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Quand les chasseurs sont chassés : une journée avec des militants anti-chasse à courre

Le samedi, c’est jour de chasse à courre en forêt de Compiègne, dans l’Oise. Le 26 septembre dernier, les chasseurs étaient au rendez-vous, tout comme les militants antichasse, de plus en plus nombreux sur le terrain. Insultes, intimidations... Reporterre les a accompagnés dans leur sortie pour « mettre fin à cette barbarie ».

  • Compiègne (Oise), reportage

Samedi 26 septembre, 8 heures, sur un parking de la ville de Compiègne, dans l’Oise. Ni le vent, ni le froid de ce week-end digne d’une fin d’automne n’a dissuadé quelque cinquante personnes de se réunir. Avec un objectif : surveiller une chasse à courre. Ce n’est pas une première pour le réseau Abolissons la vénerie aujourd’hui (AVA) de Compiègne, mais cette fois-ci, il y a foule. Il attire habituellement une vingtaine de participants par sortie. « Il y a beaucoup de nouveaux, la scène du cerf a fait des émules », se réjouit Stanislas Broniszewski, un ancien d’AVA, évoquant une scène désormais tristement célèbre. Le 19 septembre, un cerf chassé par l’équipage — soit l’ensemble des personnes, des chiens et des chevaux qui concourent à la chasse à courre — de « La futaie des amis » s’est réfugié aux abords d’un chantier, non loin du lycée Jean-Paul II de Compiègne. Langue pendante, incapable de se relever, l’animal a passé plusieurs heures au sol, sous la surveillance des militants d’AVA, avant de regagner la forêt sain et sauf. Mais le mal était fait. Plusieurs millions d’internautes ont vu les images, dont beaucoup se sont transformés en militants anti-chasse. « Je me suis dis que ce n’était plus possible, qu’il fallait mettre fin à cette barbarie ! » confirme à Reporterre Julien, secouriste. Il participe ce matin à Compiègne à sa première sortie avec AVA. La pluie se mêlant à la partie, les équipes se forment et prennent rapidement la route, à bord d’une dizaine de voitures.

Le long de la route, sur plusieurs centaines des mètres, des dizaines de voitures de suiveurs empêchent le cerf de sortir du bois.

Chasseurs chassés

Caméras embarquées sur les tableaux de bord, regards imperturbables, chacun scrute sans relâche les repères favoris de La futaie des amis, l’équipage chassant ce jour-là dans la forêt de Compiègne. « La forêt est grande, et on ne sait jamais à l’avance où ils vont chasser », explique Claire, au volant d’une des voitures. Cette amoureuse de la nature et des animaux est particulièrement inquiète car nous sommes en pleine période du brame — le cri rauque que pousse le cerf mâle lors de la période de reproduction — qui s’étend en France de mi septembre à mi octobre. « Les mâles ne mangent pas, ils perdent jusqu’à 30 % de leur poids et sont très faibles. La chasse va très vite, ils peuvent en tuer un en moins de deux heures. »

Derrière elle, sa fille Keely ne lâche pas la forêt des yeux. Du haut de ses 19 ans, la jeune fille a plus d’expérience de terrain que la plupart des personnes présentes ce jour-là. « J’ai commencé à y participer il y a trois ans environ. Je rejoignais la chasse à courre à vélo, après l’école », se souvient-elle. Une grande motivation l’anime. « Tant que le cigare de Drach [le maître d’équipage de La futaie des amis] n’est pas allumé, rien n’est perdu ! » lance-elle, le sourire aux lèvres. Les heures défilent, la forêt est quadrillée, mais personne ne croise l’équipage. « C’est complètement dingue. C’est la première fois qu’une chasse n’a pas lieu », relève Stanislas. Pas question de rentrer chez soi pour autant. « On a une équipe pas loin, ils sont sur une autre chasse. Peut-être que Drach s’est fait inviter là-bas, on va leur filer un coup de main ! »

Au milieu de la route, les chevaux se mêlent aux voitures et camions. Plusieurs coups de klaxons se font entendre, sans que les chasseurs ne soient inquiétés.

Les voitures filent donc vers la forêt de Retz, dans l’Aisne, où une chasse à courre a commencé aux alentours de 10 heures. Keely, téléphone à la main, guide sa mère jusqu’aux coordonnées GPS d’un membre du réseau AVA, présent sur place. Vers 13 heures, la chasse est localisée. Une interminable colonne de voitures fait alors face à la forêt. « Ils font ça pour bloquer le cerf, pour l’empêcher d’approcher les habitations », explique Keely. Les cavaliers sont au milieu de la route, ralentissant temporairement la circulation.

« Un matin, un militant a retrouvé sa voiture avec les pneus crevés »

Une fois garée, la petite équipe gagne la forêt à vive allure. Au loin, quelques rares aboiements et coups de cors les guident jusqu’en bordure d’un champ, rendu boueux par les pluies de la matinée. Un homme à cheval, en tenue de chasse traditionnelle, s’éloigne de l’équipage pour venir à leur rencontre. « C’est une propriété privée, vous n’avez pas le droit d’être là ! » clame-t-il. Pas de quoi décourager les deux jeunes militants, qui rappellent leurs droits de citoyens : « Il n’y a aucun panneau, ni de clôture nous interdisant l’accès. » Le chasseur hausse le ton, insulte les deux jeunes à gogo. « Quand ils en arrivent là, c’est qu’ils n’ont plus d’arguments pour se défendre ! » se rassure Keely. Elle n’en est pas à sa première mauvaise expérience avec un chasseur. « Nos photos et nos noms circulent sur les groupes des prochasse, et les plus virulents nous harcèlent par messages, ou directement chez nous. » Une mauvaise expérience vécue par un des membres d’AVA Retz. « Ce n’est pas Compiègne ici, c’est la campagne. Tout le monde connait tout le monde… Et un matin il a retrouvé sa voiture avec les pneus crevés, juste devant chez lui », raconte Keely.

