Prolonger les centrales nucléaires allemandes serait « techniquement irréalisable »

Centrale nucléaire Isar 2, en Allemagne, en 2007. - Flickr/CC BY-SA 2.0/brewbooks
Centrale nucléaire Isar 2, en Allemagne, en 2007. - Flickr/CC BY-SA 2.0/brewbooks
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NucléaireContrairement à ce que souhaite l’Allemagne, prolonger la durée de vie de deux centrales nucléaires du pays n’est pas acquis. Et c’est l’exploitant lui-même qui le dit.
Décidément, la décision du gouvernement allemand de prolonger deux centrales nucléaires ne passe pas. Le plan présenté par le ministre écologiste de l’Économie, Robert Habeck, d’accorder un sursis de trois mois aux installations Isar 2 et Neckarwestheim 2, a été rejeté par… l’exploitant de la centrale Isar 2 lui-même. Dans une lettre adressée au ministère fédéral de l’Économie mardi 6 septembre, dont Der Spiegel a pris connaissance, le groupe PreussenElektra a qualifié cette décision de « pas techniquement réalisable » et « inappropriée pour garantir la contribution des installations à l’approvisionnement ».
Rembobinons. Les centrales d’Isar 2 en Bavière et de Neckarwestheim 2 dans le Bade-Wurtemberg, devaient être définitivement mises à l’arrêt à la fin de l’année, de même que celle d’Emsland en Basse-Saxe. Mais lundi 5 septembre, M. Habeck a annoncé leur maintien en veille jusqu’en avril 2023 — autrement dit leur remise en service au coup par coup en fonction des besoins du réseau électrique. Objectif, renforcer la sécurité d’approvisionnement de l’Allemagne voire de l’Europe cet hiver, sécurité fragilisée par l’arrêt des livraisons de gaz russe, la sécheresse et la faible disponibilité du parc nucléaire français. « Il est certes très improbable que le système électrique connaisse des situations de crise pendant quelques heures au cours de l’hiver, mais ça ne peut pas être totalement exclu actuellement », avait justifié le ministre dans un communiqué, en s’appuyant sur les résultats d’un « stress test » mené par les gestionnaires du réseau allemand d’électricité.
À noter que cette annonce a suivi l’accord de « solidarité » énergétique conclu le jour même entre le chancelier Olaf Scholz et Emmanuel Macron. La France s’est ainsi engagée à livrer du gaz à l’Allemagne, alors que cette dernière « se mettra en situation de produire davantage d’électricité » pour en exporter vers la France dans les situations de pic, a annoncé le président français à la presse.
Une procédure qui « n’est pas pratiquée »
L’argument de PreussenElektra est qu’il n’est pas possible de moduler la puissance d’une centrale nucléaire en fin de vie, et encore moins de l’éteindre et de la rallumer rapidement au gré des évolutions de la demande. Une telle procédure « n’est pas pratiquée, a ainsi écrit le patron du groupe Guido Knott au ministère. L’essai d’une procédure de redémarrage encore jamais pratiquée ne devrait pas coïncider avec un état critique de l’alimentation électrique ». L’électricien défend plutôt un maintien en fonctionnement de base de son installation. Cette dernière pourrait assurer « une production d’électricité de 4 térawattheures et une puissance garantie pouvant atteindre 1 400 mégawatts pour le marché de l’électricité », plaide-t-il. Reste que, selon lui, ce prolongement du fonctionnement de la centrale nécessiterait des préparatifs importants et donc une décision claire et définitive du gouvernement allemand dans les prochaines semaines.
Cette missive a provoqué une réaction ulcérée du ministère de l’Économie. « Le concept n’a manifestement pas été compris, car comme cela a été expliqué à plusieurs reprises, la réserve opérationnelle ne consiste pas à faire monter ou descendre les centrales nucléaires [...] [mais] à décider d’une fois pour toutes, en fonction des tests de résistance, si l’on a besoin des centrales ou non », a réagi M. Habeck le 7 septembre dans un communiqué. Qui n’a toutefois pas précisé si un maintien en activité continue des centrales jusqu’au mois d’avril était envisagé à ce stade.
Ce débat sur la faisabilité d’une prolongation de la durée de fonctionnement des centrales ne date pas d’hier. Dans sa lettre, PreussenElektra fait allusion à une lettre du 25 août dans laquelle il alertait déjà sur l’impossibilité technique de faire fonctionner la centrale en discontinu. Avant cela, dès mars 2022, les exploitants des trois dernières centrales nucléaires allemandes avaient fait part de leurs réserves : les plans sociaux étaient déjà en place et, surtout, un approvisionnement imprévu en combustible neuf pourrait se révéler très compliqué. « D’après une première estimation, nous estimons que des éléments de combustible frais pourraient être disponibles dans un peu plus d’un an et demi », avait alors déclaré la porte-parole de PreussenElektra au Rheinische Post.
L’autre raison pour laquelle le prolongement de ces centrales n’est pas acquis est qu’il nécessiterait une modification de la loi. « Un décret seul ne suffit pas », a ainsi déclaré le ministre fédéral de l’Économie.