité sur les aires d’accueil, ne sont pas éligibles. Ou alors les personnes au-dessus des plafonds de ressources mais qui vivent dans des passoires thermiques [les logements qui consomment beaucoup d’énergie parce que mal isolés]. »

Les derniers chiffres de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) confirment l’envolée. Les prix à la consommation ont augmenté de 4,5 % en mars. L’augmentation du coût de l’énergie est la principale responsable : plus 28,9 % en mars. Après déjà plus 21,1 % en février. « Cette augmentation des prix est très difficile à gérer dans un petit budget », observe Céline Caubet, elle aussi du département écologie d’ATD Quart Monde. « Il faut imaginer les conséquences catastrophiques que cela a sur le niveau de dépenses précontraintes des plus pauvres », poursuit son collègue Bruno Rakedjian.

Les dépenses précontraintes sont les dépenses fixes et non négociables à payer chaque mois : loyer ou prêt bancaire, abonnements, factures, assurances, etc. Pour les ménages considérés comme pauvres, la part de ces dépenses dans leur budget a augmenté de 31 % en 2001 à 41 % en 2017, a montré une étude de France Stratégie. Et sur ces 10 points d’augmentation, 8 sont liés à celle des dépenses dues au logement dans lesquelles sont comprises les factures d’énergie. Leur hausse ces derniers mois a probablement fait encore grimper le pourcentage.

« Les conséquences sont directes : les gens ont moins d’argent pour se nourrir »

« Les conséquences sont directes : les gens ont moins d’argent pour se nourrir et on voit l’explosion des demandes d’aide alimentaire », observe Bruno Rakedjian. « Il y a une hausse des impayés, ou alors certains préfèrent se mettre en situation de privation », remarque de son côté Hélène Denise. « On évite la facture, on a froid, et cela a des conséquences importantes pour la santé avec l’apparition de maladies respiratoires. Ou des conséquences sociales : on n’invite pas à la maison, les enfants ont des difficultés scolaires, etc. »

Selon le baromètre du médiateur national de l’énergie, en 2021, 20 % des foyers interrogés ont déclaré avoir eu froid dans leur logement contre 14 % en 2020. 79 % des Français (contre 71 % en 2020) déclaraient aussi que les factures d’énergie représentent une part importante de leur budget. « En France, 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique », rappelle Hélène Denise.

Lire aussi : Rénovation énergétique : une décennie de perdue

Elle aussi considère les mesures du gouvernement insuffisantes. Notamment le « bouclier tarifaire » mis en place à l’automne pour limiter la hausse du prix du gaz et de l’électricité. « Ce n’est pas une mesure équitable », souligne-t-elle. « Ce sont les plus aisés qui dépensent le plus d’énergie. Donc, en définitive, l’État dépense plus pour eux. Nous, on plaide pour une redirection de l’aide publique vers ceux qui en ont le plus besoin. »

« Moins de taxes, c’est moins de moyens pour l’État et les collectivités pour mener des politiques de redistribution », dit Bruno Rakedjian chez ATD Quart Monde. Ainsi, son association est opposée aux baisses de TVA sur l’énergie proposées par certains candidats à la présidentielle (Éric Zemmour, Valérie Pécresse et Marine Le Pen notamment). En revanche, elle défend la taxe carbone, qui vise les énergies émettrices de CO₂. Elle fait augmenter leur prix pour inciter à diminuer leur consommation. Sa hausse est bloquée depuis le mouvement des Gilets jaunes fin 2018. « Pour nous l’enjeu, c’est que tout l’argent dégagé de ces fiscalités carbone aille en priorité aux 20 % les plus pauvres », ajoute Bruno Rakedjian.

Autant de recettes qui pourraient être attribuées à des mesures de long terme. C’est ce que réclament en cœur les associations, avec sur le haut de la liste une politique efficace de rénovation énergétique. « Pour 2022, ce sont 30 milliards d’euros de dépenses qui ont été annoncées par le gouvernement pour contrer la hausse des prix de l’énergie », observe Hélène Denise. « C’est ce que l’on préconise, nous, sur 10 ans pour rénover les habitats des ménages modestes : 3 milliards d’euros par an. Et en plus, c’est une vraie mesure pour le pouvoir d’achat. Chez les plus pauvres, 60 % des revenus vont dans le logement et le paiement des charges. Si vous réduisez le montant des charges, l’effet est significatif ! »

« Quand on est en grande précarité, on est à dix euros près »

Cette aide serait essentielle, car malgré les aides à la rénovation, « Il y a toujours un reste à charge pour le propriétaire », observe Céline Vercelloni. « Même quand cela ne représente que 10 % de la facture, cela reste trop lourd. Quand on est en grande précarité, on est à dix euros près. » Elle souhaiterait que, pour les plus pauvres, le montant à payer pour des travaux de rénovation énergétique soit tout simplement de zéro euro. « C’est vraiment la mesure sur laquelle on s’accorde tous entre ONG écologiques et sociales, la mesure fin du monde et fin du mois par excellence », souligne Hélène Denise.

ATD Quart Monde propose également des tarifs différenciés pour l’électricité. « Ce que l’on défend, ce serait que les premiers kilowattheures soient gratuits », explique Céline Caubet. « Puis, qu’il y ait des tarifs progressifs en fonction des revenus. »

Enfin, début avril a marqué le début d’un nouveau coup de froid sur l’Hexagone, mais aussi le retour des coupures d’électricité en cas d’impayés. « 300 000 personnes sont coupées chaque année, dit Hélène Denise. Cela fait perdre le lien social, on ne peut même plus téléphoner pour tenter de régler sa dette. Il faudrait interdire les coupures et garder un minimum de puissance pour permettre aux gens de rester dignes. » EDF a annoncé qu’il ne pratiquerait plus les coupures. Mais il n’est plus le seul fournisseur. « Il faut arrêter de mettre les gens dans le noir, l’électricité n’est pas un bien comme les autres », souligne Hélène Denise.

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