Les chasseurs rameutent les chiens, avant de repartir en forêt. Aucun cerf ne semble avoir été pris.

Après quelques allers-retours le long du bois dans l’espoir de décourager les militants, l’équipage repart en forêt. Les militants n’en démordent pas et retrouvent la meute de chiens après une demi-heure de recherches. Autour d’elle, une vingtaine de suiveurs - passionnés qui suivent la chasse sans y avoir un rôle particulier - s’agglutinent et empêchent le collectif AVA d’approcher. Parmi eux, un suiveur, gilet jaune « j’aime la chasse » sur le dos, inquiète particulièrement les militants. « Ces gens-là, [avec leur gilet jaune], c’est leur milice. Il arrive qu’ils soient violents, dit Stanislas. Ils mettent une main sur ta caméra, et te frappent de l’autre ! » Des deux bords, les caméras et téléphones filment la confrontation. « Les réseaux sociaux, c’est le nerf de la guerre, dit Keely. Chaque camp fait son petit montage en fin de journée, pour défendre sa cause. » Au bout de quelques minutes, le « piqueux » — l’homme en charge du dressage des chiens — énervé par la présence de ces opposants, entame les hostilités avec le groupe et multiplie les insultes.

Le « piqueux » s’énerve contre les manifestants.

L’équipe sent la tension monter et décide de regagner les voitures. C’était sans compter une camionnette, placée sur la voie pour empêcher les militants, quelques minutes durant, de repartir. « Je verrouille systématiquement les portières maintenant, on ne sait pas de quoi ils sont capables », s’inquiète Claire. L’heure est au bilan, une fois les militants éloignés de la zone. Keely fait le point : « C’est un équipage qui n’a pas l’habitude de nous voir, encore moins en si grand nombre. Ils sont violents et menaçants, comme l’était l’équipage de La futaie des amis il y a trois ans. Avec celui-ci, les choses se sont calmées, ils font attention à ce qu’ils font. Mais dans le fond, ils nous détestent tout autant. » Stanislas complète :

On est en train de faire changer le rapport de force. Non seulement on commence à être aussi nombreux qu’eux, mais en plus l’opinion publique penche de notre côté. »

Les gros 4X4 et camionnettes des chasseurs gênent la circulation sur le chemin.

Cet enthousiasme n’est pas du goût de tout le monde. Début septembre, la préfète de l’Oise a pris un arrêté pour limiter l’accès au public — sauf pour les chasseurs — dans six zones de la forêt de Compiègne. « Personne ne sait vraiment où commencent et finissent ces zones », explique Stanislas. Un nouvel arrêté, signé le vendredi 25 septembre, l’inquiète encore davantage. Ce dernier permet aux forces de l’ordre de « disperser par la force publique » toute opposition à la chasse à courre. Les prochaines sorties en forêt seront donc décisives pour le collectif. « On ne sait pas comment les forces de l’ordre vont réagir, on ne sait pas ce qu’il peut se passer. On ne va pas déserter les bois pour autant », assure-t-il.

À l’heure de la publication de cet article, seuls quelques contrôles d’identités avaient été effectués par les forces de l’ordre.


AU FAIT, QUEST-CE QUE LA CHASSE À COURRE ?

La chasse à courre, ou vénerie, est une forme de chasse dite « traditionnelle », qui consiste à poursuivre un animal sauvage (sanglier, chevreuil, mais aussi lièvre ou renard) avec des chiens, jusqu’à son épuisement. Elle s’est développée en France au cours du XVe siècle, pratiquée par la noblesse et la royauté. Ailleurs en Europe, la pratique a peu à peu disparu au cours du XXe siècle, notamment en Allemagne, en Angleterre, et dans les pays nordiques.

La plus connue aujourd’hui est la chasse à courre au cerf, qui défraye la chronique. Elle représente pourtant une faible proportion des chasses à courre — moins de 10 %.

La chasse est suivie de près par l’équipage, à cheval et vêtu de la tenue traditionnelle, et par les suiveurs, souvent à pieds, à vélo, ou en 4x4, qui n’ont pas de rôle particulier et sont là par curiosité. L’élevage de la meute, composé de 20 à 200 chiens environ, est quant à lui délégué au « piqueux », qui est également en charge de tuer l’animal une fois celui-ci épuisé.

Pour pouvoir chasser à courre, les équipages doivent disposer de terres, ou en louer à des particuliers ou l’Office national des forêts. La location de la forêt de Compiègne coûte par exemple 70.000 euros par an à l’équipage de La futaie des amis.

En France, la vénerie compte environ 400 équipages, soit 10.000 pratiquants pour 30.000 chiens et 7.000 chevaux — deux fois plus que le siècle dernier — selon les chiffres de la Société de Vènerie.


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