Projet Lyon-Turin : en Italie, un village sous « état de siège » par la police

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Luttes Grands projets inutiles TransportsMille policiers ont été déployés pendant près d’une semaine à San Didero, en Italie, pour évacuer des opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. L’expulsion a dérapé dans les rues du village, qui subit « un état de siège » de la part des forces de l’ordre, qui sont encore plusieurs dizaines.
Mais que se passe-t-il à San Didero, petite commune de 574 âmes dans la province de Turin ? Depuis une semaine, « San Didero est en état de siège », alerte en lettres capitales la collectivité dans un communiqué. Près de 1 000 policiers et carabiniers ont été déployés du 13 au 19 avril dans le village et ses alentours, et plusieurs centaines sont toujours sur place. Dans son communiqué, la collectivité y décrit une atmosphère de guerre : « Ce qui s’est passé à San Didero ce mardi 13 avril est honteux. Des lacrymogènes ont explosé dans les cours des maisons, des champs de blé piétinés, des grenades lacrymogènes éparpillées dans les prairies, dont certaines non explosées, un danger pour les personnes et les enfants qui veulent se déplacer dans la campagne et pire pour les animaux au pâturage. »
Les causes de cette escarmouche ? La tentative d’expulsion par une force conjointe de policiers et carabiniers italiens du presidio, le poste permanent d’occupation, installé sur un vieux projet inachevé d’autoport (vaste parking destiné aux camions) situé à 1,5 kilomètre de la commune. Ce poste est occupé en permanence par les opposants au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin depuis décembre 2020. Il leur permet de surveiller l’arrivée des promoteurs du Tunnel euralpin Lyon Turin (TELT) qui souhaitent démanteler l’actuel autoport, implanté en amont du Val de Suse, pour construire à sa place une gigantesque gare internationale. TELT veut démonter les fondations de l’autoport inabouti de San Didero... pour le reconstruire à neuf.
« 200 000 m3 de terre mouvementés pour le projet »
« L’Italie est pleine de carcasses de travaux publics inachevés. Ils veulent détruire l’ancien et refaire à neuf pour faire des profits sur les appels d’offres », dit à Reporterre Mattéo [*], membre de No Tav, le collectif italien d’opposition au projet Lyon-Turin. Soit 68 000 m² de parking dédiés à accueillir les flottes de camions voulant franchir les Alpes.
Un chantier « aux dépens de la seule aire verte de la basse vallée, dénonce l’activiste. Ils sont en train d’abattre des centaines d’arbres et la forêt alentour ! Ce sont 200 000 m3 de terre mouvementés pour le projet, et 17 000 camions qui vont faire des allers-retours dans la vallée, dans un terrain déjà abîmé par le précédent projet d’autoport. »
Publiée par Presidio ex-autoporto di San Didero sur Samedi 17 avril 2021
Ces arguments n’ont pas ému les forces de l’ordre, dont l’intervention le 13 avril a dégénéré au point « d’avancer dans le village, semant la panique parmi les habitants », observe la mairie de San Didero, qui compare les carabiniers à « des troupes d’occupation ». En réaction, une marche pacifique de 4 000 personnes, soutenue par les maires des communes alentour, a été organisée le 17 avril. Mais à la tombée de la nuit, de nouvelles échauffourées ont éclaté entre un groupe de manifestants cagoulés et les carabiniers en marge de la manifestation.

Une militante blessée et hospitalisée
Giovanna S., 36 ans, y a été blessée au visage et hospitalisée pour un double traumatisme crânien et plusieurs fractures au visage. Les manifestants affirment qu’elle aurait été touchée par une cartouche de gaz lacrymogène lancée en tir tendu. La préfecture italienne dément et affirme que ce type de projectile « disparaît en poussière après 40 mètres », jugeant que la manifestante s’est blessée en chutant.
« Sa situation est grave, mais stable, dit Mattéo. Ses hématomes cérébraux sont en train de se résorber. Sa vue doit encore être examinée et elle doit subir une opération de reconstruction des os de son visage. » Vidéo à l’appui, il affirme : « La police nie le tir tendu, mais nous avons isolé une conversation entre carabiniers qui se vantent d’avoir tiré en tir tendu des lacrymogènes. »
Quant au presidio, ses derniers occupants ont finalement été évacués le lundi 19 avril après plusieurs jours de siège. Plusieurs dizaines de carabiniers sont toujours présents sur place, et ont commencé à clôturer le site de l’autoport avec des barrières barbelées de 3,5 mètres. Le budget destiné à la défense du site est estimé à 5,2 millions d’euros selon un appel d’offres du TELT.